Lazhari Labter invité de Souffle inédit
Lazhari Labter, journaliste, poète et romancier algérien, est né à Laghouat en 1952 et réside à Alger. Son œuvre, riche et diversifiée, comprend des recueils de poésie tels que Yasmina ou les sept pierres de mon collier d’amour (2001) et Essentiel Désir – Diwan al ‘Ishq oua al-Ghazal (2013), des récits comme La cuillère et autres petits riens (2010, préfacé par Yasmina Khadra), ainsi que des essais marquants, notamment Journalistes algériens 1988-1998 – Chronique des années d’espoir et de terreur (2005, 2017). Il est également l’auteur de deux romans : Hiziya, Princesse d’amour des Ziban (2017) et Laghouat, la ville assassinée ou le Point de vue de Fromentin (2019).
Rencontre
Entretien conduit par Monia Boulila
M.B : Un long parcours professionnel et littéraire diversifié, riche d’expériences autour de l’écriture ? Quelle est l’expérience la plus belle et la plus forte ?
Lazhari Labter : Sans aucun doute celle qui m’a amené à revisiter et ensuite écrire sous forme de roman l’histoire d’amour de Hiziya qui nous a été rapportée par un immense poète du Sud algérien du nom de Mohamed Benguitoun dans une longue élégie consacrée à ce récit d’un amour juvénile brisé par la mort dans son élan printanier. Elle m’a permis d’aller au fond des choses concernant cette belle et tragique histoire d’amour qui a vu le jour à la fin du XIXe siècle, dans un village du nom de Sidi Khaled, non loin de la célèbre ville de Biskra, dans les monts des Ziban, au cœur de la steppe algérienne où les nomades transhument depuis des temps immémoriaux et de la mettre à la portée des jeunes lecteurs d’aujourd’hui pour qui la poésie populaire est un genre hermétique.
M.B : En tant que poète et romancier, quel rôle pouvez-vous assumer ou tenter d’assumer en ces temps qui ne cessent de changer ?
Lazhari Labter : Répande autant que possible la beauté et l’amour de la vie et faire en sorte, à chaque fois que l’occasion m’est offerte, de faire avancer la part de lumière qui est en chaque humain au détriment de la part d’ombre.
M.B : Pensez-vous que la poésie est encore suffisamment lue dans nos sociétés ? La poésie est-elle vraiment un art universel, sans frontières ?
Lazhari Labter : Oui, je crois que la poésie, exprimée dans toutes les langues et même « trahie » par les traductions se joue des frontières, touche tout le monde, sous des formes différentes, et ne laisse personne insensible, du moins ceux qui ont accès à cet art à nul autre pareil et qui en possèdent les clefs. Au commencement était le verbe et ce verbe était d’abord poésie dans les tous premiers textes que nous connaissons : les textes dits sacrés comme la Torah, La Bible, Le Coran ou les textes dit profane comme Gilgamesh, L’Iliade et l’Odyssée, Les Mille et Une nuit, etc. Le Cantique des cantiques qui célèbre les amours légendaires de Salomon et la Reine de Saba est un long et merveilleux poème d’amour et l’histoire de Joseph n’en est-elle pas une autre ?
M.B : Vos poètes préférés, qui vous ont marqués ?
Lazhari Labter : Oh, ils sont nombreux et certains m’habitent : Imrou’l Qays, Al Moutannabi, Qays ibn al moullawwah, Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont, Neruda, Saint John Perse, Kateb Yacine, Mahmoud Derwich, Nizar Qabbani, Abdalah Ben Kerriou, Mohamed Benguitoun et j’en passe.
J’aime toute la poésie mais en particulier la poésie amoureuse.
M.B : Vous faites un mélange de langues dans vos poèmes : est-ce un message d’appartenance ou de paix ?
Lazhari Labter : D’ouverture vers les autres, de partage, de rapprochement, de multiculturalisme, de paix aussi, oui de paix.
M.B : Si vous ne deviez garder qu’un seul mot de la langue arabe et un seul mot de la langue française ?
Lazhari Labter :
Houb
Amour
M.B : Votre premier roman, Hiziya Princesse d’amour des Ziban, un roman d’amour et historique ; comment est née l’idée de ce roman ?
Lazhari Labter : De ma passion pour les histoires d’amour et de l’un des plus beaux poèmes d’amour – en fait une élégie – de la poésie populaire algérienne du XIXe siècle écrit par un poète soufi du nom de Mohamed Benguitoun suite au décès brutal d’une jeune femme au printemps de sa vie répondant au nom de Hiziya, celle qui marche indolemment, follement éprise de son cousin S’ayyed qui l’aimait à la folie lui aussi.
M.B : Quel poème choisiriez-vous à offrir à nos lecteurs ?
Lazhari Labter : J’offre à vos lecteurs deux poèmes pour être en accord avec la conception de la générosité des gens du Sud et du Sahara auxquels j’appartiens.
LE PIED D’ÉBÈNE DE BILKIS SUR LE PAVE DE CRISTAL
On lui dit : Entrez dans ce palais.
Et quand elle le vit, elle pensa que c’était une pièce d’eau,
et releva le pan de sa robe, dénudant ses jambes.
C’est un édifice pavé de cristal, lui dit-il.
Coran, Sourate La fourmi
Car l’amour est plus fort que la mort,
Ses ardeurs sont des ardeurs de feu,
Une flamme de l’Éternel.
La Sainte Bible
Cantique des Cantiques
Bilkis est debout à l’entrée de la grande salle du palais de Salomon, belle comme Ève au premier matin du monde. Elle est comme une statue d’ébène sous la clarté de la lune. Ses cheveux tressés piqués de diamants tombent sur ses épaules dénudées comme une averse d’étoiles. Ses grands yeux noirs et doux de biche sont profonds comme la nuit, insondables comme l’espace. Ses lèvres roses et fruitées comme deux tranches de mandarine. Le contre-jour laisse deviner, sous le voile léger de sa robe, les formes d’un corps parfait. Sa silhouette se reflète sur les pavés de cristal comme dans une pièce d’eau claire. Elle soulève un pan de sa robe, découvrant le galbe parfait d’un mollet d’un noir de jais. Salomon est assis sur son trône majestueux. Il remarque l’hésitation de la Reine de Saba. Avec un sourire amusé, il se lève et lui dit :
SALOMON
Que tes pieds sont beaux dans ta chaussure, fille de prince !
Les contours de ta hanche sont comme des colliers,
Œuvre des mains d’un artiste
Ton sein est une coupe arrondie, Où le vin parfumé ne manque pas ;
Ton corps est un tas de froment,
Entouré de lis.
Tes deux seins sont comme deux faons,
Comme les jumeaux d’une gazelle.
Ton cou est comme une tour d’ivoire ;
Tes yeux sont comme les étangs de Hesbon,
Près de la porte de Bath Rabbim ;
Ton nez est comme la tour du Liban,
Qui regarde du côté de Damas.
Ta tête est élevée comme le Carmel,
Et les cheveux de ta tête sont comme la pourpre ;
Que tu es belle, que tu es agréable,
O mon amour, au milieu des délices !
Un roi est enchaîné par des boucles !..
Bilkis est sous le charme. Elle comprend que ce qu’elle avait pris pour un plan d’eau n’est que du cristal. Elle pose délicatement son pied d’ébène sur le sol translucide tout en regardant Salomon droit dans les yeux. Son cœur s’affole dans sa poitrine. Ses seins montent comme lève le pain sous l’effet de la levure. Dans sa tête, les mots chantent.
BILKIS
Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem,
Comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon.
Ne prenez pas garde à mon teint noir :
C’est le soleil qui m’a brûlée.
Les fils de ma mère se sont irrités contre moi,
Ils m’ont faite gardienne des vignes.
Ma vigne, à moi, je ne l’ai pas gardée.
Dis-moi, ô toi que mon cœur aime,
Car pourquoi serais-je comme une égarée
Près des troupeaux de tes compagnons ?
(…)
Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe,
Qui repose entre mes seins
Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troëne
Des vignes d’En Guédi.
Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es aimable !
Notre lit, c’est la verdure.
L’AÈDE
MA BIEN AIMEE EST A BILKIS UN MIROIR
MAIS JE NE SUIS NI ROI NI PROPHETE
JE NE POSSEDE NI PALAIS NI POUVOIR
JE N’AI POUR ELLE QUE DES MOTS DE POETE
Salomon se dirige vers Bilkis. Il traverse l’immense salon du palais pavé de cristal
que la Sabéenne avait pris pour de l’eau. Il est sous le charme.
SALOMON
Que tu es belle, mon amie, que tu es belle !
Tes yeux sont des colombes,
Derrière ton voile.
Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres,
Suspendues aux flancs de la montagne de Galaad.
Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues,
Qui remontent de l’abreuvoir ;
Toutes portent des jumeaux,
Aucune d’elles n’est stérile.
Tes lèvres sont comme un fil cramoisi,
Et ta bouche est charmante ;
Ta joue est comme une moitié de grenade,
Derrière ton voile.
Ton cou est comme la tour de David,
Bâtie pour être un arsenal ;
Mille boucliers y sont suspendus,
Tous les boucliers des héros.
Tes deux seins sont comme deux faons,
Comme les jumeaux d’une gazelle,
Qui paissent au milieu des lis.
Avant que le jour se rafraîchisse,
Et que les ombres fuient,
(…)
Tu es toute belle, mon amie,
Et il n’y a point en toi de défaut.
(…)
Que de charmes dans ton amour, ma sœur, ma fiancée !
Comme ton amour vaut mieux que le vin,
Et combien tes parfums sont plus suaves que tous les aromates !
Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée ;
Il y a sous ta langue du miel et du lait,
Et l’odeur de tes vêtements est comme l’odeur du Liban.
Tu es un jardin fermé, ma sœur, ma fiancée,
Une source fermée, une fontaine scellée.
Tes jets forment un jardin, où sont des grenadiers,
Avec les fruits les plus excellents,
Les troènes avec le nard ;
Le nard et le safran, le roseau aromatique et le cinnamome,
Avec tous les arbres qui donnent l’encens ;
La myrrhe et l’aloès,
Avec tous les principaux aromates ;
Une fontaine des jardins,
Une source d’eaux vives,
Des ruisseaux du Liban.
BILKIS
J’ai traversé la mer et les déserts et j’ai répondu à ton appel ô Salomon ; Maître des hommes, des animaux et des esprits. Je suis là devant toi, alors dis-moi : est-ce moi que tu voulais voir ou ma fortune que tu convoitais ?
SALOMON
Bilkis, ô Bilkis, Reine de Saba, beauté faite femme, je n’ai nul besoin de tes richesses, c’est toi que je désirais. À tes pieds je déroulerai des tapis d’or et de diamants, je ferai couler pour toi des rivières inconnues aux eaux immaculées où tu pourras tremper seule ton corps de houri, je ferai pousser pour toi seule des arbres du paradis et mieux encore, je t’offrirai le miel des meilleures ruches et le lait des plus robustes chamelles, les dates les plus succulentes des palmiers des plus belles oasis et leur bon legmi et leur jumar aussi, les oiseaux les plus fabuleux pour t’emporter au ciel et les esprits pour te servir.
Il y a soixante reines, quatre-vingts concubines,
Et des jeunes filles sans nombre.
Une seule est ma colombe, ma parfaite ;
Elle est l’unique de sa mère,
La préférée de celle qui lui donna le jour.
Les jeunes filles la voient, et la disent heureuse ;
Les reines et les concubines aussi, et elles la louent.
Qui est celle qui apparaît comme l’aurore,
Belle comme la lune, pure comme le soleil…
L’AÈDE
DE BILKIS MON AIMÉE N’ENVIE NI BEAUTÉ NI PANACHE
ET MOI NI LA PUISSANCE DE SALOMON NI SA RICHESSE
DE SON CŒUR J’AI FAIT MON PORT D’ATTACHE
ET DE SA PASSION JE ME NOURRIS SANS CESSE
Les textes en italique sont extraits du Cantique des Cantiques.
ATTACHE-MOI À TA CEINTURE
« Ha que plût aux Dieu que je fusse !
Ton miroir, à la fin que je pusse,
Te mirant dedans moi, te voir. »
Anacréon
I
Telle Aphrodite dans toute sa splendeur
Dévoilant sa nudité à Anchise son mortel amant
Et l’attachant avec sa ceinture magique
Mon amour des nuits joyeuses et des jours heureux
Ma petite des jours de crainte et des nuits d’effroi
Ma Déesse de l’amour et de la beauté
Mon hirondelle venue au printemps
Ma fontaine de Jouvence à l’automne de ma vie
Ma fille de joie et de plaisirs uniques
Ma Gazelle d’amour ma princesse ravie
Lie pour toujours mon feu mâle à ton eau femelle
II
Allongée sur le ventre des mèches de cheveux
Éparpillés sur ton épaule et ton sein en demi-lune
Belle de nuit blanche qui s’ouvre et s’épanouit
Coquillage aux coquilles qui se reflètent
Deux lunes qui se touchent et tremblent
Et tes monts de femme callipyge
Invitation à la joie au plaisir à la fête
Tu m’ouvres ta raie où mon désir se fige
Entre tes deux dunes qui m’invitent à tous les vertiges
Mon unique amour ma seule passion ma parfaite
III
Attache-moi à ta ceinture magique
Qui fait ta taille affinée et tes hanches parfaites
Attache-moi à toi comme Éros à son arc d’amour
Himéros son frère à la plus haute cime de l’Olympe
Prométhée enchaîné à son rocher aux confins de la terre
Ulysse au mât de son navire résistant au chant des sirènes
IV
Attache-moi à ta ceinture magique
Comme le poète à ses semelles de vent
À la porte le bouquet d’épi de blé porte-bonheur
Le fruit à la branche de l’arbre la fleur à sa tige
Le rescapé d’une noyade à sa planche de fortune
L’araignée à sa toile l’oursin à sa roche
La perle au coquillage le sable à la plage
L’enfant à son jouet le mendiant à son obole
Le soleil au jour et la lune la nuit au ciel
V
Attache-moi à ta ceinture magique
Comme à ton poignet le bracelet de perles
La bague d’amour à ton doigt passée
Le rouge carmin à tes belles lèvres
La main qui va si bien à ton sein
Le grain de beauté à ta lèvre
Ma folie à tes fièvres
VI
Attache-moi comme un bracelet à ta cheville
Un moineau fragile à la branche
Une colombe blanche au rameau d’olivier
À la force de son chant le cygne
Ma main douce à ta hanche
La grappe de raisin à la vigne
Le malade d’amour à ses fièvres
VII
En ces temps d’incertitude et d’inquiétude
Plus que jamais j’ai besoin de ton amour
Lune de mes nuits soleil de mes jours
Attache-moi à ta ceinture magique
Attache-moi à ta chevelure magnifique
À ton poignet à ton pied
À tes doigts à tes ongles
À tes cils à ton regard
À ton reflet à ton miroir
Attache-moi à toi pour toujours;