Poétesse kabyle et auteure de Plume vacillante, Sadrina Aissani puise dans ses racines, ses souvenirs et l’art du haïku pour offrir une poésie à la fois sensible et résiliente.
Sadrina Aissani
« Les poètes ont toujours quelque chose à dire, parce que le monde a besoin de beauté. »
POÈTES SUR TOUS LES FRONTS
Sadrina Aissani : la poésie comme force et douceur du monde
Par Lazhari Labter
Elle signe Sad ses écrits sur sa page Facebook, diminutif du très joli prénom Sadrina, comme « Sad », la quatorzième lettre de l’alphabet arabe qui renvoie à la solidité. Et solide, Sadrina l’est. Elle a souvent vacillé mais elle n’a jamais plié car :
La vie est ainsi faite
Elle n’est pas si parfaite
Ne jamais céder à la défaite.
Cette poétesse, native de Sidi Aich, descendante d’une famille lettrée originaire du village d’Elflye, dans la wilaya de Bejaia, village dont est issu Abdennour Amour, est une véritable Tifirella (hirondelle), comme ces Tifirellas que chante le célèbre auteur-compositeur-interprète algérien d’expression kabyle.
Sa poésie est irriguée par ses souvenirs d’enfance, des souvenirs qu’elle a gardé intacts depuis que, petite fille, elle empruntait l’allée Ath-Aissani qui mène vers la maison, à laquelle elle a consacré un poème :
Je me laisse aller
Planer dans les airs
Pour me sentir légère
Montant ce chemin,
Une trêve, je rêve…
Méditant sur cette allée
Combien, ceux qui ont traversé,
S’en sont allés.
Ah ! si ces murs pouvaient parler
De cette famille un peu décalée.
De son défunt père, elle a appris « l’humilité, le courage, la patience et par-dessus tout l’humanité », dit-elle dans la dédicace de son premier recueil de poésie qu’elle a lui a consacré.
Là où se tient une rencontre littéraire, là où une signature d’ouvrage par un auteur est organisée, on la retrouve. Elle n’hésite pas, par amour de la littérature, à faire, parfois dans la journée, l’aller-retour Bejaia Alger pour rencontrer un écrivain ou acheter un livre signé.
Nos chemins se sont souvent croisés ici ou là, lors des belles rencontres autour du livre dont elle dit dans un poème intitulé justement « Le livre » :
Le livre est un placebo
Qui atténue les mots.
[…]
Nous transporte hors du temps
Vers d’autres ports
[…]
En dépit des coups du sort, elle n’en apprécie pas moins les petits riens de la vie :
Des petits riens
Embellissent notre quotidien
Mine de rien
Nous font du bien
[…]
Sensible à tout ce qui est humain, le cœur de Sadrina déborde d’amour pour celles et ceux qu’elle aime, mais aussi pour toute l’humanité souffrante :
J’aimerai te donner un peu de chaleur
Afin que tu oublies tes malheurs
J’aimerai soigner ton chagrin
Afin que tu penses au joli lendemain
[…]
Depuis qu’elle a découvert le haiku, elle qui a le sens de la formule et du raccourci pour exprimer ses idées, elle s’en donne à cœur joie en composant des haikus qu’elle partage sur sa page Facebook. Un haiku clôt d’ailleurs son premier recueil dans l’attente du prochain sous le titre Au rythme des silences.
Parfois, je compose
Un haiku
Quand ça me prend
Jusqu’au cou
Je m’inspire
Du coup…
Donne un bon coup
Aux idées…
Ça le rend plus fou…
J’allais rajouter et plus doux car Sadrina est la douceur faite poétesse.
Lazhari Labter : J’aime bien commencer mes entretiens pour cette rubrique de « Souffle Inédit » avec la convocation d’un souvenir. Qu’évoque pour toi cette photo ?
Sadrina Aissani : Cette photo me rappelle profondément la Kabylie, ma terre natale. Les pierres, la terre cuite, l’artisanat… tout parle de racines, de traditions et de ce lien intime entre l’homme et la nature. C’est comme retrouver un écho familier, même loin de chez soi.
L.L. : Alors que tu taquines ma Muse depuis longtemps et que tu es connue comme poétesse à travers les réseaux sociaux et en particulier Facebook, tu as publié en 2023 ton premier recueil de poèmes sous le titre Plume vacillante. Pourquoi as-tu mis as-tu mis tout ce temps pour publier une partie de ta poésie et que signifie pour toi ce titre ?
Sadrina Aissani : J’ai longtemps écrit sans penser à publier. La poésie était pour moi un espace intime, presque secret, où je dialoguais avec moi-même et avec le monde. En 2023, j’ai senti que certaines de ces voix intérieures avaient besoin de rencontrer des lecteurs. Plume vacillante, c’est l’image de cette fragilité assumée : une plume qui tremble parfois, mais qui continue à tracer, même au cœur du doute.
L.L. : Tu composes, en plus de la poésie en vers libre, des haîkus que tu publies sur ta page Facebook. A la fin de ton recueil de poèmes, tu dis :
Parfois, je compose
Un haïku
Quand ça me prend
Jusqu’au coup
Je m’inspire,
Du coup…
Donne un bon coup
Aux idées…
Ça le rend fou
Que t’apporte le haïku qui est un genre poétique japonais très codifié et plus difficile qu’on ne croit en plus de la poésie classique ?
Sadrina Aissani : Le haïku m’apporte une forme de respiration poétique différente de la poésie classique ou du vers libre. C’est un exercice de concision qui oblige à aller droit à l’essentiel, à capturer un instant fugace, une sensation, une émotion, avec un minimum de mots mais un maximum de profondeur.
Sa structure codifiée, loin de me brider, stimule ma créativité. Je dois parfois tourner longtemps autour d’une image pour trouver la formulation juste, et ce travail d’épure m’apprend à éliminer tout superflu.
En somme, le haïku me recentre, me reconnecte à l’instant présent et à l’observation fine du monde, tandis que la poésie classique me permet davantage d’ampleur, de récit et d’élan. Les deux se complètent et nourrissent mon écriture.
L.L. : Dans nombre de tes poèmes, tu aimes jouer avec les mots en utilisant un langage familier, ce qui les rend drôles, humoristiques, amusants, avec beaucoup, comme dans « Koko le cocorico » :
Koko le cocorico
Charmeur fait le beau
Cocotte la cocotte qui cocotte
Se fait coquette
Koko le cocorico courtise
Cocotte la cocotte
Cocotte la cocotte est séduite
Conquise est sous emprise
Koko le malin est coquin
Court après une autre cocotte
Sa nouvelle conquête
N’est pas aussi bigote
Par excès de zèle se met à caqueter
Ah ! Koko le coq cocu
Se fait piéger à son insu
Le célèbre poète français Jacques Prévert est-il pour quelque chose dans ta poésie, parfois grivoise, qui utilise l’humour, l’ironie et la parodie ? Conçois-tu ce genre plaisant comme une forme de critique sociale ?
Sadrina Aissani : J’aime beaucoup Prévert, bien sûr, pour sa liberté de ton, son humour et son art de mêler tendresse et impertinence. Mais je crois que ma façon de jouer avec les mots vient surtout de mon goût pour l’oralité, pour la musicalité spontanée du langage de tous les jours.
Le langage familier, les rimes inattendues, les images drôles ou un peu coquines… tout cela permet de créer une connivence avec le lecteur. On rit, on sourit, mais derrière le sourire se cache souvent un petit clin d’œil critique : sur les travers humains, les illusions amoureuses, ou même certaines hypocrisies sociales.
Oui, ce genre léger est aussi pour moi une façon de faire passer un message sans en avoir l’air. C’est comme offrir une vérité enrobée dans un bonbon acidulé : on savoure d’abord la douceur, puis on sent le piquant.
Dans l’ombre bienveillante du grand écrivain, anthropologue et linguiste algérien Mouloud Mammeri à Ath Yenni, en Kabylie.

L.L. : Lorsqu’un « frustré » comme tu l’appelle s’en est pris à la statue d’Aïn El-Fouara, la fameuse Néréide, l’un des symboles de la ville de Sétif, dans l’est algérien, tu as répondu par ce haïku :
Statue immobile
Dans l’eau claire elle repose
Le vent la caresse.
Penses-tu que chaque coup porté à cette statue qui dérange les « frustrés » est un coup porté à Ève et à toutes les filles d’Eve ?
Sadrina Aissani : Oui, absolument. Chaque attaque contre cette statue dépasse la pierre : c’est une attaque contre l’image de la femme, sa liberté, sa beauté et sa place dans l’espace public. Pour moi, c’est symboliquement un coup porté à Ève et à toutes ses filles, partout où elles se trouvent.


L.L. : Dans un de tes « posts » sur ta page Facebook, tu cites le grand écrivain japonais Haruki Murakami qui dit : « Il faut être fort pour vivre. Mais la force que je recherche n’est pas celle qui distingue la victoire de la défaite. Je ne cherche pas un mur capable de repousser la force qui vient de l’extérieur.
Ce que je veux, c’est être capable d’absorber cette force, de lui tenir tête. La force d’endurer les choses avec calme – des choses comme l’injustice, la malchance, la tristesse, les erreurs, les malentendus ». Pourquoi le choix de cet auteur et de cette citation en particulier ?
Sadrina Aissani : J’ai choisi Murakami parce qu’il exprime une force qui me parle profondément : celle qui ne se mesure pas en victoires visibles, mais en capacité à rester debout face à l’injustice, à la douleur, aux épreuves. Cette citation rejoint ma vision de la résilience : accueillir les coups de la vie sans se briser, en gardant sa dignité et son calme.
L.L. : Qu’est-ce que la poésie pour toi et penses-tu que les poètes ont encore quelque chose à dire dans un mode dominé par des brutes insensibles à la beauté ?
Sadrina Aissani : Pour moi, la poésie est une manière de dire l’indicible, de capturer l’âme des choses, même quand tout autour semble brutal ou indifférent. Les poètes ont toujours quelque chose à dire, justement parce que le monde a besoin de beauté, de sens et de sensibilité. Plus la brutalité gagne du terrain, plus la voix des poètes devient nécessaire.
Deux poèmes de Sadrina Aissani extraits de son premier recueil Plume vacillante :
La mise au point
Etudier quelques points
Faire une mise au point
Sans point léser les mauvais points,
A tel point que l’amour surgit à point nommé
Ne cesse point de s’édifier
Et mon corps prend de l’embonpoint
On serre les points,
Ne point mettre les points sur les I
Ne soyons pas esclaves des points.
Les petits riens
Des petits riens
Embellissent notre quotidien
Mine de rien
Nous font du bien.
Des petits riens
Des étincelles en folie
Nous réjouies.
Des petits riens
Aussi anodins
Tissent de profonds liens
Des petits riens
D’enfants câlins
Dissipent les chagrins
Des petits riens
Tant de plaisirs à offrir,
Redonnent le sourire.
Des petits riens
Des gestes d’amours
Ornent l’esprit
De précieux atours.
Des petits riens
Les yeux flânent
Les rires fusent
Chassent les maux
Renvoient de meilleurs échos
Ainsi les infiniment petits riens
Deviennent infiniment grands
Au fil des temps.
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