Sophie d’Arbouville, l’étoile discrète du romantisme français

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Poétesse et nouvelliste du XIXᵉ siècle, Sophie d’Arbouville fut une figure discrète mais influente du romantisme, admirée par Sainte-Beuve et fréquentée par Mérimée et Chateaubriand.

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Sophie d’Arbouville, une voix féminine au cœur du romantisme

Poème choisi

Sophie d'ArbouvillePoème l'hirondelle

L’hirondelle

Ô petite hirondelle
Qui bats de l’aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d’un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l’hirondelle
Qui bat de l’aile ?

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Moi, sous le même toit, je trouve tour à tour
Trop prompt, trop long, le temps que peut durer un jour.
J’ai l’heure des regrets et l’heure du sourire,
J’ai des rêves divers que je ne puis redire ;
Et, roseau qui se courbe aux caprices du vent,
L’esprit calme ou troublé, je marche en hésitant.

Mais, du chemin je prends moins la fleur que l’épine,
Mon front se lève moins, hélas ! qu’il ne s’incline ;
Mon cœur, pesant la vie à des poids différents,
Souffre plus des hivers qu’il ne rit des printemps.

Ô petite hirondelle
Qui bats de l’aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d’un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l’hirondelle
Qui bat de l’aile ?

J’évoque du passé le lointain souvenir ;
Aux jours qui ne sont plus je voudrais revenir.
De mes bonheurs enfuis, il me semble au jeune agi
N’avoir pas à loisir savouré le passage,
Car la jeunesse croit qu’elle est un long trésor,
Et, si l’on a reçu, l’on attend plus encor.

L’avenir nous parait l’espérance éternelle,
Promettant, et restant aux promesses fidèle ;
On gaspille des biens que l’on rêve sans fin…
Mais, qu’on voudrait, le soir, revenir au matin !

Ô petite hirondelle

….

De mes jours les plus doux je crains le lendemain,
Je pose sur mes yeux une tremblante main.
L’avenir est pour nous un mensonge, un mystère ;
N’y jetons pas trop tôt un regard téméraire.

Quand le soleil est pur, sur les épis fauchés
Dormons, et reposons longtemps nos fronts penchés ;
Et ne demandons pas si les moissons futures
Auront des champs féconds, des gerbes aussi mûres.

Bornons notre horizon…. Mais l’esprit insoumis
Repousse et rompt le frein que lui-même avait mis.

Ô petite hirondelle
…..

Souvent de mes amis j’imagine l’oubli :
C’est le soir, au printemps, quand le jour affaibli
Jette l’ombre en mon cœur ainsi que sur la terre ;
Emportant avec lui l’espoir et la lumière ;
Rêveuse, je me dis : « Pourquoi m’aimeraient-ils ?

De nos affections les invisibles fils
Se brisent chaque jour au moindre vent qui passe,
Comme on voit que la brise enlève au loin et casse
Ces fils blancs de la Vierge, errants au sein des cieux ;
Tout amour sur la terre est incertain comme eux ! »

Ô petite hirondelle
….

C’est que, petit oiseau, tu voles loin de nous ;
L’air qu’on respire au ciel est plus pur et plus doux.
Ce n’est qu’avec regret que ton aile légère,
Lorsque les cieux sont noirs, vient effleurer la terre.

Ah ! que ne pouvons-nous, te suivant dans ton vol,
Oubliant que nos pieds sont attachés au sol,
Élever notre cœur vers la voûte éternelle,
Y chercher le printemps comme fait l’hirondelle,
Détourner nos regards d’un monde malheureux,
Et, vivant ici-bas, donner notre âme aux cieux !

Ô petite hirondelle
Qui bats de l’aile,
Et viens contre mon mur,
Comme abri sûr,
Bâtir d’un bec agile
Un nid fragile,
Dis-moi, pour vivre ainsi
Sans nul souci,
Comment fait l’hirondelle
Qui bat de l’aile ?

Sophie d'Arbouville

Recueil : Poésies et nouvelles (1840)

Sophie d’Arbouville naît à Paris le 29 octobre 1810, dans un siècle où la littérature se nourrit des élans du romantisme et des mouvements d’idées qui bouleversent la société française. Très tôt, elle s’oriente vers la poésie et l’écriture, cherchant dans les mots un espace d’émotion et de liberté.

À vingt-deux ans, elle épouse le général François d’Arbouville. Peu après, celui-ci est envoyé en mission en Afrique. La santé fragile de Sophie ne lui permet pas de l’accompagner, et cette séparation devient pour elle un moment de solitude féconde. Repliée sur elle-même, elle puise dans cette absence la matière de sa poésie, entre mélancolie et espérance.

De retour à Paris, elle fonde un salon littéraire où la poésie, la critique et la conversation tiennent une place essentielle. Ce lieu devient un petit centre d’effervescence intellectuelle. Prosper Mérimée, Chateaubriand et surtout Sainte-Beuve y sont des visiteurs réguliers. Ce dernier lui dédie plusieurs poèmes et entretient avec elle une correspondance nourrie, où se dessine une estime réciproque. À travers elle, Sainte-Beuve reconnaît une âme cultivée, une voix juste et une intelligence du sentiment.

L’œuvre de Sophie d’Arbouville, bien que modeste par sa quantité, se distingue par la sincérité du ton et la clarté du style. Ses poèmes, empreints d’une sensibilité intime, évoquent la fragilité du bonheur et la profondeur des émotions humaines. Ses nouvelles, publiées dans différentes revues, traduisent une fine observation des cœurs et des mœurs. Dans Une destinée ou La Lettre du mari, elle s’attache à décrire les élans contrariés de l’amour et la condition des femmes, avec une lucidité douce et sans amertume.

Sophie d’Arbouville s’éteint prématurément à Paris le 22 mars 1850, à seulement trente-neuf ans. Elle laisse une œuvre rare mais précieuse, témoin d’une vie consacrée à la littérature et à la quête d’un idéal poétique. À travers ses écrits, transparaît la grâce d’un romantisme intérieur, celui qui préfère l’émotion contenue à l’éclat, la pensée au tumulte.

Aujourd’hui encore, son nom reste associé à une écriture claire, pudique et profondément humaine — celle d’une femme de cœur et d’esprit, fidèle à la poésie jusque dans le silence.

Poèmes : À une jeune fille, Souvenir de la mer, À ma sœur, Le Soir
Nouvelles : Une destinée (1841), La Lettre du mari (1846), La Veuve

« La poésie ne console pas toujours, mais elle éclaire le chagrin d’une lueur que rien d’autre n’offre. »

La poétesse
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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