Murielle Compère-Demarcy invitée de Souffle inédit

Poésie
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Murielle Compère-Demarcy – En compagnie des soleils noirs de la poésie

Entretien conduit par Grégory Rateau

Pour cette poétesse aussi critique littéraire, la poésie est un cri, une déflagration. Passionnée de Patti Smith, de Cendrars ou encore de Artaud, Murielle ne fait aucune concession dans son travail d’écriture. Elle dirige la collection « Présences d’écriture » des éditions Douro.

G.R : Dans vos poèmes hommages à Artaud Alchimiste du soleil pulvérisé vous écrivez :

Cloaque-langue de mots dits de l’Écrouloir
où tombe la langue, s’effondre le sens
pour que ressurgisse de l’agonie, des espoirs
cloués
aux faux soleils, aux fausses fenêtres de
l’effondrement
la verticale
de
l’Être

Parlez-nous du sens que la poésie donne encore à votre vie et celui que vous essayez de communiquer, voire plutôt d’insuffler à celles et ceux qui vous liront ?

Murielle Compère-Demarcy : Si je pouvais insuffler un élan à d’autres au contact de mes textes, ce serait de voir/entendre ces textes incarner sur une scène qui, certes, est l’espace-temps de la représentation, mais la dimension où la colonne d’air du corps ingérant/mastiquant/vociférant le texte donne sa chair au Langage.A vrai dire, l’on n’y pense pas lorsqu’on écrit. Ça s’écrit, ça s’exprime, comme le cours fluvial inexorablement en route vers la mer où, tout se joue au lieu-dit du mascaret. Ou du travail des vagues sur la Falaise du Dire, friable, parfois attaquée de justesse.

La poésie est une expérience viscérale d’où l’on ne revient pas tout à fait indemne, si l’on peut en revenir. Voix incantatoire, au chant chamanique pouvant monter jusqu’à la transe et qui par l’ivresse sonore et sémantique du Langage, désarticule le Verbe même, ne le laisse pas en paix ni l’état émotionnel intact. Expérience éprouvante qui se communique si l’expérience des limites est consentie, ressentie, accueillie. Si celui ou celle qui la profère parvient aussi à faire et voir coïncider ce qui se trame et ce qui, se disant, croit ou tente de provoquer une sorte de turbulence. Je ne cherche pas à « faire poème », cela se fait comme d’un cri régénérant sa décharge ou sa force de frappe à chaque envoi. Cela trébuche et ricoche. Où finit la ligne fracassée, en pointillés, du galet qui ricoche ? qui le sait ?

Murielle Compère-Demarcy invité de Souffle inédit
G.R : Vous écrivez donc par nécessité vitale, vous ordonnez votre quotidien dans le but de continuer ? Jamais découragée ?

Murielle Compère-Demarcy : Je n’ordonne pas mon quotidien, il s’agit plutôt d’une énergie qui me traverse et me rend insatiable, assoiffée de mots qui m’assoiffent. Si rien ne s’écrit, je tombe malade. La pose littéraire me révulse. Ecrire serait plutôt une règle de vie. Au sein d’une polyphonie cosmique/organique où les morts et les cadavres successifs de soi nourrissent le vivant.

G.R : Vous lire est une expérience physique, un cri également. Engagez-vous votre propre corps dans cette lutte avec les mots ?

Murielle Compère-Demarcy : L’écriture est vécue comme un éclair qui me traverse des pieds à la tête (pieds-talons-pointes/corps-tronc/tête/pieds-talons-pointes…) mais pas seulement, car l’éclair est dans la spontanéité foudroyante ce qui n’est pas tenable dans la durée. Entre, il y a, l’insomnie qui veille la nuit, les cadrages-débordements, les chutes où l’on apprend à tomber pour mieux -ou pas moins bien- se relever.
C’est pour cela que j’ai écrit des poèmes comme on se dépasse dans le sport (« Le tournoi des VI poèmes-nations par exemple ; « Je marche, je marche » aussi ; Spire parlait, même s’il y a longtemps, du plaisir poétique érotique et musculaire.

G.R : Je parle de lutte car je sens que vous cherchez à ne pas museler les mots sur le papier, je me trompe ?

Murielle Compère-Demarcy : A moins que je ne possède pas assez de filtres pour cela. Mais peut-être est-ce plus de l’ordre d’un CRI proféré pour amplifier l’écart de la mise en orbite. J’ai toujours vécu la force du Langage ainsi. Happée par le trou noir, sans y tomber (du moins pas encore…).

G.R : Vers libres courts ou longs, proses déployées ou taillées à l’os, dans un geste nerveux, un souffle parfois continu, vous semblez faire une course de fond de publication en publication, vous révolter le poing levé et dans une certaine urgence. Contre quoi contre qui luttez-vous ? Le temps qui passe ? Vous-même ? Le consumérisme ? La bêtise ? La mort ?

Murielle Compère-Demarcy : Tout à fait et je vous remercie de ce constat, même si écrire ainsi ne soit pas forcément fédérateur. Cela peut être éprouvant pour qui essaie de suivre, voire invivable. Ecrire contre… le Contre-Ciel de Daumal ? … Dans tous les cas, le refus des contours, des aires circonscrites : une fois encore, le cadrage-débordement.
Ma plus forte bataille : la liberté individuelle (pourvu qu’elle n’impacte pas de façon nuisible celle des autres). Sans perdre du vue le collectif . Dans le jet fulgurant et le temps long expansif des métamorphoses .Je suis FOLLE de LiBERTE. Une rage de liberté qui me fait marcher avec ma solitude (ouverte à chaque virage pris au cordeau).

Murielle Compère-Demarcy invité de Souffle inédit
G.R : Vous multipliez les notes de lectures depuis un certain nombre d’années. Que vous apporte la critique littéraire dans votre propre travail d’écriture ?

Murielle Compère-Demarcy : Ecrire sur, c’est écrire, un grain d’orage dans la bouche près d’exploser et de vous imploser si cela n’éclate pas. Du moins est-ce ainsi que j’entre dans le texte. Je ne peux pas lire passivement, de toutes façons. Dès qu’une rencontre a lieu avec un auteur, un texte, une œuvre, j’écris en ingérant ce que je lis et il arrive que mon cerveau ait anticipé ce qu’il lit quelques secondes après. Lire peut m’arracher des larmes. Ecrire sans lire les autres, enferre, enferme. Lire peut être un véritable coup de foudre. Il m’est arrivée de passer à côté de la faim, ou de manquer un train à cause d’une lecture (trop) immersive. Pour l’anecdote : un jour j’attendais le seul train qui allait me mener sur Paris afin de prendre mon TGV vers Aix-en-Provence où je me rendais pour un Festival de lectures. Immergée totalement dans le texte, j’ai raté mon train TER . J’ai dû prendre un taxi qui pour 160 euros m’a amenée à Paris où j’ai pu de justesse prendre mon TGV. La passion littéraire est une passion qui peut vous coûter cher (rire)…

G.R : Quelle place occupe encore le poète dans nos sociétés ? En a-t-il seulement jamais eu une ?

Murielle Compère-Demarcy : Je peux prendre un joker ? S’il ne peut changer le monde, le poète peut toujours en changer pour nous emporter dans sa trajectoire. Qui le lit peut le suivre, ou pas.

G.R : Pour finir parlez-nous de votre prochain livre en cours.

Murielle Compère-Demarcy : J’ai commencé un roman depuis 2019 avec le confinement dû à la crise sanitaire et la pandémie mondiale du Covid. J’en suis à la page 274 et des poussières.

J’espère sortir un recueil de poèmes sur l’insomnie prochainement.

Extrait de sa poésie 

ALCHIMISTE DU SOLEIL PULVÉRISÉ
– 29 –
Ne pas se décider à les guérir,
les meurtrir comme nous meurtrit
ce vilebrequin dans le crâne
qui ose, attaque la fêlure
agrandit la fente ouverte par le cri primal
qui ose tenter nous ensevelir
et nous coupe
et nous scie
la tête,
l’Outre-tombe en dedans.
Cerveau-freux désailé
Cerveau-Cigale aux élytres dépareillés
Coupés
en
deux
*
Se rogne la Falaise
dans son effritement de craie
de langues de silex
Gratte la Falaise effritée du Dire
le squelette des doigts de sable
et de nacre jusqu’aux os de l’insomnie
quêtant la perle des algues
sous l’écume des vagues
dans les obscurités sous-marines.

La poéstesse
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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