Poésie

Achour Fenni – Poètes sur tous les fronts

Achour Fenni, le passeur entêté de mots d’amour et de beauté

POÈTES SUR TOUS LES FRONTS

Par Lazhari LABTER

Achour Fenni est un poète au long cours qui occupe une place à part dans la Planète Poésie Algérienne.

Achour Fenni - Poètes sur tous les fronts

Né à Sétif, dans l’est de l’Algérie, en 1957, il se forme presque tout seul et grimpe les marches du savoir et de la culture jusqu’au niveau des études universitaires supérieures où il s’initie à l’économie politique et à l’économie de l’information qu’il enseigne par la suite à l’université d’Alger. Il devient membre de l’Union des écrivains algériens en 1994, membre de l’Union des écrivains arabes en 1995 après avoir été membre fondateur de l’Association de créateurs algériens en 1992.

Auteur de plusieurs recueils de poésie en langue arabe parmi lesquels Fleur de la vie en 1994, Un homme de poussière en 2003, Un printemps précoce en 2004, Il se peut qu’entre deux absences, on se retrouve en 2007 et J’en parle enfin en 2013 à propos duquel le poète, dramaturge et romancier Abderrazak Boukeba écrit : « Achour Fenni consacre un tiers de son recueil à sa femme car, bien qu’il lui ait donné un nom comme toutes les femmes de la terre, Houria (Liberté), il l’a élevée au rang d’un mythe qui devient plus mystérieux à mesure qu’on y croit. C’est peut-être ce qui renvoie le lecteur à la « Liberté » dans son sens absolu, et non à Houria, la femme de chair, de sang et de désir. Elle incarne toutes les femmes, se repose dans le rêve de tout homme, habite toutes les villes et le temps dort sur ses genoux. Une femme qui laisse sa marque et son parfum dans les montagnes, les sables, les mers, les champs et les cieux et incarne « l’image de l’homme » et personnifie « l’image de l’impossible », qui ne peut être atteint que par un langage qui ne peut s’expliquer que par la tristesse des rossignols. « Une Houria qui ne vient qu’une fois. Puis ses noms se multiplient à mesure qu’elle monte et descend comme une étoile errante. » »

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Entre 2002 et 2003, il traduit coup sur coup de l’arabe au français les recueils de poèmes Pluie de tentation de Mechri Ben Khalifa, Ce que voit le cœur nu de Ayache Yahyaoui, Découvrir l’ordinaire de Amar Merieche, L’Ascension de l’hirondelle de Ahmed Abdelkrim, Grappes nostalgiquesde  Lakhdar Fellous et Les âmes vacantes de Abdelhamid Benhaddouga.

Taquinant parfois la muse en langue française, il a aussi publié Noces d’eau en 2005 et certains de ses poèmes ont été traduits en anglais et en espagnol.

Cet amoureux des mots, passeur de beauté infatigable, d’Alger à Tamanrasset, il parcourt l’Algérie du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest et le monde, de la Colombie (Festival International de Poésie à Medellin en juin 2004, 2013 et 2023) au Pérou (Festival de la poésie de Lima en juillet 2013) en passant par le Venezuela (Festival International de Poésie de Caracas en Juillet 2016), le Canada,  la France, la Tunisie, le Maroc et tant d’autres pays, portant la parole des poètes algériens le plus loin possible et de l’Algérie dont il regrette qu’elle ne soit connue dans certains pays qu’à travers le film La bataille d’Alger de Gillo Pentecorvo et Les Damnés de la Terre de Frantz Fanon.

En juillet 2016, il fonde avec son ami le poète Slimane Djouadi « Beit Echi’r al-Djazaïri » (La Maison de la poésie algérienne) qui rencontre un grand succès et essaime très vite en 44 bureaux dans 44 wilayas du pays.

Secrétaire général de la Maison algérienne de la poésie et l’un de ses fondateurs, Achour Fenni a été élu coordinateur national du Mouvement mondial de la poésie en 2014, le plus grand et le plus important rassemblement de poètes au monde et de festivals de poésie, en marge de son premier congrès tenu cette année à Medellin.

Elu Coordinateur Continental du Mouvement mondial de la poésie pour l’Afrique lors de son premier congrès à Caracas en juillet 2023, il est élu le 21 septembre 2023, président de l’Association « Le Mouvement mondial de la poésie en Algérie » lors d’une assemblée générale constitutive tenue à Alger en présence de nombreux poètes et poétesses de tous les coins d’Algérie.

Le 28 septembre 2023, lors d’une assemblée générale extraordinaire de la Maison algérienne de la poésie tenue à Alger, il a décidé de passer la main en tant que secrétaire général à un autre poète pour pouvoir se consacrer au déploiement de la poésie africaine dans le monde.

Achour Fenni - Poètes sur tous les fronts
2 Membres du bureau de la poésie d’Alger De gauche à droite les poètes Kamel Cherchar, El Kheir Chouar, Fouzia Laradi, la présidente, Lazhari Labter et Achour Fenni

Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens avec les poètes pour cette rubrique de « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette couverture de livre ?

Achour Fenni - Poètes sur tous les fronts

Achour Fenni : Cette couverture me rappelle une expérience singulière, celle d’un atelier de traduction avec des amis du Centre international de la poésie de Marseille (CIPM)  en 2003 2004.

Lazhari Labter : Tu occupes, parmi tous les poètes de ta génération, une place particulière. Poète écrivant essentiellement en langue arabe, tu n’hésites pas à faire des infidélités à la langue d’Al Moutannabi en taquinant la muse dans la langue de Voltaire comme dans Noces d’eau publié en 2005 par les éditions Fidel Anthelme X à Marseille dans la collection La Motesta ou dans ton recueil inédit Un été entre les doigts, soit en composant directement en français soit en traduisant certains de tes poèmes de l’arabe au français. Pourquoi ce besoin d’écrire dans une autre langue, de traduire certains de tes poèmes dans cette langue ou encore de passer par un traducteur comme pour Fleur de la vie traduit de l’arabe au français par Abdecelem Ikhlef en 2002 ?

Achour Fenni : Je suis un grand amoureux des langues. J’ai essayé d’apprendre beaucoup de langues, à commencer par l’arabe standard, al fusha, que j’ai apprise par amour. N’ayant pas eu la chance de fréquenter l’école, comme la plupart des jeunes de ma génération, je me suis adonné à la lecture à l’aide des dictionnaires, ce qui m’a plongé plus dans l’amour des langues. L’enseignement par correspondance m’avait permis de disposer de temps libre pour lire de la littérature arabe, ancienne et moderne. Ensuite j’ai essayé d’apprendre le français en lisant des romans et en m’aidant des dictionnaires ; j’ai utilisé aussi la « Méthodes 90 de langue », pour apprendre l’anglais et l’espagnol. A l’université, j’étais obligé de prendre des cours de soutien de langues, essentiellement le français et l’anglais, pour pouvoir suivre les cours d’économie politique. Ce qui m’a ouvert les yeux sur la culture humaniste et sur la philosophie en général, mais surtout sur les poésies étrangères. Les Centres culturels étrangers, pendant les années quatre-vingts, m’ont aidé à me familiariser avec les cultures les plus diverses et les langues les plus différentes : français, espagnol, russe, bulgare. Les voyages et les participations à des festivals de poésie à travers le monde étaient l’occasion, pour moi, de vivre la diversité culturelle et linguistique et de goûter la tentation d’expérimenter mes capacités et de repousser, un peu, mes limites. J’ai participé à des ateliers d’écritures et de traduction de poésie. C’est très enrichissant comme expérience. Il m’arrive parfois de tenter d’écrire un poème dans plusieurs langues en même temps. C’est là où on éprouve le besoin de dépasser définitivement le clivage linguistique qui persiste dans notre champ culturel national. Je te remercie pour cette question.

Lazhari Labter : Ton ouverture sur les cultures du monde, ta fréquentation de poètes du monde entier, ta participation active à des festivals en Algérie et dans différents pays de différents continents fait de toi un internationaliste de la poésie. « Poètes de tous les pays unissez-vous ! » irait-elle pour toi comme slogan en paraphrasant celui célèbre de « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » lancé par Karl Marx avec qui tu partages la science de l’économie à défaut de partager la poésie puisqu’il n’était pas poète, lui ?

Achour Fenni : Oui, absolument.  La poésie est une tendance profonde dans la culture humaine. Toutes les cultures du monde ont en commun cet élément constitutif qu’est la poésie. Ce qui rend la communication facile et riche entre poètes et entres langues et cultures. La poésie n’est pas un simple fait linguistique, mais un fond esthétique et culturel. On apprend beaucoup en participant à des festivals multiculturels et multilinguistiques. On apprend surtout à écouter les autres et à s’adresser à un public de culture différente. C’est là le « génie » des langues et des cultures. Elles sont tellement différentes et tellement communicantes au même temps. C’est la base de toute création poétique : la diversité dans l’unité. Les poètes, malgré leurs subjectivités apparentes, peuvent s’unir autour des questions les plus diverses. C’est l’appel intuitif de l’humanité qui est à la base de toute vision universelle.

Lazhari Labter : Le 23 juillet 2016, dans le mythique café Tantonville d’Alger où a été fondé l’Union des écrivains algériens en 1963, avec le grand poète Slimane Djouadi, vous avez lancé un appel à tous les poètes algériens pour la création de « Beit Echi’r », terme intraduisible qui signifie à la fois La Maison de la Poésie et le vers poétique. Après avoir obtenu son agrément en tant qu’association nationale à caractère culturel le 22 octobre 2017 et depuis l’organisation d’une première rencontre autour du présent de la poésie algérienne du 19 au 21 mars 2018, le succès de s’est pas démenti puisque la Maison de la Poésie a essaimé en 40 bureaux de la Maison de la Poésie locaux dans toutes les régions du pays et les activités, soit locales soit nationales se succèdent. A quoi est dû ce succès qui a dépassé, j’imagine, toutes vos espérances de fondateurs de l’association ?

Achour Fenni : Merci pour ce rappel succinct. Effectivement, la création de cette association culturelle, « Beit Ech-chi’r El Djazairi », marque un moment de regain d’esprit du champ culturel algérien. Cela a été, surtout, un coup salutaire pour la poésie en Algérie qui commence à rattraper un peu sa place dans l’activité culturelle. C’est d’abord grâce à une vision inclusive de la poésie en Algérie, en invitant tous les poètes, de quelque tendance poétique qu’ils soient, de faire un effort pour la poésie et la culture. Puis une démarche participative envers les institutions, les établissements et les acteurs culturels pour conjuguer les efforts et fédérer les actions culturelles. Cela à permis de créer des synergies. Les poètes, sans ressources ni moyens, ont donné le meilleurs d’eux-mêmes. Qu’ils trouvent ici ma gratitude.

Lazhari Labter : Le lien très fort qui vous unit, toi et le poète Slimane Djouadi, est exceptionnel, au-delà de ton amitié pour tous les poètes dignes de ce nom. Quel en est le secret de cette entente complicité rares ? Est-ce l’amour que tu considères comme ta langue maternelle et qui est essentiel pour Slimane Djouadi ou est-ce autre chose ?

Achour Fenni : C’est d’abord un lien humain. Nous sommes des compagnons d’un long chemin, qui est celui de la poésie. J’ai connu Si Slimane, à la fin des années soixante-dix, à travers les médias comme tous les jeunes de mon âge. Il était à l’apogée de son envol poétique. Je l’ai rencontré à un festival poétique à Constantine, fin décembre 1981. Il était très proche des jeunes poètes que nous étions. On est resté amis en dépit des différences qui existent entre poètes. En ce jour de 23 juillet 2016, on s’est vu par hasard, au café Tontonville. A peine la discussion entamée, on est tombé d’accord pour lancer un appel aux poètes algériens pour venir au secours de la poésie, vu la situation dans laquelle on se trouvait. Lui, il était au courant de l’existence d’un projet s’appelant, « Beit Ech-chi’r », que j’ignorais. On s’est mis d’accord pour appeler à la création d’un espace alternatif.  Il lançait le titre, moi je n’avais pas d’objection. Aussitôt dit, aussitôt fait. L’appel était très bien accueilli par l’ensemble des poètes algériens. Grâce à la confiance qu’ils ont mise dans la démarche, et grâce à leur appui, le projet a abouti. La démarche participative aidant, nous avons pu développer une vision adéquate à la situation vécue par les poètes : faire rapprocher les actions poétiques des poètes, pour qu’ils soient eux-mêmes capables d’agir et d’organiser les activités selon leur besoin et celui de leur environnement immédiat. Cela nous a permis de mettre notre expérience d’organisation et de management culturel au service de la poésie. Le poète est devenu autonome, capable d’agir en toute autonomie en collaboration avec les structures culturelles de la région. Ça nous a permis, Slimane et moi, de développer des liens d’amitié avec tous les poètes et les acteurs culturels. Une amitié qui est née dans la beauté de la poésie et qui a mûrit dans le feu de l’action.

Lazhari Labter : Poète et traducteur, enseignant universitaire et chercheur, tu es sur tous les fronts, passant les frontières, dépassant les clivages linguistiques, passeur de beauté et d’amour, constructeur de ponts et de passerelles. Que signifie pour toi ce besoin d’être tout le temps en voyage culturel, artistique et littéraire, de festival en rencontre, de conférence en colloque et en séminaire ? Penses-tu que la poésie peut contribuer à rapprocher les hommes et à les rendre meilleurs ?

Achour Fenni : C’est d’abord une vie riche. J’ai la chance d’être soutenu par ma petite famille qui sacrifie beaucoup de choses pour que je puisse être disponible. Ensuite, l’expérience de vie se révèle très utile pour l’action culturelle. La traduction était ma passion personnelle avant de réaliser combien elle pouvait me venir en aide pendant les ateliers d’écritures et les festivals. Mon expérience académique m’a permis de formaliser, de concevoir, de rédiger les documents et de présenter nos projets d’une façon intelligible aux collègues et aux partenaires. Nous avons des amis poètes d’une grande sensibilité, qui n’ont jamais été à l’école. Et d’autres qui sont universitaires, dirigent de laboratoires de recherches dans les universités nationales et étrangères. Des poètes qui respirent notre air, et d’autres avec qui nous communiquons par les gestes. C’est pour dire l’éventail de relations qui sont possibles dans ce terrain d’action. Tout cela requière une attention et une concentration, mais donne aussi la chance d’être au milieu d’incroyables carrefours humains.

Lazhari Labter : Tu as participé plusieurs fois au congrès mondial de la poésie de Medellin, en Colombie. Quelles conclusions en tires-tu et quelles perspectives pour la poésie algérienne et pour notre pays qui a une diversité exceptionnelle d’expressions poétiques dans différentes langues et variantes de langues et qui a les moyens de faire d’Alger, sa capitale, une Mecque des Poètes comme elle était dans les années soixante-dix La Mecque des révolutionnaires ?

Achour Fenni : Le festival de Medellin est unique en son genre. Il a accompagné tout un peuple dans son périple et a réussi, bon gré mal gré, à créer sa propre histoire. Sa trajectoire culturelle et sociale mérite une étude à part. Les organisateurs misent sur les grandes valeurs humaines, comme la paix, la justice et la liberté, à travers les dimensions quantitatives : un grand nombre de poètes, un grand public, de grands évènements, pendant une durée considérable. Les poètes, venus des quatre coins du monde, découvrent un public universel de la poésie : il écoute les musiques des langues avant d’écouter le sens des textes à travers la traduction. Les poètes, en quelque sorte, se mesurent à ce public.

Ce qu’on peut tirer comme leçon, concerne d’abord la politique culturelle. Si la poésie occupe, traditionnellement, dans notre culture une place privilégiée, c’est qu’on peut concevoir des évènements poétiques de masse comme dans les Ouâda, et les festivals populaires à ciel ouvert. Mais ce qui prévaut dans les activités organisées depuis longtemps, ce sont des actions sporadiques, dans des espaces fermés, en donnant plus d’importance à la présence des représentants des autorités qui marquent l’ouverture ou la clôture officielle de l’évènement. On peut concevoir les choses autrement.

Ensuite, vient le souci du rôle de la poésie dans la société. Très tôt on a limité le rôle de la poésie aux expressions personnelles et subjectives. Cela relève des polémiques modernistes (d’autres diront post-modernistes). Alors que notre expérience historique collective nous enseigne que tous les évènements majeurs de notre histoire étaient jalonnés par de grands textes poétiques. Jalonnés ? Parfois ce sont les textes eux-mêmes qui sont « évènements » historiques ». On ne peut pas nier tout cela pour répondre à une supposée « condition » « moderniste » ou « postmoderniste » encore en gestation depuis plus de trois ou quatre de siècles. Ce rôle supposé être « moderniste » coexiste avec les fonctions sociales et culturelles de la poésie, malgré la négation continue par les critiques et les politiques.

Enfin une leçon concerne la langue. Le festival de Medellin intègre la diversité linguistique comme élément poétique. Les poètes sont invités à déclamer leurs poèmes dans leurs langues d’origine avant de lire la traduction des textes. C’est une expérience authentique que d’entendre la musicalité spécifique d’un poème dans sa langue avant d’écouter sa texture du sens ou son objet. Notre diversité linguistique peut se prêter à ce jeu si les choix des organisateurs d’évènement intègrent cette dimension dans leurs politiques. Nous l’avons fait il y a juste une année au cours de la journée nationale de la poésie, où se sont produit poètes de « melhoun » (populaire) aux côtés des poètes « fasih » (classique), et des poètes  du « targui » (langue touaregue) avec des poètes de « hassani »,  du « kabyle » avec du « mzabi » (langue des Mozabites). Une diversité poétique dans une unité culturelle extraordinaire. Le seul qui a mal accepté la chose était celui qui avait le monopole de lire ses poèmes à l’ouverture et à la clôture de chaque évènement poétique.

Lazhari Labter : Tu as déclaré et tu le répètes souvent que les peuples peuvent se passer de football puisqu’ils ont vécu des siècles sans football et que ce dernier, comme tous les jeux populaires, sont utilisés depuis toujours pour faire oublier aux peuples leur misère et leur solitude aux individus en leur permettant de communier ensemble dans les arènes hier et dans les stades aujourd’hui. Penses-tu vraiment que les arts et la culture, de manière générale, et la poésie en particulier peuvent combler le vide que laisseraient les jeux sportifs collectifs et le football plus particulièrement s’ils venaient à perdre de leur intérêt auprès des masses populaires ?

Achour Fenni : Oui, absolument. Il s’agit là des politiques de socialisation massives. Avant c’était l’école, le théâtre, le cinéma et la télévision. Les jeux et les loisirs, émergent avec l’ère de consommation massive. Le football obéit aux règles de l’endoctrinement collective. Il a trouvé une place prépondérante dans les politiques des régimes peu démocratiques, qui préfèrent le formatage collectif des consciences. Les techniques de marketing aidant, les politiques jouent avec les « paramètres » des publics à travers ce qu’on appelle l’ingénierie sociale. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, ces techniques ont connu un développement et des réussites extraordinaires. Si les politiques culturelles changent, le comportement des publics changent aussi. C’est pour cela que nous considérons les arts, et surtout la poésie, comme le contrepoids des tendances hégémoniques dans les politiques culturelles globales.

L’être humain moderne est capable de contrecarrer ces tendances hégémoniques à travers des choix personnels qui échappent à l’ingénierie sociale. La poésie en est la démonstration parfaite.

Poème choisi

Le Printemps Précoce

Un poème de Achour Fenni traduit de l’arabe par son auteur

 

Le printemps venant plus tôt

Glisse une rose dans ma montre

Et s’en va

Déjà deux heures se sont écoulées

Me voilà

Perdu dans d’interminables calculs

Ton parfum envahit tout ce qui m’entoure.

 

Le printemps

Venant d’où je ne l’attendais pas

Sème sa verdure dans le sang des amoureux

Et prend leurs âmes roses sur les branches

Et moi,

L’amandier bourgeonnant à peine

Ma chère fleur prend ma main

Me promène dans des nouveaux vergers

Exposant aux dangers

Tous ses meilleurs bourgeons.

 

Le printemps qui m’entoure de tous côtés

Me fait plus d’horizons

Et prolonge d’une heure ma vie

Il porte mes pulsations

Faisant des pas dans mon sang

Me voilà parti dans tous les sens

Je porte la joie de la terre*Et de toutes les mères.

 

Le printemps qui éveille l’Andalousie

Aux alentours

Eparpille l’arc-en-ciel

Déborde’ mon cœur

Puis sonne le glas

Moi,

Je prends l’étincelle

Ébloui, j’avance la cachant des veilleurs de nuits c !

 

Le printemps

Que ma main a oublié

Est ramené par l’hirondelle d’éternité

Moi,

Je fixe des yeux une carte muette

Et mes mains sur mon cœur

Une hirondelle suffit-elle

Pour que le printemps revienne ?

 

Le printemps est passé dans la foule

À jamais

N’était-il qu’une grande illusion qui caresse mon esprit ?

Et moi depuis vingt ans

Perdu,

J’erre pour découvrir les autres !

 

Le printemps qui déchire le silence de pierre

Par sa verte lumière

Et d’où sort une senteur

Et des merveilles de son cœur

Erre dans les yeux des gens

Dans la nuit

Embrasse les balcons

Il envoie un rêve frapper aux fenêtres

Jusqu’à l’aube

Voyant son corps perfide

Il se retire

Et se suicide !

 

Le printemps

Qui n’a jamais trahi

Aménage sa terre pour se promener

Et n’attend personne !

 

Le printemps

Jamais cité dans un livre

Voyant les chiens aboyer

Se faufile entre lettres et guerres

Et s’installe sur terre.

Ce sont les cœurs qui s’échangent la mort

Les balles, elles ne tuent que les corps !

Dis-leur que je suis un œil qui voit

Un messie qui réconcilie tous les villages

Où qu’il marche fleurit un nouveau paysage !

Dis-leur que je ne viens qu’une seule fois

Et je demeure,

Vivant, attaché à ma terre

Quand l’écume s’en va !

 

Le printemps

Est venu très prudent

Pourchassé par les tirs de l’hiver

Il se retourne :

À chaque pas un fossé

Il respire éparpillant les roses

Il avance

Suivant le chemin des martyrs !

Le poète 

Lazhari LABTER

Poète, enseignant-chercheur, traducteur

Poètes sur tous les fronts

Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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