Victor Hugo et le spiritisme : Un temps de rémission
Par Michel Bénard
« Quand on ne croit plus au paradis, on commence à croire au mysticisme. » Mircea Eliade
Ouvrage poétique majeur dans l’œuvre de Victor Hugo, – Les Contemplations – placé sous le thème de la mort, fut composé en deux époques – autrefois et aujourd’hui – et dédié à sa fille Léopoldine, dramatiquement disparue par noyade en 1843. Ce recueil aurait été bien incomplet sans les séances de spiritisme associées aux tables tournantes ou parlantes, comme on disait à cette époque ayant eu un fort engouement pour le spiritisme, dont le Grand Maître était Allan Kardec.
Victor Hugo – encore très affecté par la disparition de Léopoldine, et qui était d’un esprit très romantique, à l’instar de Chateaubriand – fort de sa logique, était très sceptique quant à la reconnaissance de tous les phénomènes paranormaux ou liés au spiritisme.
Mais finalement, il finira par entendre la voix de « la bouche d’ombre » qui lui parviendra et lui permettra d’entrer en contact avec sa fille – la grande absente.
Expulsé de France pour avoir écrit « Napoléon le Petit », il s’exila sur l’Île de Jersey, en 1852.
En Septembre 1853 il invita des amis, dont la poétesse et femme de lettres de renom, Delphine de Girardin, qui prétendait savoir faire parler les tables, courant très en vogue dans les salons mondains ou littéraires. Ce phénomène de société venait des États-Unis, sous l’influence des sœurs Fox.
Notons que cette visite de Delphine Girardin bouleversa à jamais la vie de Victor Hugo.
Très réservé au départ, Victor Hugo finit par s’associer aux séances de spiritisme avec ses amis.
(1804-1855)
Peinture de Louis Hersent
pseudonyme d’Hippolyte Léon Denizard Rivail,
fondateur du spiritisme
Les débuts furent infructueux, le groupe était le plus souvent composé de Delphine de Girardin, d’Auguste Vacquerie, de Madame Victor Hugo, de François-Victor Hugo, du général Flô et de Charles Hugo élément clé car, paraît-il, il était un excellent médium. D’autres amis participaient occasionnellement aux séances.
Cependant la séance du 11 Septembre 1853 marqua à jamais, tel un fer rouge, Victor Hugo car le premier esprit qui se manifesta était celui de Léopoldine… Vous pouvez imaginer le choc, l’émotion, les larmes.
Les séances de spiritisme se multiplièrent, allant de surprise en surprise. C’est ainsi qu’au fil du temps le groupe conversera – ou, plutôt, communiquera – avec de célèbres et insolites personnages, que je soulignerai succinctement plus tard. Libre à chacun d’y croire ou pas, mais il sera impossible de mettre en doute la parole des participants car un procès-verbal étoffé de chaque séance était tenu, consigné avec une grande précision et maints détails, très étonnants parfois et crédibles, car certaines réponses des esprits étaient dans les faits indiscutables de précisions et de vérité.
A partir de là, Victor Hugo fut convaincu de la survivance de l’âme.
Tous les procès-verbaux détaillés sont consignés avec une grande minutie et sérieux dans des carnets intitulés – Chez Victor Hugo les tables tournantes de Jersey – hélas seuls deux spécimens ont été sauvés, les autres furent perdus ou détruits ?
Un ouvrage très sérieux du docteur Jean de Mutigny évoque « Victor Hugo et le spiritiste » et l’engouement que cette pratique engendra alors que Victor Hugo initialement était très réservé, voire distant. Mais les révélations imparables de ces séances d’occultisme conquirent notre poète au plus haut degré.
Quant à Juliette Drouet – qui, elle aussi, était à Jersey, sa confidente, son amour, sa secrétaire, sa compagne d’ombre – ne cautionnait absolument pas cet engouement : – Quant à vos diableries, j’y vois pour l’avenir plus d’inconvénient que de plaisir, quelles que soient d’ailleurs vos convictions personnelles…/… –
Victor Hugo persiste : – Pourquoi nier l’évidence ? Oui il est naturel que les esprits existent –
Il est bon de savoir que les expériences de ses entretiens avec l’au-delà durèrent deux ans, de 1853 à 1855, où ensuite Victor Hugo prit un peu de distance avec ces discussions.
Néanmoins, ces deux années durant, Victor Hugo et ses complices interrogèrent intensément les esprits et les plus surprenants vinrent à eux en raison, sans doute, de la présence du poète.
Toutefois, ici, nous ne pourrons pas les créditer d’usurpation, car l’esprit de Léopoldine est venu aussi et là Victor Hugo était tellement proche de sa fille, que l’on ne peut même pas soupçonner une quelconque usurpation.
On disait la maison de Terrace Marine hantée et parfois il était possible d’y apercevoir trois étranges âmes désincarnées : une Dame Noire, une Dame Grise et une Dame Blanche dont les spectres rôdaient autour de la villa. Mais qui étaient ces trois femmes ? Ces entités errantes ?
La Dame Blanche était une infanticide, la Dame Noire une ancienne druidesse qui avait immolé son père sur un dolmen, quant à la Dame grise elle ne se révélera jamais et demeura un mystère.
La date majeure de ces séances spiritistes fut le 11 Septembre 1853, avant-veille du départ de la poétesse et initiatrice Delphine de Girardin : Léopoldine se manifesta en présence du groupe de fidèles pratiquants. Une question cependant reste en suspens, comment être certain que ce soit bien Léopoldine qui ait ainsi conversé avec son père et ses proches ?
Madame Hugo avait eu l’intelligence de poser une question précise dont seules les deux femmes connaissaient la réponse. Ce fut concluant.
Auguste Vacquerie, beau-frère de Léopoldine était comme souvent présent lors de cette communication et il écrira : – Ici la confiance renonçait : Personne n’aurait eu le cœur, ni le front de se faire devant nous un tréteau de cette tombe. Une mystification était déjà bien difficile à admettre, mais une infamie ! –
Victor Hugo fut totalement persuadé de la réalité spirite et de la possibilité de rentrer en contact avec l’inexplicable et l’invisible. Il écrira : – Voilà qui est prodigieux ! Il n’y a rien à répondre à cela. Je me déclare convaincu. – Et puis : Le phénomène des tables parlantes n’amoindrit pas le XIXème siècle, il l’agrandit…/… –
Au fil des nombreuses séances de spiritisme il communiqua avec beaucoup de personnages divers ; la liste est assez longue. Au hasard, voici quelques noms de personnages majeurs : Shakespeare, Jésus, Luther, Molière, Byron, Galilée, André Chénier le poète décapité dont les propos intemporels retinrent mon attention. Des entités n’ayant pas d’identités définies, mais plutôt génériques, communiquèrent également, ne se révélant que par énigmes, comme : l’Ombre du Sépulcre, La Critique et la Mort qui lui dit : – Tout grand esprit fait dans sa vie deux œuvres : son œuvre de vivant et son œuvre de fantôme – La liste n’est pas exhaustive loin s’en faut mais vous pourrez trouver un bon nombre de commentaires dans les deux carnets des Procès-Verbaux préservés.
À propos de la poésie de cette période, les exégètes et spécialistes se posent des questions en ce qui concerne certains poèmes. Au travers de ces séances qui inspire qui ? Car le style hugolien est omniprésent, les esprits auraient-ils dicté les poèmes à Victor Hugo ou ne serait-ce pas l’inverse ? Dans divers poèmes comme – Ce que dit la bouche d’ombre – les esprits s’expriment en vers : ne serions-nous pas confrontés à un phénomène de transmission de pensées ?
J’en resterai là, le sujet est trop vaste, il y aurait tellement à commenter au risque de nous perdre dans les controverses, sans réponse certaine d’ailleurs.
Néanmoins je ne saurais poser le point final à cette communication, puisque nous sommes bien dans le contexte de Victor Hugo et l’ésotérisme, sans évoquer son lien – disons « assez fusionnel » avec Sarah Bernhardt, adepte de spiritisme, d’ambiances insolites et intrigantes.
Victor Hugo avait une grande admiration pour l’immense comédienne adulée par son public. Un soir où elle avait triomphé dans le rôle de la Reine dans « Ruy Blas » il considéra qu’il avait trouvé sa « Voix d’Or » et se mit un genou à terre devant sa « Divine ».
Sarah Bernhardt, en retour, avait une grande admiration pour Victor Hugo ; fut-elle une de ses multiples amantes ? Ce n’est pas impossible, selon la rumeur que l’on a laissé courir, mais rien n’est prouvé. Une chose cependant est certaine : ils se côtoyaient régulièrement et ont échangé dans un contexte assez ésotérique : – Ce fut une joie pour moi de me trouver presque chaque jour avec le grand poète. Je n’avais jamais cessé de le voir…/… –
Une autre fois au terme d’un triomphe retentissant dans le rôle de « Dona Sol » dans Hernani, Victor Hugo lui offrit un crâne humain sur lequel il avait écrit un poème énigmatique : – Squelette, qu’as-tu fait de l’âme ? Lampe qu’as-tu fait de la flamme ? Cage déserte qu’as-tu fait de ton bel oiseau qui chantait ? Volcan qu’as-tu fait de la lave ? Qu’as-tu fait de ton maître, esclave ?
Souvent, Sarah Bernhardt utilisera ce crâne comme accessoire sur scène.
Rappelons-nous que cette grande comédienne porteuse d’une aura ténébreuse ne manquait pas de piquant, ni d’originalité. L’insolite lui convenait parfaitement : elle dormait dans son cercueil, visitait souvent la morgue… Tel était son côté obscur. Elle avait des goûts prononcés pour l’occultisme, la cartomancie, le morbide, le funèbre. Autre point commun avec Victor Hugo : elle pratiquait régulièrement les tables tournantes.
Facette plus méconnue de son personnage : elle était une excellente artiste et réalisait de belles œuvres sculptées, modelées et coulées en bronzes très symbolistes, fantastiques et chimériques.
Elle développait également avec talent le don de peindre, après avoir suivi les cours de la célèbre Académie Julian.
Sous la forme d’un au revoir, ici je réunirai symboliquement ces deux belles âmes hors normes, Sarah Bernhardt et Victor Hugo par une strophe du poème – Quia pulvis es – extraite de « Les contemplations » :
Ceux qui passent à ceux qui restent
Disent – Vous n’avez rien à vous ! Vos pleurs l’attestent.
Pour vous, gloire et bonheur sont des mots décevants.
Dieu donne aux morts les biens réels, les vrais royaumes.
Vivants ! Vous êtes des fantômes,
C’est nous qui sommes les vivants !