« Route sous l’oubli » – Iren Mihaylova
«Route sous l’oubli » est la première partie du recueil « Ciel de l’attente », œuvre 2022, d’Iren Mihaylova
Ciel de ma mémoire
Nous étions trois assis sous l’Infini
Hirondelles atterries sur les fils-réverbères ;
La chaude lumière se baignant dans un fleuve
Traversant l’éternité
Nous étions trois assis sous l’Infini
En ce songe – oubliant l’hiver.
Dans ce rayon qui a surgi
Du trou de ma mémoire
Il y avait toujours
Une envolée d’Hier.
Route sous l’oubli
Un peu plus de temps pour espérer,
Un peu plus de temps
À perdre mieux,
Un peu plus de temps pour
Se mettre à nu et ruiner le Jour,
Érigée la Nuit, la phrase aussi longue que
Ma route sous l’oubli.
Un peu plus sur le chemin astiqué des lustres,
Un peu plus – mes pas multiples, le sol rustre,
Un peu plus dans l’avancée et je recule –
Un vol-brisement de plus.
Un peu plus dans ce temps dont
Je ne disposais pas mais que
J’ai tenu soigneusement à l’écart.
Un peu plus chaque jour
Un peu plus
Bouclier de fantômes
Où est ma lumière qui éblouissait
Les pas trompés de l’étoile de plomb ;
Où sont les gouttes inondant
Le chemin bercé de mon attente ?
Car longue est la nuit sans accalmie.
Je suis tombée de mon berceau
De milles couches de sa chair
Qui m’ont tant bercée à tort.
A tort, car ma douleur, ici, effleure
La peau trempée de l’ascendance.
Où est cette nuit qui m’abritait, où
Mon songe baissait la tête sur l’oreiller,
Où est sa voix câlinée, ses douces mains ménagées,
Sonorité ébahie qui autrefois chuchotait l’apaisement
De l’autre bout du continent austère des fantômes ?
A tort, car ma douleur, ici, s’aiguille
Sous la prunelle qui a trompé mes ravivés :
Songes, Témérité, Espoirs émaciés.
Lorsqu’elle s’immisce dans ma pensée,
Emportant ma solitude,
Mes lèvres cirent leur seule promesse dernière :
« Chaque jour est une main tendue vers la quiétude ».
Substances d’absurdité
La solitude est une amie dévouée
dans la plus profane éclipse qui s’efforce
Elle seule tend la main douce vers
les fissures de la conscience.
L’attente est cet
éclat de lumière, là où
les soleils se brisent, où
le sommet seul s’attarde et son chemin
astiqué, en perte de terre sous les pieds
refroidis ;
où la plus profonde Nuit, la peur à découvert défilent
solitaires,
Aux yeux de leur plus tendre aimant,
tendez-lui les bras, emportez
à ses pieds ma vérité lavée d’affronts, rendez-lui
le Soleil d’apostille, la Peur et le Pardon.
Nul ne peut renverser ce qui est inscrit
au bord du fleuve qui se vide,
innocence qui poursuit
affublement.
La destinée a écrit sur une pierre taillée :
«La souffrance renverse l’existence dans l’oubli,
pourvu que la lumière se fonde avec les fantômes ».
Si aujourd’hui ma lumière prostrée est convoquée,
la douleur sera mon témoin et ma plus tendre vérité intime,
C’est aussi l’endroit exacte où j’ai posé
toutes mes prières d’avant l’Apocalypse.
Ciel pendu
«La perte fait corps au ciel et toi tu l’arbores »,
m’a-t-il dit, au fond de la nuit en tulle où je voulais rêver
Je voulais me lover dans cette phrase comme un don
comme un nourrisson dans les bras béants d’un premier songe …
Lamenter ce passé encore, me couvrir encore de vieux slogans
puis, m’arracher à ce chagrin qui finit par s’étioler, s’il le faut ;
le couvant du ciel sur mes épaules se contenait,
quant à moi, je pouvais encore songer
à de fauves illusions devenues amères à force d’achoppement.
Ainsi, la nuit je tourne dans mon berceau d’Antananarivo,
mes mots d’insomnie s’écroulent sur l’oreiller, mon étoile apprivoisée
se moque de moi sous les paupières d’un austère fantôme,
à bras ouverts tendue vers les images anathèmes,
Ciel perché sur les toits de l’alarmante destinée
mon Ciel est pendu sur l’ailante et jamais
le sommeil n’éveillera mes anges aimantés.
Iren Mihaylova
Iren Mihaylova est une psychologue, psychanalyste, poète et écrivaine née à Sofia, Bulgarie dans les années 90. Elle vit et travaille à Paris.
Dans sa poésie, nourrie à la fois du contemporain, du surréalisme et du symbolisme, elle cherche à déployer un univers à la frontière entre Rêve et Réalité, entre Rêve et Douleur.La problématique qui anime son avant-dernier recueil Tirer les ombres (Sans crispations éditions, 2023 suivi par tentation) est en lien avec le cheminement et le travail du deuil face à une mort subite.
C’est à la fois les morts, à la fois les mots qui viennent traduire le rayonnement d’un Soleil Sombre, en le tirant, à bout des bras, du vivant (du néant) et jusqu’à leur dernier souffle.
Les poèmes de Ciel de l’attente, dont « Route sous l’oubli », s’inscrivent dans ce même mouvement de dépassement de soi et de « traversée des ténèbres » (Charles Juliet) pour pouvoir afin accéder à la lumière.
Blog
Poésie