Entretien avec Thierry Gillyboeuf « La lecture, au sens noble du terme… »
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Né en 1967, Thierry Gillyboeuf est écrivain et traducteur.
En 2003, il publie un ouvrage intitulé Georges Perros (éd. La Part Commune) et depuis lors, il veille sur l’œuvre de l’auteur des Papiers collés, dont il a édité les Œuvres dans la collection « Quarto » aux éditions Gallimard en 2017, ainsi que, chez Le Bruit du Temps, en août 2023, du volume Correspondance 1968-1978 entre Pierre Pachet (1937-2016) et Georges Perros (1923-1978).
Nous voudrions commencer par ce nouveau volume. Nous avons en effet l’impression qu’il ne peut en aucun cas susciter l’indifférence. Pouvez-vous nous livrer votre propre sentiment, d’autant plus que vous avez réalisé un exemplaire travail de présentation, d’annotation et d’édition ?
Thierry Gillyboeuf : Cette correspondance a émergé à la faveur du confinement. Dans sa maison vendéenne, François, le fils de Pachet, a mis à jour, en triant les archives de son père, les lettres que Perros lui avait adressées ; j’ai alors demandé à Frédéric, le fils de Perros, s’il avait de son côté les lettres de Pachet. Je ne savais pas à quoi m’attendre en les retranscrivant. C’est un curieux travail d’établir une correspondance ex nihilo, ou plutôt à partir d’une matière brute que l’on découvre. On déchiffre les lettres, puis vient leur agencement chronologique, rendu toujours un peu compliqué avec Perros parce qu’il ne datait jamais sa correspondance, mais selon la formule consacrée, le cachet de la poste faisait encore foi. Une correspondance, c’est un dialogue, dont l’intimité, la profondeur se construit sur la durée. J’ai connu Pachet à la fin de sa vie, c’était un homme assez sûr de lui, à la fois tendre et rugueux, d’une redoutable intelligence. C’était assez curieux de le découvrir en jeune homme intimidé. Par ailleurs, pour la première fois, j’avais le sentiment que Perros était comme pris en défaut, poussé dans ses retranchements. Ce qui m’a frappé, d’ailleurs, c’est de voir que Perros se comportait avec Pachet comme Jean Grenier s’était comporté avec lui. La situation était inversée, et je retrouvais chez Perros, dans cette correspondance, ce côté rétractile qu’il reprochait à l’auteur des Îles. C’est une correspondance qui détonne par rapport aux autres. Elle est plus équilibrée, se déployant dans une sorte d’amitié retenue.
Jean Grenier, Jean Paulhan, Michel Butor, Bernard Noël, Lorand Gaspar, Gérard Philipe et Henri Thomas font partie des écrivains, poètes et éditeurs avec qui Georges Perros a eu des correspondances suivies. Quelles différences y a-t-il entre les unes et les autres ?
Thierry Gillyboeuf : Il y a un ton perrossien. Pour la petite histoire, le premier livre de Perros que j’ai lu, ce sont les deux volumes de ses Lettres à Michel Butor publiés dans les années 1980 par les éditions Ubacs. Il n’y avait pas les réponses de Butor, et ce qui m’a marqué, c’était que l’on pouvait écrire ainsi. J’avais vingt ans, et caressant des rêves littéraires, je croyais que l’écriture se devait d’adopter une forme d’hiératisme guindé. Chez Perros, il y a une unité de timbre, qu’il s’agisse de ses livres ou de ses lettres, quels que soient ses correspondants. Toutefois, le dialogue n’est évidemment pas le même en fonction de l’interlocuteur. Ce qui donne un sentiment très étrange de familiarité et d’unicité chaque fois que l’on lit l’une de ces correspondances. Je vais tâcher de dire, en une phrase, ce qui caractérise celles avec les correspondants que vous mentionnez – parmi lesquels manque Brice Parain, j’y reviendrai. Jean Grenier, c’est la grande admiration littéraire, le « père », le « maître » recherché depuis que le jeune Perros a découvert Les Îles ; Grenier, homme réservé, accueille chaleureusement et généreusement ce jeune homme, puis il bascule dans une sorte d’affection, de confiance qui attend quelque chose de Perros, un signe (en l’occurrence un texte sur lui), et qui ne comprend pas pourquoi Perros, qui est sans doute l’un de ceux qui a le mieux lu Grenier, s’y refuse ; c’est une amitié blessée. Avec Paulhan, qui appartient à la même génération que Grenier, Perros n’éprouve pas les mêmes difficultés, question de tempérament du directeur de la N.R.F. sans doute ; il y a une grande connivence intellectuelle entre les deux hommes, et Paulhan est secrètement reconnaissant à Perros de ne pas le considérer pour la place incontournable qu’il occupe dans les lettres françaises à l’époque, mais parce qu’il est l’un des rares à lire et aimer l’écrivain Jean Paulhan. Michel Butor, c’est la fraternité, la grande complicité d’une vie, la tendresse, l’improbable mariage entre un auteur prolixe qui ne tient pas en place, et un écrivain encalminé à Douarnenez qui ne publie qu’avec parcimonie ; cet apparent déséquilibre fait toute la richesse, la saveur de cette correspondance. La correspondance avec Bernard Noël est sans doute l’une des plus belles, car toujours sur la note haute de la poésie et de la poétique ; c’est fascinant de savoir que des hommes s’écrivaient ainsi. Il était impossible de ne pas aimer Lorand Gaspar, homme d’une grande qualité humaine en sus d’être un merveilleux poète ; c’est une amitié solaire, avec un Gaspar qui force Perros à quitter la pluie et les embruns pour goûter un peu au soleil méditerranéen. Gérard Philipe a été l’un des « jumeaux » de Perros, avec Gilbert Minazzoli et Michel Butor ; Perros le compare à un cheval au galop, et sa mort prématurée a été une grande perte pour celui qui voyait en Philipe le seul comédien possible ; c’est l’amitié de la jeunesse, du théâtre et de la fulgurance. Henri Thomas était un personnage aussi secret et sur la retenue que Perros, ce qui explique peut-être qu’ils se soient si bien entendus, car ils suivaient la même exigence littéraire, l’un dans le roman et l’autre dans les notes, mais se rejoignaient dans l’écriture poétique, aussi différentes que fussent les leurs respectives. À ces destinataires, je voudrais ajouter Brice Parain, aîné de Perros, avec lequel il a un échange nourri, d’une impressionnante densité, dont la « fameuse lettre 100 » constitue sans doute l’acmé ; cette correspondance a été pilonnée, pour de mauvaises raisons, ce qui la nimbe de surcroît de sa part de mystère et de rareté. Je suis toujours estomaqué de me dire que cette « fameuse lettre 100 », qui est un petit chef-d’œuvre dans lequel Perros développe en quelque sorte son art poétique, n’était destinée qu’à un seul homme. Qu’il ne l’a pas recopiée pour l’intégrer dans un volume des Papiers collés. Qu’elle aurait aussi bien pu ne jamais paraître. Qu’elle aurait pu rester le secret perdu d’un seul. Pour conclure, il faut, je crois, inverser votre question, et se demander ce que tous ces écrivains, si différents, trouvaient chez Perros. Je crois qu’ils en aimaient l’intelligence humaine et littéraire, cette façon d’être entièrement vivant et écrivain, cet humour et cette tendresse à laquelle ce grand pudique pouvait donner libre cours dans ses lettres.
Ce qui est étonnant à travers le présent volume de Correspondance entre Pierre Pachet et Georges Perros, c’est la tendresse qui s’accroît entre ces deux hommes que tout semble séparer. D’où viendrait, pour l’un comme pour l’autre, ce besoin de dialoguer, de se livrer, de se confesser ?
Thierry Gillyboeuf : C’est une hypothèse que je développe dans la préface, mais je suis enclin à penser que Pachet recherchait en Perros une sorte de « père littéraire », et que ce n’est sans doute pas un hasard s’il avait eu l’intention, comme en atteste le manuscrit du livre, de dédier son Autobiographie de mon père à Perros. Pachet est un jeune universitaire, qui ne vit pas à Paris, dans un premier temps, et qui vient de faire son entrée dans le cercle Lambrichs des Cahiers du Chemin. Pourquoi Perros plutôt qu’un autre chez Pachet ? Sans doute a-t-il reconnu dans l’auteur des Papiers collés quelque chose de lui-même, cette grande sensibilité dissimulée sous une fausse carapace de dureté. Et puis une forme d’intégrité qui pouvait fasciner. Perros, dans un premier temps, semble se rétracter devant cette demande croissante de Pachet. Le fait que celui-ci ait cité un extrait d’une lettre que Perros lui avait écrite au sujet d’un texte de Pachet sur lui, a un peu refroidi et espacé leurs échanges. C’était assez troublant pour moi, en établissant cette correspondance, de me dire que, pour Perros, la publication d’une lettre personnelle était une forme de trahison. Il y a trois temps dans cette correspondance, et après les échanges nourris des premières années, puis l’espacement, intervient la maladie de Perros et son opération de la gorge qui le prive de l’usage de la parole. Dès lors, ses lettres deviennent beaucoup plus tendres, beaucoup plus penchées, comme s’il renonçait à cette retenue, qu’il se laissait enfin aller entièrement à cette amitié.
À cause des médias modernes (SMS, courriers électroniques et divers réseaux sociaux), pouvons-nous dire que nous sommes en train d’assister à la mort du genre épistolaire ?
Thierry Gillyboeuf : Je me dis que le genre épistolaire ne disparaîtra jamais tout à fait, qu’il se trouvera toujours une poignée d’irréductibles. Mais évidemment, il deviendra plus rare, plus confidentiel. C’est un paradoxe de notre temps, de même que nous n’arrêtons pas de lire, que sans doute, jamais nous n’avons collectivement autant lu (messages, articles, « tweets », etc.), la lecture, au sens noble du terme, a tendance à reculer, à être une pratique plus ramassée, réduite à quelques-uns, de même l’écriture épistolaire, ce que Perros appelle si merveilleusement « l’épistole du cœur » devient une pratique en perte de vitesse. Mais elle ne disparaîtra jamais. Les hommes, certains hommes auront toujours besoin de s’écrire. Peut-être faut-il accepter que cette écriture épistolaire prenne d’autres formes. Je veux dire par là que certains – et je me range parmi eux – la pratique en adoptant les outils modernes. Sauf s’il s’agit de messages professionnels ou factuels, je prends toujours soin de rédiger chaque mail comme une lettre, et je continue d’en écrire à la main. Donc, aussi présomptueux que cela puisse paraître, je suis assuré de ne pas voir la mort du genre épistolaire de mon vivant, puisque je continuerai opiniâtrement de le pratiquer et que j’ai la chance d’avoir toute une constellation de correspondants pour qui cette pratique revêt la même importance privilégiée. Et je suis sûr que nous sommes nombreux, beaucoup plus nombreux que nous ne le pensons, à faire de même, constituant, à notre insu, une sorte d’archipel, de nuée d’épistoliers.
Grand traducteur notamment de l’anglais, comment percevez-vous à la fois la traduction comme métier et votre propre pratique ?
Thierry Gillyboeuf : Je n’ai aucun don pour les langues, et j’ai réappris l’anglais tout seul à dix-huit ans, après une scolarité poussive, après avoir discuté pour la première fois avec un anglophone, puis l’italien, puisque ma grand-mère est toscane. Si je n’ai pas une pratique quotidienne de ces langues, j’en perds rapidement l’usage. La traduction relève aussi de cet exercice. Mais pas seulement. Quelqu’un a dit de Valery Larbaud, merveilleux écrivain et grand « passeur », qu’il avait peu écrit parce qu’il a beaucoup lu. Et je trouve que c’est le plus beau compliment que l’on puisse faire à un écrivain. Larbaud, dans le domaine de la traduction, a toujours été pour moi un maître que, pour paraphraser son Sous l’invocation de saint Jérôme, j’ai l’habitude d’appeler, affectueusement « saint Larbaud ». Il y avait dans sa démarche une forme de générosité, de curiosité et d’attention à ce qu’il lisait, découvrait, que les auteurs soient anciens ou ses contemporains. Je me laisse pareillement guider par ma curiosité et mon attention à ce que je vois passer ici ou là. Je conçois la traduction comme un des meilleurs termes de l’échange et du partage. À aucun moment, je ne la vois comme un métier, même s’il m’arrive de plus en plus de répondre à des « commandes ». Je fais en sorte de toujours conserver une grande liberté, une liberté totale, sans concession aucune. Pour moi, il est fondamental que la littérature, sous toutes ses formes, sous toutes ses pratiques (lecture, traduction, écriture) soit le terrain d’une absolue liberté. L’une des grandes leçons que j’ai apprise très tôt de la traduction, c’est que l’essentiel était de maîtriser sa langue plus encore que la langue d’origine. C’était une question d’oreille, d’intuition, de sens et de sensation. On pénètre à l’intérieur d’une écriture, plus encore que l’écrivain même. Un traducteur est un peu comme un horloger qui démonterait une montre pour tenter d’y trouver le temps.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Et comment travaillez-vous ?
Thierry Gillyboeuf : Comme toujours, j’ai plusieurs chantiers sur le feu. Je tente d’y remédier en m’organisant mieux, mais rien n’y fait. Ainsi, je traduis un choix de poèmes pour un ami qui prépare un spectacle autour de la poésie noire américaine, des nouvelles de Stephen Crane et un roman contemporain. Mais le gros chantier du moment pour moi, celui qui revêt une importance particulière, c’est ma biographie de Remy de Gourmont qui paraîtra en mai. Je l’ai entièrement relue, corrigée, complétée, etc.
Je travaille « à l’ancienne », c’est-à-dire que pour la traduction, par exemple, je travaille directement sur l’ordinateur – pour l’écriture, c’est différent ; cela dépend de la longueur du texte, si c’est une forme courte, moins de dix pages disons, je peux écrire directement sur l’ordinateur, mais pour ma biographie de Gourmont, qui compte 800 pages, j’ai tout écrit à la main sur des cahiers, avant de taper le texte –, mais ensuite, écriture ou traduction, j’imprime le texte pour le relire et le corriger. Il faut que je sente la matière physique du texte. Traduire comme écrire, c’est quelque chose d’extrêmement physique. Ceux qui ne pratiquent pas cette activité ne s’en rendent pas compte. Je suis plus fatigué par l’effort physique que par l’effort intellectuel que cela représente. Je n’ai pas de room of one’s own, pour reprendre la formule de Virginia Woolf, et je travaille donc dans le salon, parfois dans la cuisine. Presque toujours avec un fond de musique. Pour écrire, il faut que je trouve la première phrase, et ensuite, c’est un peu comme si j’avais ouvert un robinet. Je compose dans ma tête, en marchant, en faisant la vaisselle, etc. Je polis le texte en me le répétant, après quoi je n’ai plus qu’à le recopier sous la dictée, en quelque sorte. Pour la traduction, j’ai un bon vieux dictionnaire anglais auquel je tiens particulièrement, une édition du Harraps des années 1950, qui est le meilleur que je connaisse, et quelques outils précieux en ligne. Je ne lis pas le texte avant. Je m’y plonge, m’y enfonce au fur et à mesure. Si la chose me vient directement, c’est très bien, mais parfois, quand je sens que je ne vais pas y arriver du premier coup, je me contente de traduire littéralement. Après quoi, je relis. C’est affreux, comme des fausses notes pour un musicien. Mais en reprenant, avec cette version brute inutilisable, je parviens paradoxalement à trouver ce sur quoi j’avais buté. Quant au temps, je cours toujours après mais j’en trouve. Je suis insomniaque, et souvent, dans la solitude peuplée de la maisonnée qui dort, c’est là que je travaille le mieux.
Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois et pourquoi ? Enfin, si un seul de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, en arabe par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ? Il en va de même pour un texte écrit par l’un de vos auteurs de prédilection, à l’instar de Perros.
Thierry Gillyboeuf : Sans doute ne commettrais-je pas certaines erreurs ou négligences dont je me suis rendu coupable envers ceux que j’aime le plus. C’est ce que je voudrais changer en priorité si j’en avais le choix. Et avoir le sentiment plus présent que personne n’est éternel, et qu’il faut vivre davantage chaque instant passé avec les proches, amis et famille. Sur un plan personnel, j’arrêterais mes études plus tôt et je voyagerais davantage, sillonnant l’Europe en disciple barnaboothien. Je lirais certains livres plus tôt. Et j’essaierais peut-être de rester professeur de collège. Mais je me plie juste à l’exercice en répondant à cette question, parce qu’elle a moins d’importance et de réalité à mes yeux que la fameuse question dite du gouverneur des Kerguelen, pour savoir quels livres, etc., on emporterait sur une île déserte. Mais pour en revenir aux choix que je ferais si je devais tout recommencer, rien ne me vient clairement à l’esprit. On a besoin d’être nourri de certains échecs, de certaines erreurs. La sagesse, voire le bonheur, c’est d’en avoir conscience, de porter en soi ses regrets et remords sans en être alourdi, et de réparer avec un humble élan ce qui peut l’être.
J’avoue ne croire ni en la vie éternelle ni en la réincarnation. J’aime au contraire cette idée que l’on se dissolve physiquement dans la Nature après sa mort, et que la seule éternité à laquelle on puisse aspirer, c’est le souvenir que l’on laisse chez ceux qui vous ont connu et aimé, et que la véritable mort définitive, c’est quand disparaît à son tour la dernière personne qui se souvient de vous. Et tout cela n’est pas si grave, le reste relevant du péché originel de l’homme : l’orgueil.
Mais soit, je me plie à l’exercice de la réincarnation.
Un mot, ce serait sans doute sincère, non pas tant pour ce qu’il signifie que parce que c’est le mot dont l’étymologie est celle que je préfère. Cela vient de sine cera qui signifie sans cire. Il y a deux écoles. Soit cela désignait les amphores, dans la Rome antique, dont les fissures n’avaient pas été colmatées avec la cire, et cette mention était donc gage de qualité pour contenir du liquide. Soit cela désignait le miel pur, sans cire. J’ai une préférence pour la seconde. Elle illustre pour moi toute la magie du langage, et ce glissement d’une chose concrète vers une chose abstraite.
Un arbre, je dirais tout simplement un chêne, par ce qu’il représente de force, d’épaisseur de temps. Mais ce pourrait être aussi l’un de ces arbres extraordinaires, comme le vieux robinier du square Viviani en face de Notre-Dame de Paris sur lequel Rilke a écrit de si belles pages, ou bien un magnifique cèdre pleureur du Liban à l’arboretum de la Vallée aux Loups. Ou alors un olivier sauvage dans les Alpes de Haute-Provence, que je découvrirais au détour d’une balade en montagne. Ou un de ces cyprès qui vont par trois ou quatre dans les plaines toscanes. Ou bien encore le banksia d’Australie, qui est plutôt un arbuste, parce que ses inflorescences m’ont fasciné.
Un animal familier, ce serait le chat ou la chèvre. Mais ce pourrait être un ornithorynque ou un échidné, que j’ai eu la chance de voir à l’état sauvage. Une baleine également, à cause de Moby Dick. Ou encore une loutre, oui, une loutre. C’est un animal pour lequel j’ai une grande tendresse.
Pour le moment, je ne vois pas lequel de mes textes pourrait être traduit. Je veux dire lequel de mes textes pourrait avoir un intérêt pour un lecteur étranger. Même si un petit essai sur Virgil Gheorghiu que j’ai écrit il y a quelques années a été traduit en roumain, ce qui est normal, mais m’a beaucoup touché parce que je nourris une grande passion depuis quarante ans pour la Roumanie, et, plus surprenant… en arabe. Je serais néanmoins heureux si ma biographie de Gourmont était traduite en anglais, en espagnol ou en italien, parce que cela aurait un sens. Disons que ce que j’aimerais, c’est qu’un jour un de mes textes, même une bricole, soit traduit en italien, parce que c’est une langue dont j’ai hérité par ma grand-mère.
La plupart de mes auteurs de prédilection ont été traduits, alors prenons le cas de Perros, qui a lui aussi été traduit en anglais, en allemand et en japonais. Ce serait intéressant qu’il le soit en arabe, d’autant qu’il y a déjà eu trois étudiants de Sfax qui ont fait leur thèse sur son œuvre. Ce que je trouverais intéressant de voir traduire en arabe chez Perros, c’est un choix représentatif de ses notes, et peut-être l’un des deux longs poèmes de ses Poèmes bleus, peut-être, en priorité, « Marine », car il y a là un souffle qui me paraît correspondre à la représentation que je me fais de la langue arabe, un mélange de lyrisme et de musicalité.
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