Entretien avec Vincent Calvet
Par Grégory Rateau
Vincent Calvet est né en 1980. Il a grandi à Perpignan. Après des études de Lettres modernes à Toulouse, il devient instituteur spécialisé et exerce actuellement à Toulouse. Il anime des ateliers d’écriture et fait intervenir des poètes dans sa classe. Il est remarqué en 2005 grâce à Solitude des Rivages (Encre et Lumière, 2006), qui remporte le Grand Prix de la ville de Béziers. En 2007, il est lauréat du « Prix de la Vocation » pour La Haute Folie des mers (Cheyne, 2007). En 2009, il rencontre Paul Sanda avec qui il fonde la revue « Mange Monde » qui comptera 17 numéros jusqu’à 2020. Il est traduit en arabe, russe, turc, espagnol, catalan. Invité dans de nombreux festivals en France et à l’étranger, il publie en revue. Ses derniers ouvrages sont : Six solitudes (La Rumeur Libre, 2022), qui a été dans la sélection de plusieurs prix, et Ensauvagement (Rafael de Surtis, 2024, préface de Grégory Rateau, dessins de l’auteur).
Entretien
G.R : Quand la poésie vous est-elle réellement « tombée dessus » si je puis me permettre cette expression ?
Vincent Calvet : Je pense que c’est à l’adolescence, au collège. J’étais harcelé dans ma classe. J’ai pris brutalement conscience que j’étais différent, qu’il me manquait quelque chose, et que le Groupe me le ferait toujours payer. J’ai fomenté un désir de revanche, une volonté d’en découdre, sur le plan symbolique bien sûr. J’avais plusieurs outils : le dessin, les mots, l’humour. J’ai commencé par pratiquer la caricature : caricatures au sens propre et dessins de presse (je fréquentais le Festival de la caricature de Saint-Estève, dans les PO, 66). Les poèmes sont venus plus tard, en réalité, au lycée. C’étaient des poèmes humoristiques où je mettais en scène mes camarades de classe de façon humoristique, sous l’influence de Prévert.
G.R : Il y a-t-il un moment particulier où vous sentez que la nécessité de travailler sur un nouveau recueil s’impose à vous ?
Vincent Calvet : Je suis plutôt quelqu’un d’éclectique que de monomaniaque. Je ne suis pas comme mon feu ami Pierre Oster qui écrivait le même poème indéfiniment. J’aime explorer des voies différentes, des thématiques différentes, des formes différentes. Je ne m’enferme pas dans une forme ou un thème. La mer, l’amour, les sciences : ce sont les trois thèmes que j’ai longtemps explorés. Le thème religieux, le questionnement mystique est plus récent, et date de Prière pour ne pas être enterré avec les chiens (Rafaël de Surtis, 2020, préface de Serge Pey). Actuellement, je n’ai rien écrit depuis un an, depuis ce bestiaire d’animaux de la steppe, j’attends qu’une nouvelle idée soit mûre pour m’y remettre. La phase d’écriture sera courte et frénétique, comme à chaque fois.
G.R : Vous avez beaucoup publié, avec une fidélité particulière pour La Rumeur libre. Quel lien peut-on tisser entre vos différentes tentatives ? Une tentative de renouvellement ?
Vincent Calvet : J’ai publié 21 recueils dont deux à la Rumeur Libre. Mon troisième ouvrage à la Rumeur, Aubrac, ténèbres pieuses, sortira en mai 2025, dans une collection de Thierry Renard, avec une préface de feu Bernard Noël. Je ne me revendique pas des « avant-gardes », même si je les fréquente et m’intéresse à leur travail. Je m’inscris plutôt humblement dans une continuité, celle du Surréalisme et des poètes novateurs du début du vingtième siècle, dans le sillage des grands lyriques, aussi, car je suis moi-même volontiers lyrique et même, sans honte, si j’ose dire, élégiaque. Je n’ai jamais cherché à renouveler la poésie, mais à trouver la forme la plus adaptée à mon propos. De toutes façons, on pioche toujours dans la poésie du passé pour faire quelque chose d’un peu nouveau. Jamais totalement nouveau, mais jamais simple imitateur.
G.R : Que recherchez-vous en priorité chez un éditeur ?
Vincent Calvet : Ce que je cherche, c’est la fidélité, l’ouverture et l’humanité. Il est important d’avoir deux ou trois éditeurs avec qui on peut nouer une relation humaine profonde, une amitié. Aussi, cela implique une fidélité à cet éditeur, ne pas trop se disperser entre des dizaines de maisons d’édition différentes. Et cela implique aussi une fidélité de l’éditeur, qui doit assurer un suivi de l’auteur sur le long terme, si cela s’est bien passé humainement. J’attends aussi ouverture d’esprit, que cet éditeur ne soit pas un idéologue obtus. J’ai la chance, avec Andréa Iacovella, David Zorzi ou Paul Sanda, d’avoir affaire à des personnes très ouvertes d’esprit, pas sectaires pour un sou, et pas du tout « woke », fort heureusement…
G.R : Vos goûts en poésie semblent éclectiques. Des poètes majeurs qui vous ont marqué ?
Vincent Calvet : J’ai eu une grande passion, entre 16 et 30 ans, pour le Surréalisme, ce qui explique que je me sois rapproché de Paul Sanda. J’aimais beaucoup, aussi, les poètes de l’esprit Nouveau comme Max Jacob ou Léon-Paul Fargue, qui font charnière entre le Symbolisme et le Surréalisme. Et, bien sûr, comme toi, il y a eu, au lycée, le choc Rimbaud/Lautréamont. Maintenant, j’explore les poésies étrangères, avec une appétence particulière pour la poésie russe, la poésie américaine et le Romantisme anglais. J’aime dans la poésie russe trouver cette ambiance de neige et de religiosité. Mon poète russe préféré est Serge Essenine : on peut voir avec lui comment un « rouge » radical peut se faire le chantre de l’enracinement, de la Mère Patrie, de la vie campagnarde, toujours en lien avec des croyances animistes. Chez nous, ce ne serait pas possible, les choses sont trop clivées en littérature, et en poésie en particulier.
G.R : Il existe des chapelles en poésie, cela a toujours été le cas mais j’ai l’impression que vous vous construisez dans la marge. Pouvez-vous nous expliquer votre positionnement ?
Vincent Calvet : Je n’ai jamais voulu appartenir à une chapelle. La revue « Mange Monde » se voulait un laboratoire des écritures contemporaines à l’écart des chapelles. Je suis volontiers adogmatique. Ma fréquentation des milieux gnostiques avec Paul Sanda m’a conforté dans cette position. Je trouve les avant-gardes d’aujourd’hui souvent dogmatiques, esthétiquement et politiquement. Bien sûr, on m’associe avec Paul Sanda et on me classe dans les néo-surréalistes, mais c’est bien trop réducteur. De plus, né en 80, je pense que je ne suis pas de cette génération, même si, selon Paul Sanda, nous sommes dans la phase du « surréalisme éternel ».
G.R : La jeune poésie contemporaine « apparaît » assez engagée mais ne croyez-vous pas que toute forme de démarche artistique implique inévitablement une confrontation directe au réel ?
Vincent Calvet : Je ne sais pas si les jeunes poètes sont davantage engagés que leurs aînés. Il y a toujours bon nombre de poètes engagés, mais ils ne le sont plus pour les mêmes causes qu’il y a 50 ans. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes « wokes » veulent s’exprimer à travers la poésie, d’où cette nouvelle poésie Antiraciste, Queer, LGBT, décoloniale, qui est d’extrême-gauche de manière générale. Mais le véritable engagement est dans la profondeur de l’écriture. C’est cette capacité de l’écrivain à « mettre sa chair sur la table », comme le disait Michaux. Il faut écrire comme si l’écriture était vitale, et la seule manière d’être sauvé d’un monde violent, qui nous viole, et en l’état d’effondrement. Seule la Langue nous tient droit. Elle avance face au vent des idéologies mortifères. Elle est l’élan vital, c’est sûr !
G.R : Vous n’avez pas peur de bousculer, je pense à cette anthologie sur Gaza que vous aviez coordonnée il y a de ça quelques années avec une préface du grand poète Adonis. Quel regard portez-vous rétrospectivement à la lumière des récents évènements ?
Vincent Calvet : Nous avons publié Requiem pour Gaza en 2018 (Color Gang, préface d’Adonis). C’était prémonitoire et préventif. Maintenant, je pense que je ne le referai pas, car ce serait bégayer. Je vois sortir pas mal d’anthologies sur Gaza depuis le 7 octobre, mais c’est un peu à la remorque. Il fallait tirer la sonnette d’alarme tant qu’il était encore temps. Maintenant, le processus final a été enclenché, et je ne sais pas vers quoi nous allons. Vers du sang et des larmes : le « triomphe de la Mort ». La poésie est peu de choses face aux canons et aux fanatismes. Le 7 octobre m’a choqué. Mais j’ai été aussi choqué par la répression qui a suivi, qui semble disproportionnée. Je préfère maintenant ne plus être directement impliqué, car les esprits sont très échauffés, à la limite de l’hystérie. Entre le Juif et l’Arabe, la solution est dans le modèle français de Laïcité, les valeurs historiques françaises. Ce sont eux qui doivent regarder vers nous, maintenant. Je le leur dis fermement.
G.R : Vous enseignez aussi la poésie à des malades mentaux, des enfants en situation de handicap, des individus marginalisés en somme. Que leur apportent la poésie ? Quels sont vos modèles éducatifs ?
Vincent Calvet : La poésie est très importante pour les enfants ou les adolescents, car elle offre, en tant qu’art, des possibilités d’expression intime que n’offrent pas les autres disciplines. La poésie est comme un « développement personnel », elle a une dimension thérapeutique. Pour des élèves « empêchés » dans la Langue (déficients intellectuels légers, dysphasiques, dyslexiques…) ou des élèves empêchés psychiquement (psychotiques, bi-polaires, dépressifs…), ce besoin est d’autant plus vif. Ceux qui sont dans la marge peuvent trouver dans la poésie un moyen de restaurer leur rapport à l’autre, au Grand Autre, ou au réel. Cela a fonctionné dans mon cas, alors pourquoi cela ne fonctionnerait pas pour eux ? Pour ce qui est de mes modèles en matière de pédagogie de la poésie à l’école, je suis très intéressé par les réflexions de : Serge Boismare, Jean-Pierre Siméon ou Patrick Laupin.
G.R : Un conseil à des auteurs qui souhaiteraient se lancer en poésie et faire connaître leurs textes ?
Vincent Calvet : Si j’ai un conseil à donner aux jeunes poètes, je leurs dirais : lisez, lisez beaucoup, beaucoup de poésie, et lisez de tout aussi ! Ne soyez pas feignants comme ce Système Éducatif vous a incité à être. Ne cherchez pas forcément à monter sur scène pour déclamer vos textes. Attendez d’avoir atteint un certain niveau de maîtrise. Ne confondez pas besoin d’expression, « quart d’heure de célébrité », et maîtrise de l’écriture. Montrez vos textes de temps en temps à des gens plus âgés que vous, des professeurs de français, des poètes, des gens de votre famille, de confiance. Ils vous signaleront quand vous serez assez mûr pour montrer vos textes à des éditeurs ou à des directeurs de revue. Car il ne faut pas hésiter, quand on est certain de tenir le bon bout, à publier. Sans lecteur, le poète n’existe pas. Il faut donc publier. Mais restez modeste, et sachez vous auto-évaluer.
Grégory Rateau
Souffle inédit
Magazine d’art et de culture
Une invitation à vivre l’art