Sur le peu de révolution de Noël et Surya : « … un rêve si long… »
Les jeudis d’Hyacinthe
Un petit livre d’à peine soixante et onze pages, qui coûte douze bons euros, se prend − sous une couverture jaune, un titre rouge sang et les noms des auteurs en noir −, pour un manuel révolutionnaire. Sur le peu de révolution, est le choix de textes extraits de la correspondance entre Bernard Noël et Michel Surya, de lettres et sûrement, par la suite, de courriers électroniques, échangés entre les deux hommes du 20 mai 1991 au 8 octobre 2019.
C’est, notons-le bien, Michel Surya qui ouvre et ferme le petit volume, comme si Bernard Noël (1930-2021), par ce choix, passait le flambeau à son cadet. Le livre est certes intéressant, on y apprend tant de choses sur la relation entre les deux hommes, écrivains, notamment entre un poète, Bernard Noël, et son commentateur, puisque Michel Surya a, en 2011, aux éditions Lignes, qu’il a fondées et qu’il dirige, publié un essai de quatre-vingt-seize pages, intitulé Le polième (Bernard Noël). Ouvrage qui, comme l’a bien précisé Cioran à propos de Blanchot commentant Mallarmé, « a le génie de tout obscurcir ». Et à juste titre, tant Michel Surya, en spécialiste de Bataille puis de Blanchot, ramène tout à ces deux derniers. En quoi, d’ailleurs, il est pire que les universitaires qu’il feint de mépriser car il ne cesse de tout ramener à ses propres références, ce qui, en soi, est un dogmatisme des plus dangereux.
À ce titre, Sur le peu de révolution regorge de perles qui, avec tout l’intérêt que le petit ouvrage peut nous offrir, montre pourquoi la France peine à vivre quelque révolution que ce soit, tant tout est placé sous le signe de l’abstraction, de l’expectative et, pis encore, de l’orgueil. Sommes-nous injustes ? Sommes-nous trop critiques ? Bien sûr que non. Nous sommes à peine en colère, fort de cette juste colère qu’éprouvent ceux qui lisent, ceux qui cherchent à savoir et à voir, en vain. Tout est nombrilisme dans ce livre. Même si cela semble improbable chez Bernard Noël, la nature de l’échange avec Michel Surya, qui va du vouvoiement au tutoiement (le premier datant du 1er septembre 2000, soit après neuf ans d’échanges [Cf. p. 17]), tend à ne pas, à ne jamais vraiment creuser le sens de la prétendue révolution, en dehors de quelques velléités d’écriture. Ainsi, rien n’est dit concernant les Printemps arabes. Aucun espoir, aucune réelle lecture à ce sujet, comme si ce qui n’était ni français ni européen n’existait pas. C’est à bien des égards tristes, voire affligeants. Cet aveuglement, que les deux hommes ont pu développer, chacun à sa manière, témoigne de l’échec de toute cette entreprise de fausse réflexion.
Comment, encore, ne pas s’en rendre compte, lorsque nous lisons ceci : « Je m’accuse plutôt de n’avoir jamais été militant, donc d’être resté du côté de l’écart avec pour lien éventuel l’indignation. Il faudra en effet que nous finissions par en parler. Je ne sais si la politique est morte. Peut-être. Quant à la Révolution, ce fut un rêve si long qu’il a dû atteindre à la réalité. Est-ce la preuve qu’il s’agissait bien d’un rêve ? C’est possible. Je suis souvent obsédé par ce titre de Giordano Bruno : La Cendre des idées. Je me demande soudain si je ne transforme pas en pensant au penseur qu’on a brûlé. La littérature, c’est posthume et parfois je me sens très fatigué. » (p. 46)
Tout est, pour ainsi dire, bien balancé, comme des katas, gestes artistiques, presque calligraphiques, au vent, mais ceux-là, contre un arbre, un tigre (quand bien même en papier) ou un guerrier expérimenté, porteront-ils ? « Le bois ne rend pas les coups », disait Bruce Lee dans un superbe film posthume, Opération Dragon (1973).
Comment ne pas lire dans ce qui précède l’inanité de cette entreprise, celle de Bernard Noël dans ce qu’il écrit à Surya (le 26 avril 2007), et bien sûr de ce livre commun. Tout est, chez eux, affaire de formules vaines, de littérature, dans ce sens que le bon Verlaine donnait à ce mot à la fin de son « Art poétique » : « Et tout le reste est littérature. »
Le point final est de l’auteur de Jadis et Naguère. À nos yeux, il est aussi tranchant que le couperet de la guillotine ou celui du mot révolution, ou mieux Révolution, oui, avec une majuscule, car, même si les deux épistoliers s’amusent en citant un livre aujourd’hui introuvable du défunt Alain Jouffroy (L’incurable retard des mots suivi de Discours sur le peu de révolution, Pauvert, 1972), celle-ci, n’en déplaise aux bourgeois inféodés ou aux pseudo-gauchistes manquant d’altérité et par là même d’humanité (il suffit de découvrir le sommaire du numéro à venir en octobre de la revue Lignes, avec les Gleize, les Hanna, les Cauwet et les Prigent, pour s’en rendre compte… mais nous y reviendrons, peut-être), existe bel et bien, est même possible, et elle frappera, en France, en Europe, quand le fruit sera mûr.
Voilà qui est dit, mais allons plus loin : Sur le peu de révolution – soulignons, encore une fois la minuscule −, est un livre à lire pour savoir que cette pseudo gauche intellectuelle est à peine capable de faire un travail de documentation sur les vraies révolutions, à travers Le dictionnaire de la Commune de Bernard Noël ou La révolution rêvée de Michel Surya. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a rien qui puisse allumer la flamme, ni même faire déplacer une pièce sur l’échiquier. Ce ne sont que des paroles. Vaines paroles. Vanité tout court. À bon entendeur, la Révolution. Aux autres, le néant.
Bernard Noël et Michel Surya, Sur le peu de révolution,
La Nerthe, été 2020, 71 pages, 12 euros, ISBN : 978-2-490774-04-3.