Pablo Neruda – Le Poète des Amours et des Révolutions
Je t’aime
Je t’aime d’une manière inexplicable,
de nature inavouable de façon contradictoire.
Je t’aime
Avec mes états d’âme qui sont nombreux,
Et mes changements d’humeur continuels
Pour ce que tu sais déjà,
Le temps, la vie, la mort …
Je t’aime …
Avec ce monde que je ne comprends pas,
Avec ces gens qui ne saisissent rien,
Avec l’ambivalence de mon âme,
Avec l’incohérence de mes actes,
Avec la fatalité du destin,
Avec la conspiration du désir,
Avec l’ambiguïté des faits
Même quand je dis que je ne t’aime pas, je t’aime,
Même si je triche, je ne triche pas,
Dans le fond, j’exécute un plan,
Pour t’aimer encore mieux
Je t’aime …
Sans réfléchir, inconsciemment,
Irresponsablement, spontanément,
Involontairement, instinctivement,
Par impulsion, irrationnellement.
En effet, je n’ai pas d’arguments logiques,
Même improvisés…
Pour expliquer cet amour que je ressens pour toi,
Qui a émergé mystérieusement de nulle part,
Qui magiquement n’a pas été rien,
Et qui miraculeusement, d’un peu, avec peu et rien
a amélioré le pire qui était en moi.
Je t’aime,
Je t’aime avec un corps qui ne pense pas,
Avec un cœur qui ne raisonne pas,
Avec une tête qui ne se coordonne pas.
Je t’aime
Incompréhensiblement
Sans m’étonner de pourquoi
Je t’aime,
Sans m’importer de pourquoi je t’aime,
Sans me questionner de pourquoi je t’aime.
Je t’aime,
Tout simplement parce que je t’aime,
Même moi je ne sais pourquoi je t’aime !
Je t’aime.
Sonnet 21
Que tout, que tout l’amour propage en moi sa bouche,
que je ne souffre plus un moment sans printemps,
à la douleur je n’ai vendu que mes mains seules,
maintenant, bien aimée, que tes baisers me restent.
Couvre de ton parfum l’éclat du mois ouvert,
les portes, ferme-les avec ta chevelure,
quant à moi, n’oublie pas : si je m’éveille et pleure,
c’est qu’en dormant je ne suis qu’un enfant perdu
qui cherche tes mains dans les feuilles de la nuit,
et le contact du blé que tu me communiques,
étincelante extase et d’ombre et d’énergie.
Oh ma bien aimée, rien d’autre que de l’ombre,
de l’ombre où tu m’accompagnerais dans tes songes
et là tu me dirais l’heure de la lumière.
La Centaine d’amour – Editions Gallimard
Pablo Neruda
Pablo Neruda, de son vrai nom Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto, est né le 12 juillet 1904 à Parral, dans la région du Maule, au Chili. Poète, écrivain, diplomate, homme politique et intellectuel chilien, il est considéré comme l’un des plus grands poètes de langue espagnole du XXe siècle.
Dès son jeune âge, Neruda manifeste une prédisposition pour la poésie. Son premier recueil, Crepusculario, publié en 1923, révèle un talent prometteur. L’année suivante, il fait paraître Vingt poèmes d’amour et une chanson d’ésespoir, une œuvre marquée par son lyrisme sensuel et passionné, qui deviendra l’une des collections poétiques les plus populaires de la littérature mondiale.
En plus de sa carrière littéraire, Neruda a joué un rôle actif dans la sphère publique. Diplômé en français, il devient diplomate et occupe des postes dans plusieurs pays, notamment en Asie, en Europe et en Amérique latine. Ces expériences enrichissent sa poésie, l’ouvrant aux réalités politiques et sociales du monde.
Militant communiste, il s’engage avec ferveur dans la lutte pour la justice sociale. En 1945, il est élu au Sénat chilien, mais son opposition à la politique du président Gabriel González Videla le contraint à l’exil en 1948. Cette période renforce son engagement politique et l’influence de ses convictions sur son œuvre.
Son recueil épique, Canto General, publié en 1950, est une vaste fresque poétique qui retrace l’histoire et les luttes de l’Amérique latine, affirmant son rôle de poète engagé. Cette œuvre, comme beaucoup d’autres, témoigne de la richesse de sa langue, de son imagination débordante et de son humanisme profond.
Pablo Neruda reçoit le prix Nobel de littérature en 1971, une distinction qui couronne une carrière exceptionnelle et une contribution immense à la littérature mondiale. Cependant, sa vie prend une tournure tragique avec le coup d’État de 1973 au Chili, qui renverse le gouvernement d’Allende, un de ses amis proches. Gravement malade, il meurt le 23 septembre 1973, à Santiago, dans des circonstances encore controversées.
L’héritage de Pablo Neruda réside dans son œuvre colossale, traversée par des thèmes universels tels que l’amour, la nature, l’engagement politique et la beauté du quotidien. Sa voix poétique continue de résonner, inspirant des générations de lecteurs à travers le monde.