L’Autre du manque. Navigation intérieure, exposition d’Iren Mihaylova et de Nathalie Straseele – peintres et poétesses de l’intériorité à Melun et à Paris
La galerie Place D à Melun
Du 16 février et le 9 mars
Exposition permanente
L’Espace Ysmaïloff à Paris (15ème arrondissement)
Dans le cadre d’un projet collectif, à la fois poétique et artistique sur l’intériorité, les peintres et poétesses Iren Mihaylova et Nathalie Straseele créent un livre collaboratif d’art et de poésie intitulé Navigation intérieure (à paraître en février 2025), faisant dialoguer leurs univers picturales et poétiques. Ce travail donne ensuite lieu à une collaboration artistique autour de l’Adresse à l’Autre et précisément l’Autre du manque, travail autour du deuil dans lequel elles sont toutes les deux engagées depuis de nombreuses années et qui fait le titre de leur deuxième livre collaboratif (Travail sur le deuil, journal d’écriture illustré, Peau Electrique, à paraître en juin 2025). En mars 2025 Iren Mihaylova associe ce projet autour du deuil au projet Peau Electrique – laboratoire de création contemporaine – qu’elle co-anime avec Damien Paisant, travail sur le deuil qui donnera lieu à une deuxième exposition (permanente) de plusieurs peintres de Peau Electrique à Paris, notamment à l’Espace Ysmaïloff dans le 15ème arrondissement mais aussi ailleurs.
Merveille envolée de Nathalie Straseele
La première exposition dans le cadre de ce projet aura lieu entre le 16 février et le 9 mars à la galerie Place D à Melun et présentera 20 tableaux – portraits, figures et paysages – d’Iren Mihaylova et de Nathalie Straseele, avec un vernissage et une présentation du livre Navigation intérieur le 21 février à 19 h ; lectures accompagnées par les compositions musicales du luthiste Mario Achkar, une performance déambulatoire conçue pour l’exposition, animée par la performeuse, peintre et poétesse Carthographie Messyl.
Défaire la spirale du temps suspendu
Par Sébastien Souhaité
Au commencement. Tout est noir. Les premières pages se résorbent dans une origine insituable, peut-être même une absence d’origine. Puis apparaissent les premiers mots d’Iren Mihaylova : « Ce quelque chose que je touche / du bout des doigts… tellement fragile… ». Quelque chose surgit, donc, quelque chose noir, comme l’écrirait Jacques Roubaud, à quoi fait écho le verbe inaugural de Nathalie Straseele – « toi que je ne connais pas » – suspendu dans le vide (de la création). Ainsi peut émerger le singulier, immédiatement placé sous le signe de la dualité : celle des visages féminins qui nous font face, des « je » qui s’affirment et prennent appui l’un sur l’autre dans un fécond dialogue, jusqu’à ce que se cristallisent peu à peu leurs identités (« Ce que je suis ? », s’interrogent les auteures), sans cesse menacées par les contrées du sommeil et du rêve bordant le néant.
Exister, c’est-à-dire avant tout s’extraire de l’informe – ex-ister, donc, que ce soit à travers les fulgurances du poème ou celles de l’image, n’advient qu’à condition que soit investi l’espace du tremblement et du déséquilibre – de la « parallaxe », infime entre-deux où se déploie le mouvement. C’est ainsi que fluidité et liquidité autorisent au fil des pages mutations ou métamorphoses à peine perceptibles, glissements et déplacements qui ne sont pas sans évoquer la grammaire des songes et ses métonymies. Rien qu’une lettre sépare l’encre de l’ancre, l’ombre de l’ambre, mais cela suffit pour que s’ouvre une brèche bienvenue dans le mur opaque des significations que nous impose le langage.
Cette exploration des virtualités plus ou moins conscientes du sens s’opère forcément à bas bruit, au ras du « silence accablant » où règnent « Rumeur », « cri muet » et autres « murmures ». À cette humble altitude seulement peut se résoudre l’apparente aporie du discours poétique en butte à l’ineffable, qui pousse les deux artistes à se tourner vers les ressources de l’image.
C’est tout d’abord à tâtons et les yeux bandés que l’on progresse dans un espace où seules les vives couleurs de l’intériorité profonde semblent tenir lieu de lumière. La peinture fait ici feu de tout bois comme pour nous contraindre à oser regarder. Au bouillonnement du geste de Nathalie Straseele, qui pulvérise les contours de la réalité, répondent les aplats énergiques d’Iren Mihaylova dont la touche rebelle semble lutter contre tout ce qui menace l’être dans son entité subjective. Chez Nathalie Straseele, la substance de l’univers, originellement chromatique, semble en fusion, comme s’il s’agissait de mettre en évidence l’unité essentielle des différents états de la matière. Lignes et frontières s’estompent, voire s’effacent. Le mouvement se résorbe pour révéler la porosité constitutive des éléments du monde – constellations, paysages, personnages – dont nous frappent la consistance autant que la fragilité. La peinture d’Iren Mihaylova est, quant à elle, davantage le reflet d’une recherche profonde de sens et d’altérité. S’affrontent dans ses toiles les forces archaïques de la désarticulation dans un temps suspendu, du regard tourné vers l’intérieur (les yeux ouverts ou fermés) et du vertige, ce que l’assurance apaisée des portraits féminins cernés par les images mouvantes de fleurs et de papillons affirme et ceci malgré la tension inhérente des opposés internes. L’horizon qui dès lors se dessine semble celui d’une harmonie rêvée, illustrée par la toile de Mihaylova Trois Grâces qui signe la fin du livre.
Au-delà, cependant, de ce qui semble séparer les deux peintres dans l’approche de l’expression picturale, celle-ci se fond pour l’une comme pour l’autre sur une dialectique de la (dé)figuration – déconstruire, disent-elles – et de la reconfiguration : peindre, ainsi, tout comme écrire, d’ailleurs, supposerait d’être « traversées » pour mieux (se) réparer. Même si cela se fait au risque de la perte et de la dissémination – « Le renouveau m’appelle / Le large. Le vide… » – au bout du compte, du poème, de l’image, quel beau risque !
Article écrit par le poète et peintre Sébastien Souhaité, auteur du livre d’art et de poésie Aucune fleur ne compte, Peau Electrique.
Note de présentation du livre par Nathalie Straseele et Iren Mihaylova
Il y a l’appel du large et des grands horizons, il y a l’intérieur, l’extérieur, les yeux ouverts ou fermés, les temps d’étale et puis les vents contraires.
Il y a des soleils qui enchantent, des mélanges qui brûlent, il y a des sucs et des escales insoupçonnées.
Il y a des « soleils noirs », des masques qui resurgissent et qui effraient, des revenants et des fantômes.
Il y a les sémaphores.
Et comme pour le bateau tirant des bords pour sortir du port, il y a le viser droit et le biais, ce qui permet l’appui et ce qui fait levier. Nous sommes traversées.
Iren Mihaylova
Iren Mihaylova est une poétesse, romancière, peintre et psychanalyste (née à Sofia, en Bulgarie dans les années 90) qui demeure et travaille à Paris. Elle écrit en français et en bulgare et traduit des poètes bulgares en français et vice-versa. Elle est cocréatrice, éditrice et illustratrice de la revue et espace de création contemporaine « Peau Electrique ». Depuis 2024 elle participe régulièrement à des performances, ainsi qu’à des spectacles et joue la deuxième voix, l’Ombre de Balzac, dans la pièce « Mémoire au seuil de l’éphémère », à la Maison des Jardies, la maison de Balzac et Gambetta à Sèvres.
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Nathalie Straseele
Nathalie Straseele est inscrite à la Maison des Artistes depuis une vingtaine d’années.Originaire des Flandres, elle réside en Occitanie.Sa peinture, sur les thèmes du féminin, des frontières et des liens, est de figuration onirique.En tant que plasticienne, elle s’engage dans des manifestations collectives et expositions où l’expression graphique participe des arts vivants.
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