Poésie

Pierre Perrin invité de Souffle inédit

Pierre Perrin invité de Souffle inédit

Entretien avec Pierre Perrin :  « Le fond sans la forme est peu de chose ; la forme sans le fond n’est rien »

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Pierre Perrin invité de Soufflé inédit

 

Pierre Perrin (dit parfois « de Chassagne ») est né en 1950. Poète et critique littéraire, il a publié son premier recueil en 1972, Pleine Marge, avec 24 photos de Jean-Claude Salet. Directeur des revues Possibles [vingt-et-un numéros parus de 1975 à 1980, puis 62 numéros en ligne de 2015 à 2021, enfin de retour sur papier depuis 2022 ] ainsi que La Bartavelle, deuxième série [de 1994 à 1997], il a donné plus de trois cents articles critiques dans La Nouvelle Revue française, Lire, Poésie1/Vagabondages, Autre Sud, Quinzaines, Service littéraire, Livre-Arbitres

Pierre Perrin invité de Soufflé inédit

Lauréat du Prix Kowalski de la ville de Lyon pour le recueil La Vie crépusculaire, Cheyne, 1996, il est aussi romancier avec Une mère le cri retenu, Cherche midi, 2001 et Le Modèle oublié [les amours de Courbet], Robert Laffont, 2019.

Il vient de publier au quatrième trimestre 2022 Des jours de pleine terre, un choix de poèmes qui embrassent la période allant de 1969 à 2022.

Pierre Perrin invité de Soufflé inédit

Rencontre.

Des jours de pleine terre est beau aussi bien littérairement qu’artisanalement. Le volume est vraiment plaisant, agréable à tenir, à ouvrir, à manier et la fabrication est réussie, de la couverture reprenant le détail d’une toile de Sophie Brassard au choix de la typographie. Y avez-vous veillé ? Comment est né ce volume dont le premier poème est « Naissance » et le dernier « Salut » ?

Pierre Perrin : Le salut graphique est à rendre à Sophie Brassard, qui m’a offert ce portrait, puis à l’éditeur, Alain Gorius. Pour ce qui est de la typographie et de la présentation sur la page, je suis sensible au bon goût que je pratique au mieux dans ma propre revue. Pour la composition du volume, le présent ensemble de cent-dix poèmes reproduit une partie de ceux qui composaient La Vie crépusculaire, prix Kowalski 1996, un volume épuisé depuis plus de vingt ans ; les poèmes retenus, dûment retravaillés. Écrits en vers, je les avais publiés en prose. Je les croyais plus lisibles, jusqu’à ce que je récuse le poète fainéant, pire : courtisan. La navette a repris son cours, le vers a reversé, le labour achevé. Si, longtemps, j’avais pensé rééditer La Vie à part, les poèmes qui ont suivi, sans attendre, et les autres, malgré un intervalle de dix ans de silence, diffèrent-ils des précédents ? J’ai donc intégré les inédits qui, sous le titre actuel, auraient pu constituer un autre recueil. Je ne fais pas carrière en ce sens que je ne suis pas pressé. Je ne prétends pas avoir raison. L’orthographe en capilotade, en France, la notion de rythme perdue, comme si des basses la noyaient, la littérature rentre aux catacombes pour cinquante ans, si tant est que le redressement de l’éducation réussisse. En attendant, il faut s’inscrire dans cette époque, y faire sa course de culs-de-jatte, sans pleurer les jambes tranchées, le sang bientôt séché. Qui suivra mes prétentions ? Il n’est doute qui ne se renverse.

 

Dédié à Christine, précédé d’une épigraphe de Georges Perros, extraite du troisième volume des Papiers collés : « Vivre est émouvant, et la poésie n’est pas autre chose que le relevé sec, tranchant, impitoyable, de cette émotion sans équivalent immédiat », Des jours de pleine terre semble prendre à bras-le-corps votre œuvre-vie. Comment avez-vous choisi les textes qui y sont recueillis ? Pourquoi ne pas avoir demandé à un ami poète ou universitaire – nous pensons à Jean-Pierre Siméon et à Jean-Yves Debreuille, tous deux présents dans votre livre – de vous accompagner par une préface ou une postface ?

Pierre Perrin : Pour le choix, j’ai entremêlé des poèmes repris, retravaillés dans le sens de la nécessité – traquant la redondance, le vague, l’insuffisance, parce que le cerveau est une machine infernale qui produit le meilleur et le pire, le tout est de trancher – avec des inédits. L’exergue de Perros est éclairant. À l’origine, citée entière pour La Vie crépusculaire, elle compte dix lignes. Les deux retenues pour Des jours de pleine terre suffisent. J’ai souffert de ne pas trouver d’emblée la perfection, de douter du meilleur, jusqu’à ce que je me rende compte qu’après tout Perros non plus n’avait pas identifié le noyau ; il a publié la gangue, le premier. Ceci dit, merci de relever l’exergue. Il éclaire ma conception de la poésie. L’émotion est première – celle de Villon qui risque la pendaison, celle de Vigny qu’émeut l’assassinat d’un loup, celle de Rimbaud qui, à seize ans, eût pu finir, « deux trous rouges au côté droit ». L’émotion est à transmettre. La simplicité, la clarté ne va pas sans féérie. Il faut essorer la langue, l’enchanter, lui faire dire le plus possible avec le moins de mots. Je crois que le fond sans la forme est peu de chose ; la forme sans le fond n’est rien. La poésie ? Une aide à vivre mieux pour qui contemple l’absolu dans la Beauté. J’ai donc choisi ce que je crois être le meilleur de ce que j’ai écrit en un demi-siècle. Je pars de la naissance et outrepasse ma propre disparition. Je chante la vie, les doutes, les amours, les horreurs et la paix qu’il faut gagner. La quête du bonheur ne constitue-t-elle pas une ligne d’horizon pour chacun ? Ma première anthologie, Manque à vivre, 1985, 256 pages, constituée sur le même modèle (un choix dans mes quatre premiers recueils précédait la seconde moitié, inédite), recueillait une postface d’Yves Martin. La Vie crépusculaire, une deuxième anthologie (pour moitié inédite), se suffisait. Pour Des jours de pleine terre, je n’ai sollicité personne. Je sais la nécessité d’agiter des drapeaux pour se faire voir. Je sais la confusion qui fait se côtoyer le nécessaire et l’imposture. Un chef-d’œuvre, à quoi chacun prétend, conjoint un talent, une ténacité et un travail, pour gagner sinon la perfection, qu’au moins force scories soient écartées. Nul critique, aucun poète-fétiche n’imposent l’authenticité. Celle-ci doit se défendre par la seule lecture. La patience est nécessaire. Si des lecteurs assez nombreux en sont convaincus, un jour, des doctes examinent l’œuvre. Ils scrutent la qualité ; s’ils l’établissent, bientôt une histoire fixe le poète digne de ce nom dans la mémoire. Longtemps porté pire qu’une croix, le temps devenu mon allié ouvre-t-il désormais la marche ? Je vous remercie pour votre attention, Aymen. Je ne connaîtrai pas mon sort définitif qui, par chance, m’indiffère un peu plus chaque jour.

 

Comment travaillez-vous ? Pouvez-vous précisément nous dire comment vous passez de la poésie à la prose, de la narration à l’essai et de la création à la critique ?

Pierre Perrin : J’essaie de travailler au plus juste. J’écris un poème quand une émotion me traverse, je devrais écrire : me transperce. Je me suis arrêté plusieurs fois, plusieurs années consécutives. À quoi bon, si on n’est pas lu ni compris ? Je pose sur les volumes des confrères et consœurs un regard aussi exigeant que pour la confection des miens propres. La critique me permet de mieux éprouver puis retenir le meilleur ainsi que de circonscrire les erreurs. En prose, j’éprouve également une nécessité, que ce soit sur le souvenir de ma mère [Le Cri retenu] ou la vérité sur Courbet. Je porte au clair mes intuitions, je me relis le plus possible, jamais pressé de publier. Une imperfection est si vite arrivée. Bien sûr, je réfute les négligences qui singent la populace. La beauté me paraît enviable. Les idéologies qui la rejettent contribuent au déclin de notre civilisation.

 

Beaucoup de grands poètes sont partis au cours de ces dernières années, dont Serge Sautreau, en 2010, Édouard Glissant en 2011, Jean-Claude Pirotte en 2014, Alain Jouffroy en 2015, Yves Bonnefoy en 2016, Lorand Gaspar en 2019, Salah Stétié en 2020, Philippe Jaccottet et Bernard Noël en 2021, Michel Deguy en 2022. Comment la poésie française se portera-t-elle désormais ? De quel œil voyez-vous ce qui se fait aujourd’hui, entre ce qui est écrit et publié, et ce qui répugne au livre et se présente comme performance ou installation ?

Pierre Perrin : Vous êtes généreux. La poésie, pour moi, participe du sacré. On peut cependant mesurer la teneur d’un texte. « Toute œuvre d’art est fonction de trois variables : sources extérieures, sources intérieures, langage. » Charles Mauron, Mallarmé par lui-même, Seuil, 1964. Un langage inouï et simple à la fois doit porter l’œuvre. La difficulté réside dans le fait qu’aucun homme ne possède sa propre langue. L’exactitude en lambeaux, c’est elle qui le possède. Il faut donc travailler. Pour les « sources intérieures », certaines des miennes ne semblent pas inaccessibles à un lecteur attentif, ému peut-être, en tout cas qui fait sien tel ou tel de mes poèmes. Pour les extérieures, la culture et la vie les pressent comme un raisin. Qui peut ne pas aimer, ne pas réfléchir, ne pas sortir de son nombril ? Parmi ce qui s’écrit aujourd’hui, quelques grands croisent des avortons. Des Béranger cultivent leur cour de santons. Je ne suis pas le seul à publier des voix nouvelles dans ma revue Possibles. Je déplore ailleurs un manque cuisant de lectures. L’esbroufe est une pitié. La littérature française compte dix siècles d’existence. Certains jeunes s’abreuvent trop de poètes Coca-cola, à la vulgarité tonitruante ; forcément ils n’écrivent pas mieux. Le principe de la table rase reste une catastrophe. Montaigne disait déjà combien l’ignorance favorise les croyances.

 

Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, en arabe par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Pierre Perrin : Drôle de question. L’éternité, la métempsycose sont des leurres au même titre que le paradis. Les mots ne sont que des moyens d’échange. Ils ne valent qu’en escadrilles, c’est-à-dire en phrases. Quant à dire mon poème préféré ? Des jours de pleine terre forme un tout, qui plus est testamentaire. Les poèmes y jouent comme des mots, ils se renvoient des sens d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Vous l’avez vu vous-même, qui débutez l’entretien par cette observation : le premier poème est « Naissance » et le dernier « Salut »… Je vous remercie pour votre attention.

Aymen Hacen

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Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

One thought on “Pierre Perrin invité de Souffle inédit

  • Merci, cher Aymen, pour la qualité des questions posées, puis la publication de cet entretien dans ce « journal » en ligne. Bonne suite de vie.

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