Mercredi en Poésie avec Khaled Juma
Pour Gaza
Un peu de ce que dira Gaza dans un moment
Voici mon sang, commençant là où l’hymne se tait, là où la mort s’amuse à sa manière de deux enfants de trop pour des politiciens incapables de supporter la vérité.
Voici mon sang, pour celui qui a dégagé un espace pour allumer le feu dans l’enceinte du cœur, tout en se frottant les mains pour se protéger du sommeil en voyant l’incendie au seuil du sens ; un sens qui se moque de la structure, et une langue de dire à son locuteur : « Ce n’est pas pour cela que j’ai été créée », et un passant de rire dans une ruelle étroite et lève la voix d’une vieille imploration contenant une erreur courante. Autour de lui deux bâtiments s’effondrent de honte, sur une terre qui n’a pu absorber encore la rudesse des chiffres. Le nuage devient confus n’étant pas venu avec le désir de laver. Chaque goutte du nuage a rêvé d’être une couleur sur une feuille d’arbre ; une scène qui ne ressemble à rien, que de voir un nuage déçu et une flûte gardant le blé à cet endroit, au lieu d’une roue à eau, voir deux mains, que de voir un vêtement populaire combattant tout seul.
Un monsieur en colère se lèvera, de l’odeur des abeilles et des restes des hennissements dans les histoires de bravoure, et se réfugiera nu dans les forêts pour commencer à parler de la source et de me donner le nom d’une ville ; il se divertira avec quelques cérémonies alors que je serai occupée par l’enterrement interminable. Je dirai des mots qui blesseront tout le monde et je terminerai rapidement mes rites pour informer chaque obnubilé par son rôle dans l’histoire de ce qu’il aurait dû faire et qu’il n’a pas fait, et le temps passera très vite pour devenir une histoire quand celui qui n’a pas de mémoire se souviendra, qu’un peu de paroles signifiait la survie d’une chanson sur les lèvres. Et l’enfant qui ne chante plus, car il est mort avant de dire à sa mère combien il l’aimait, et la tragédie de sa mère était qu’il est mort avant elle de deux chansons. Mais il n’y a plus personne pour se souvenir des chansons ni de la famille.
Dans un moment je dirai des mots qui blesseront les spectateurs. Quand je finirai d’enterrer mes mains, et deux battements de mon cœur noyé dans le deuil, je dirai ce que la civilisation des autres ne pourra supporter. Je ne laisserai pas les dormeurs avoir honte, ni les armées alignées sur les étagères honteuses de leurs insignes, je ne condamnerai pas mes gardiens et je n’enfoncerai pas ma tristesse dans leur peau. Je dirai seulement des mots qui blessent les spectateurs pour qu’ils ne regardent pas et pour que les larmes augmentent dans les livres. Je garderai mes enfants dans un réfrigérateur de nostalgie pour l’éternité. Et je ne veux pas que quiconque verse de l’eau sur ma blessure pour que je puisse prier seul sans imam ni disciples.
Je dirai ce que je dirai dans un moment, alors ne blessez pas vos épouses avec la colère qui apparaît sur votre place proche de l’écran. Les choses semblent plus grandes quand elles sont racontées à la radio, alors ne croyez pas mes morts, ni mes blessés, ni mes veuves ni mes orphelins sous mon bras, ne croyez pas mon effondrement ni mon explosion, ne croyez pas ma langue, ni ma confusion face aux entités, et priez pour vous-mêmes, seulement pour vous-mêmes.
Voici mon sang, oui, ceci est mon sang.
Et dans un moment je dirai des mots de sang, alors ne vous trompez pas sur l’interprétation, car nous, les villes, nous sommes blessées par ceux qui arrêtent l’hymne, alors nous prononçons des paroles insupportables.
La moitié de la photo
Je t’ai beaucoup cherché
Par tous les moyens possibles
Partout où c’était possible
Même sur Internet
Je voulais juste connaître ton nom
Je n’ai rien trouvé
Absolument rien.
Alors j’ai essayé d’imaginer,
À partir de la moitié de la photo, que j’ai vue
J’ai imaginé
Que tu avais dix ans – plus ou moins –
Et que ta canine, qui chevauche tes dents de devant
Donne à ton sourire un charme irrésistible
Ta main gauche, visible sur la photo,
Tient un ballon jaune
Mais, je ne sais pas si tu as toujours ta main droite
Car la photo la cache complètement.
Quant à ta chemise usée,
Et ouverte jusqu’à la taille,
Ce n’est pas par désinvolture,
Comme je l’avais imaginé
J’ai agrandi la photo
Et j’ai découvert que la chemise n’avait pas de boutons
Ton nom, certes, je n’ai pas pu l’imaginer
Il peut être n’importe quoi
Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas que cela sur la photo
Des tentes, des restes de boîtes vides, et des enfants dormant sur le sable
Mais ce que j’ai découvert en fermant le fichier
C’est, en arrière-plan, ce chat mort
Et ses cinq petits essayant de téter.
Ô Maryam
Après toi Ô Maryam
Ô la petite fée des merles
Ô le silence du camp
Viens, jouons
Sur le chemin de l’école
Où tu jettes sur la douleur
Ta tresse ensoleillée
Et je ramasse derrière toi mille couleurs
Et je nage dans l’air enchanté
Tandis que la rosée se dépose
Et s’abandonne
Viens, Maryam
Le chardonneret a oublié son chant
Et le cœur s’est caché
Dans le nuage de son froid et de son silence
Ni réchauffé pour continuer sa vie
Ni refroidi pour se reposer dans la mort
Ni silencieux
Ni bavard
Ah, Maryam
Dure est la flûte
Et les cordes sont détendues
Mais tes rires
Argent sur l’eau
Brillent
Cherchant quelqu’un qui rêve
Cherchant quelqu’un qui comprend
Cherchant mon cœur
Cherchant Maryam
Poèmes choisis et traduits par Monia Boulila
Il y a une différence
Toute perception basée sur l’ouïe est une perception incomplète, qu’elle concerne Gaza, Ramallah ou Paris. Il ne vous suffit pas de suivre les chaînes satellitaires pour savoir ce qui se passe ; il ne vous suffit même pas de lire ce que les gens écrivent là-bas, ni de regarder des vidéos pour savoir. Il se passe des choses dans l’air, dans les odeurs, dans le tremblement de peur chez les enfants, dans l’odeur de la poudre mêlée aux atomes d’oxygène que les gens respirent, dans le fait de rester debout pendant des heures pour obtenir n’importe quelle chose ; il y a une différence entre lire la phrase « J’ai attendu sept heures pour une bouteille d’eau » et attendre réellement sept heures ; il y a une différence entre entendre parler des enfants qui pleurent et entendre votre propre votre fils qui crie pour un morceau « pain » ; il y a une différence entre entendre parler de la tente et vivre dans celle-ci, si vous en trouvez. Il y a toujours une différence entre entendre et vivre, et pour tout cela il faut savoir que celui qui entend n’a pas le droit d’élaborer un scénario pour la personne qui vit la situation, sur sa façon de se comporter, ni de l’appeler à quoi que ce soit, ni à la résistance ni à la défaite, et pas seulement parce que les habitants de Gaza connaissent mieux la réalité, mais parce qu’il y a une différence entre ce que vous savez et ce qu’ils savent… Il y a une différence, il y a une différence, autrement dit : il y a une différence.
Texte traduit par Lazhari Labter
(Un texte de Khaled Juma partagé sur Facebook par la poétesse et romancière Sonia Khader Kashou et traduit par Lazhari Labter)
Khaled Juma
Né à Rafah, le 25 octobre 1965, Juma a grandi dans le camp de réfugiés palestiniens d’Al-Shaboura, dans la bande de Gaza. Il est chef du département culturel de l’Agence palestinienne d’information et de presse (WAFA) et a été rédacteur en chef du magazine Roya pendant sept ans. Il possède un portefeuille de plus d’une trentaine de publications dans une variété de genres : poésie, poésie en prose, nouvelles, contes pour enfants, sketches télévisés, pièces de théâtre et plus de 100 chansons en arabe classique et en dialecte palestinien.
Juma a publié neuf recueils de poésie. Parmi ses livres pour enfants on note Le petit olivier, Le tapis magique, Le voyage du soleil, Les couleurs de la Palestine, Les histoires de mon grand-père, Le journal d’un germe, un titre éducatif sur l’hygiène, et Oreille noire, oreille blonde qui initie à la tolérance et à l’acceptation des autres. Three Legs a remporté la deuxième place au concours Diwan Al-Arab en 2006. Juma a écrit et adapté un certain nombre de pièces de théâtre. Gaza, Your Sea est une comédie musicale dansante.
Ses chansons ont été interprétées par des musiciens palestiniens tels que Said Murad, Moneim Adwan, Odeh Turjman, Mahmoud Al-Abbadi, Reem Talhami et Mohammad Assaf. Il a aussi écrit la chanson d’ouverture de la série télévisée palestinienne Amm Jbara. Ses œuvres ont été traduites en anglais, français, espagnol, allemand, bulgare, norvégien et néerlandais. Juma a fondé un groupe de danse folklorique à Gaza et organise des ateliers d’écriture créative pour enfants et adultes.
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