« Miles Davis et la quête du son » : une bande dessinée signée Dave Chisholm, traduite de l’anglais par Philippe Touboul aux éditions Glénat.
« Miles Davis et la quête du son » : Dave Chisholm dessine Miles Davis au plus près de sa musique
Dans « Miles Davis et la quête du son », édité par Glénat, le musicien et illustrateur américain Dave Chisholm retrace en bande dessinée l’itinéraire d’un artiste constamment en mutation. L’ouvrage offre une plongée dans le processus artistique du trompettiste à travers un récit visuel soigné et une narration élaborée à partir de ses propres paroles, tout en faisant mention de ses paradoxes, de ses blessures et de ses éclairs de génie.
Rédiger une biographie illustrée de Miles Davis sans tomber dans la superficialité est un défi audacieux. Dave Chisholm, qui est également trompettiste, s’attaque à la tâche avec une
Dave Chisholm, lui-même trompettiste, relève le défi avec une approche rigoureuse, construite autour de la quête artistique du musicien. Miles Davis et la quête du son n’est ni un résumé illustré ni un simple hommage : c’est une tentative exigeante de traduire en images l’évolution d’un langage sonore.
L’histoire commence au début des années 1980, suite à un accident cardiaque qui a temporairement privé Miles Davis de Un docteur lui suggère donc le dessin comme moyen de rééducation. Cette porte d’entrée, imprévue mais véritable, donne à Chisholm l’opportunité de structurer la bande dessinée autour d’un mouvement perpétuel entre musique et arts visuels. On y rencontre un Davis artiste, tout autant captivé par les formes que par les sons, animé par la conviction que la musique se perçoit autant visuellement qu’auditivement.
Le livre se présente sous la forme d’un récit à la première personne, élaboré à partir de dialogues, de passages d’autobiographie et de propos du musicien. Chisholm ne vise pas à tout exprimer, mais choisit soigneusement les mots et les séquences qui mettent en lumière un parcours artistique rigoureux. Au lieu de suivre une ligne temporelle stricte, le compte rendu se concentre sur les moments cruciaux, les explorations, les tournants qui ponctuent la trajectoire artistique de Miles Davis — de Birth of the Cool à Bitches Brew, en considérant également ses périodes d’inactivité, ses descente et remontées.
Le fait de privilégier la création plutôt que l’étude biographique détaillée confère une puissance distinctive à la bande dessinée. Chisholm réussit à représenter visuellement comment Miles Davis envisageait la musique : de manière libre, fluide, indescriptible. L’agencement influence donc les variations de rythme, les oppositions entre les planches minutieusement organisées et les doubles-pages plus dispersées. Le dessin varie entre fluidité, heurtement, éclatement et introspection, en résonance avec le style de l’artiste musical.
Visuellement, les décisions de Chisholm sont à la fois compréhensibles et créatives. Les portions dédiées à la composition musicale sont fréquemment illustrées par des distorsions visuelles qui reflètent l’exploration sonore. Ces transitions vers l’abstraction demeurent constamment au service du discours : illustrer ce que signifie rechercher son propre son, cette voix intérieure que Miles Davis n’a jamais cessé de traquer, en rejetant la répétition, en s’entourant de jeunes musiciens audacieux qu’il encourage sans cesse à s’éloigner des chemins conventionnels.
Cependant, l’auteur ne fait pas l’impasse sur les éléments plus obscurs de ce parcours. L’histoire aborde également des thèmes tels que la violence, la jalousie, les addictions et les liaisons amoureuses chaotiques. Sans céder au pathos, ces aspects contribuent à nuancer le tableau, illustrant comment les zones d’ombre ont pu parfois entraver la poursuite artistique sans jamais la détruire.
Malgré le choix du format de publication (18,2 x 26,5 cm), il y a une petite déception : certaines planches minutieusement élaborées, en particulier celles où l’illustration se détache d’une narration linéaire, auraient bénéficié d’un espace plus large pour exprimer pleinement leur force visuelle.
En outre, le livre illustre également un échange à distance entre deux artistes : Chisholm, musicien-dessinateur, y exprime subtilement sa sensibilité personnelle, son aptitude à comprendre en profondeur ce que signifie créer à partir du doute, du silence et de la rupture. Cette résonance discrète confère au livre une tonalité appropriée et équilibrée, loin de toute louange exagérée.
Miles Davis et la quête du son ne se limite pas à être un portrait d’artiste. C’est une exploration visuelle de l’effort interne de la création, de ce que cela implique d’inventer, de chercher, de recommencer, de tomber et ensuite de se relever. Par sa forme, ses choix narratifs et son regard respectueux mais lucide, Dave Chisholm livre une oeuvre brillante, à la hauteur de son sujet.