Poésie

« Les chemins de la terre » Enza Palamara

Enza Palamara «Les chemins de la terre » en compagnie de Ce que dit le Nuage 

Les Jeudis d’Hyacinthe

Un proverbe méditerranéen dit, sans doute à juste titre, que Celui qui exerce le même métier que toi est ton pire ennemi. Cela peut à chaque instant se vérifier, notamment dans le monde des lettres où, souvent malheureusement, les enjeux sont plus symboliques qu’économiques. Pourquoi malheureusement, parce que les passions se déchaînent d’une façon démesurée et, là où on parle du nerf de la guerre, c’est-à-dire de l’argent, la pauvreté se fait double, voire multiple. Il faut en effet regarder dans le blanc des yeux la misère humaine qui tantôt a nom méchanceté, tantôt jalousie, tantôt envie ; et là, les belles lettres se transforment en cauchemar.

Si nous avons commencé par ce désagréable prélude, c’est pour bien mettre l’accent sur la beauté du « postlude » placé par Enza Palamara en fin de son superbe volume de poésie, intitulé Ce que dit le Nuage. Cette beauté, doublée d’une humanité réelle, est loin d’être nuageuse, au sens profond du terme, c’est-à-dire obscure, trouble ou encore vaporeuse. Non, la parole poétique d’Enza Palamara est à son image douce,limpide, transparente et lumineuse :

Au carrefour

de tous les chemins

l’âme

devient

Lumière

Source jaillissante

chant de louange

à la gloire

de la Lumière (pp. 179-181)

À chaque fois, le mot Lumière est pourvu d’une majuscule. Qu’est-ce à dire ? Quelle est cette Lumière et quelle relation entretient-elle avec le dit ou les dits du nuage ? Serait-ce l’histoire d’une convalescence, celle d’une méditation ou d’une vision du monde ? Certes, la poétesse, dans un prélude au titre significatif, « La parole cachée ou les errances d’une âme », nous donne pour ainsi dire le la, en se plaçant, dès les premiers mots, sous le signe du poète des Fleurs du Mal, déclarant que, elle aussi, aime à « glorifier le culte des images » (in Mon cœur mis à nu).

À ce titre, cette Lumière est-elle tout simplement une image ? La réponse ne nous semble pas évidente, d’autant plus que la poétesse est, entre autres, spécialiste des œuvres d’Yves Bonnefoy et d’Eugène Guillevic, autrement dit du poète auteur des essais lumineux du Nuage rouge et de celui qui, dans Possibles futurs, précisément dans Lyriques (1989), écrit : « Si je devenais nuage/ Je trouverais un nuage/ Qui serait toi. »

Voilà, pour les qualifier ainsi, les autresd’Enza Palamara ; ceux-là, parmi tant d’autres certes, nous rapprochent plus d’elle, elle qui, par, avec et grâce à sa sensibilité féminine, nomme et colorie tout à la fois. Ceci, elle l’exprime dans le prélude de « La parole cachée ou les errances d’une âme », en ces termes : « C’est ainsi que prend naissance Ce que dit le Nuage. Yves Bonnefoy parle de la “lecture poétique”, “celle par laquelle chacun invente et se connaît.” Habituée depuis longtemps à cette lecture, je ne m’étonnais pas de voir se refléter dans mon carnet l’écho de l’œuvre que je lisais. Un ami m’avait offert Le Nuage de l’inconnaissance, le livre d’un mystique anglais anonyme du XIVème siècle. »

À notre tour de lire cette prose métapoétique ainsi que sa poésie à la lumière de ses propres références, encore et toujours, car, comme l’écrit le substantiel Armel Guerne dans sa préface du Nuage de l’inconnaissance dont il est le poète-traducteur en français : « … qu’il me soit permis d’ajouter que c’est avec le sentiment sans cesse plus heureux d’infuser, à cette extrémité de la civilisation, un sang énormément plus jeune de quelque six siècles, dans une fraternité joyeuse, que j’ai accompli pour ma part cette tâche, et avec tout l’amour que peut y mettre l’ouvrier. » (Points/ Sagesses, 1977, p. 10.)

Or l’écriture d’Enza Palamara, en même temps que son travail pictural, nous permet de nous enlever (à ne pas confondre avec le verbe s’envoler), c’est-à-dire vivre réellement et mieux encore,le « jaillissement » du « don » « des sources jaillissantes » qui « assurent/ l’éternelle/ jeunesse/ du monde ». Non, en effet, bien que la poétesse se réfère à des textes de facture métaphysique, à l’instar du Nuage de l’inconnaissance et de Plotin, elle garde bien les pieds sur terre. Cet ancrage est, entre autres, assuré par les arbres dont il est question d’une façon permanente tout au long du livre, lesquels ont des racines bien fortes, bien profondes, et qui, eux aussi, sont pourvus de majuscules, comme suit  :

« Tu t’abrites

au cœur

de l’Arbre

qui offre

au monde

toute sa plénitude » (p. 147)

Cet Arbre serait-il l’Ami, l’Amoureux ou même l’Autre dans le creux duquel on trouve refuge ? Oui, assurément. C’est ainsi que, à travers ses proses, ses poèmes et ses dessins, que nous imaginons Enza Palamara : chaleureusement amicale, réellement et fidèlement amoureuse, profondément altruiste et surtout affable. À l’instar de cet « Arbre/ qui tel un ange/ désigne/ le chemin de guérison ».

Remarquons que les fragments de Ce que dit le Nuage ne se terminent jamais par un point final. À quoi bon en effet ? Celui, plutôt celle qui a souffert, qui a été en convalescence et qui a guéri, peut-être grâce aux mots, aux traits et aux couleurs, répugne aux fins hasardeuses des points finaux et autres signes de ponctuation fâcheux. Il faut peut-être, non, que disons-nous, surtout poursuivre son chemin :

                   « Les chemins de la terre

                        s’ouvrent

                        de nouveau

                        devant toi

                        Avec une infinie

                        douceur

                        tu te remets

                        en marche » (p. 139)

La vie est belle et elle mérite d’être vécue. Elle l’est d’autant plus qu’elle est courte et semée d’embûches. Mais la vie est belle parce que de vraies belles âmes, comme Enza Palamara, daignent nous accueillir dans leur amitié par la poésie et dans la poésie, qui est incontestablement la vraie vie.

Enza Palamara, Ce que dit le Nuage, Paris, Éditions Poesis, 192 pages, 19 euros,

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3 thoughts on “« Les chemins de la terre » Enza Palamara

  • Très beau.tres sensuel.on aurait dit une synphonie..

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    • Merci chère Badra Boulahrouz. La parole poétique d’Enza Palamara est vraiment exceptionnelle.

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  • Merci pour les deux articles sur Enza Palamara, auteure que je viens tout juste de découvrir et lire son dernier recueil. Recueil qui m’a bouleversée et que je vais relire plus profondément.
    Son  » expérience » est exceptionnelle. Une initiation en quelque sorte. Et qui m’a rappelé le livre de Natsume Soseki, qui lui aussi a frôlé la mort et écrit  » Choses dont je me souviens »..
    Bien cordialement. Je vais consulter régulièrement vos articles. Bravo. Et que vive la poésie !! . Shisyu.

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