Pedro Vianna – Mercredi en Poésie
Mercredi en Poésie avec Pedro Vianna
À Paris
il est trois heures.
Les éboueurs ramassent
les ordures de la journée.
Il est trois heures
à Paris.
Dans une chambre
quelqu’un demande pardon.
Derrière les rideaux
des gens font l’amour.
À Paris
il est trois heures.
Derrière les rideaux
des gens pleurent seuls.
Dans une chambre
un ouvrier se lève.
Il est trois heures
à Paris.
Sur les quais de la Seine
un homme marche.
De l’usine
des ouvriers sortent.
À Paris
il est trois heures.
Dans les couloirs du métro
un homme dort.
Dans l’usine occupée
on veille toute la nuit.
Il est trois heures
à Paris.
Dans les bars
on boit encore.
Dans la clinique naît
un enfant.
À Paris
il est trois heures.
Un homme saute
dans la Seine.
Quelque part
on boit le café au lait.
Il est trois heures
à Paris.
Comme il le fut à Moscou.
Comme il le sera à Rio.
À Paris
il est trois heures.
Bobigny, juin 1975
Pedro Vianna
in Poèmes d’amour et de révolution
DÉBUT DE RÊVE
Ce soir
j’aurais aimé
que tu sois là
que nous partions ensemble
à travers la nuit
pour découvrir
l’autre côté
du silence
PedroVianna
Paris, 13.XI.1976
XXXI
Comme une vague
de mer rageuse
je m’élève sur mes pieds
tendu
le dos arqué
comme le guépard qui guette
et je tombe
pour m’éclater serein
contre les rives de ton corps
Paris, 22.VII.1977
Pedro Vianna
in Synthèse(s)
SURVIE
Je me fais mal
j’en souffre
je souffre
je crie
je hurle
j’en meurs
je me flagelle
je m’exorcise
me terrorise
je m’étouffe
je m’étrangle
m’estropie
je m’hallucine
je m’abomine
me guillotine
pose ma tête à mes côtés
l’écoute
et me viole
et me déchire
et m’arrache à moi-même
m’expulse
j’accouche de moi-même
couche sur la feuille blanche
quelques vers en chair et en sang
et je me fais mal
j’en souffre
je souffre
je crie
je hurle
j’en meurs
de quelques vers en chair et en sang
de quelques mots en sang et en os
j’en renais
Pedro Vianna
Paris, 16.V.1980
in Bribes
*****
Égaré sur le seuil de l’histoire
il hésitait
sans savoir si la porte d’entrée
était sa seule issue
Il essayait d’interroger la lune
qui se contentait de lui renvoyer son image
inversée
Il en venait alors à se dire
que partir
était le seul moyen d’y entrer
et quand le soleil se levait
orphelin des aubes rassurantes
il se noyait dans le trop-plein de clarté
Il allait alors se coucher
en espérant que la nouvelle lune
lui apporterait le repos
Mais dans le ciel bleu de nuit
il ne discernait qu’un point d’interrogation
Pedro Vianna
Paris, 5.IV.1993
in Voix
Pour Éric
……
Tout avait été dit
et pourtant
tant restait à dire
ce tant qui restait à construire
qui était en construction
l’absence de secret
s’est muée en secret de l’absence
la lumière de ta présence
n’est désormais
que la présence de ta lumière
absente
Pedro Vianna
Paris, 28.VI.2018
****
Parti de néant
toute sa vie durant
sinueux
tortueux
dangereux
il s’affaira
s’esquinta
se brisa
trimant comme un fada
pour se frayer une route
jalonnée de rivaux en déroute
fuyant ses manigances
jour après jour
mépris après mépris
traîtrise après traîtrise
il acheva son œuvre
son chemin
ce chemin
qui le conduit
au néant.
Pedro,Vianna
Verona (aeroporto), 24.VI.2024
in Errements
Pedro Vianna, né en 1948, à Rio de Janeiro (Brésil), vit en France depuis la fin de 1973, après avoir été exilé au Chili depuis janvier 1971. Trilingue (français, espagnol et portugais), il est poète, homme de théâtre, traducteur. Économiste de formation, ancien professeur de mathématiques, il est engagé depuis presque 50 ans dans la défense des migrants en général et des réfugiés en particulier. Directeur de Documentation Réfugiés de 1987 à 1994, de 1999 à 2015, il a été le rédacteur en chef de la revue Migrations Société, au conseil scientifique de laquelle il continue de siéger après sa retraite. Il enseigne au mastère international Mobilité humaine de l’Université de Valencia (Histoire de migrations et Politiques migratoires comparées). De 2004 à 2009, il a siégé à la Cour nationale du droit d’asile en tant que juge assesseur désigné par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
Pedro Vianna a écrit sous sa seule signature une vingtaine d’œuvres pour la scène, dont plusieurs ont été jouées au Chili, en Finlande, en France et en Suède. En outre, son compagnon Éric Meyleuc, décédé brusquement en 2018, et lui ont signé ensemble une douzaine de spectacles théâtraux. Ensemble, ils ont aussi créé pendant presque dix-huit ans des récitals et des spectacles poétiques à partir de leurs poèmes et de ceux d’autres auteurs. De même, ils ont réalisé de nombreuses mises en scène, dans lesquelles ils jouaient également, soit de leurs propres textes, soit de textes d’auteurs connus (Eschyle, Dostoïevski, Gogol) ou moins connus (Maurice Audebert, Dominique Feniès, Nicolle Leclercq…).
Plusieurs des poèmes de P. Vianna ont été traduits et publiés en espagnol, portugais, italien, suédois, tamoul. Il a acquis la nationalité française en mars 1980. Outre des parutions dans des revues et des anthologies, toute son œuvre poétique (60 recueils aux longueurs variables) ainsi que celle d’Éric Meyleuc sont disponibles dans le site Poésie pour tous
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