Il faut connaitre quelque peu la musique arabe et ses divas pour saisir la teneur de cette histoire dédiée à Asmahan, grands yeux clairs et teint de porcelaine, élégance innée, icône de la chanson arabe et archétype de la beauté féminine arabe du XXème siècle.
Qui a tué Asmahan ? Bande Dessinée de Nadia Hathroubi-Safsaf et Laure Ibrahim
Par Djalila Dechache
La maison d’éditions Alifbata existe depuis 2015, sa mission est de faire connaitre en traduction française, la bande dessinée arabe encore largement méconnue en France et du public francophone. Elle a édité des auteurs et autrices de Palestine, de Tunisie, du Liban, du Maroc et d‘Algérie. De plus, sa directrice a édité une anthologie réunissant 50 artistes de caricature et de bande dessinée arabe, en co-édition avec le magazine Tosh Fesh. On ne peut qu’applaudir pour ce choix dans sa ligne éditoriale.
Princesse druze, sœur du grand Farid El Atrache, fille de la princesse Alia el Mandher et de Fahd Bacha El Atrache, chef de file de la résistance à la cause de son pays la Syrie, contre l’occupant français des années 1920-27, tout prédestinait Asmahan a une vie de princesse orientale.
La famille s’exile au gré des soubresauts politiques de cette région du monde de l’empire ottoman, elle avait vécu dans un univers protégé, elle a appris l’anglais, le français, l’arabe et la musique par sa mère, fameuse joueuse du Oud à la voix d’or capable de rivaliser avec l’écho du Djebel Druze.
Dès son retour au Caire, Asmahan voit sa vie et son destin liés à ceux de de son frère Farid El Atrache qui gravit les étapes vers la gloire à force de travail et de reconnaissance. Ils sont désormais la coqueluche du Caire et du moyen-orient. Ils resteront très liés jusqu‘à la mort d’Asmahan. Dès lors, Farid El Atrache ne chantera plus comme avant, il est dévasté, meurtri, marqué à jamais.C’est une tragédie qui le laisse inconsolé.
La plupart des chanteuses de Tarab (chant classique utilisant plusieurs modes) d’aujourd’hui cherchent à imiter sa voix avec un résultat peu concluant.
Asmahan était une femme libre, une novatrice, le fume-cigare à la bouche, portait des toilettes étourdissantes, vivait la nuit dans les salles de jeu pour s’étourdir, tous les hommes étaient à ses pieds, qu’ils soient arabes, français et anglais.
A part les deux films où elle a joué et encore le dernier a dû changer la fin parce qu’elle a été victime de l’accident mortel, il n’est pas question ou si peu des fameux compositeurs qui rivalisaient pour lui composer des chansons restées patrimoniales en fonction de sa colorature de soprano. Heureusement les enregistrements sonores sont plus nombreux que ses films, ils représentent des archives de premier plan.
Asmahan était copiée par toutes les femmes de son époque et au-delà, toutes imitaient sa coiffure et sa couleur de cheveux châtains, son maquillage et même son grain de beauté de naissance sous sa lèvre côté droit. Son influence artistique reste vivace dans les pays arabes, soit lorsque elle passe sur les ondes soit à l’écran par ses deux films dans les pays arabes.
Quelques mots sur la mère d’Asmahan, une femme très courageuse et forte, lettrée, musicienne nous l’avons dit, elle fut l’une des premières femmes à conduire une voiture, elle n’a pas hésité à fuir son pays avec ses trois jeunes enfants, sans papiers pour rejoindre l’Egypte, démarrer une nouvelle vie sans mari ni homme pour la protéger. Asmahan a grandi dans ce contexte qui lui a permis de se forger une personnalité fière et forte.
Fouad El Atrache, le frère aîné vivait en dilettante, il n’avait aucune fibre artistique musicale, il s’est donné pour mission d’être celui qui défend les us et coutumes du clan druze hors de sa terre, adoptant une attitude d’autorité et de violence avec Asmahan et leur mère; la princesse Alia.
Asmahan quant à elle s’est engagée tardivement en politique voulant se sentir utile à son pays aux côtés de son mari. Elle a pris de gros risques, rencontrant des hommes de main, des hommes de poids jusqu’au Général de Gaulle.
Alors qui a tué Asmahan ? Le livre ne répond pas, il expose des supputations comme tout le monde, c’est un dossier Secret Défense, qui restera comme tel.
Il me semble imprudent de se baser uniquement sur une seule source de Mohamed Tabai, comme l’a fait l’autrice, cela reste subjectif et que d’autres sources auraient apporté une pluralité de visions en faveur d’Asmahan.
Le fil conducteur de cette proposition de bande dessinée manque de solidité, on a du mal à s’accrocher à l’histoire et à l’Histoire, de plus, le trait épais, les cartes de géographie aux traits gras et le caractère elliptique de la narration laissent peu de place à l’imagination.
Ce qui me surprend dans ce récit est qu’Asmahan est montrée détachée de sa famille, de sa mère, de son frère Farid qui lui a tout appris et l’a initiée au chant en public, de son apprentissage et de son évolution musicale et vocale au sein de la société égyptienne.
La représentation graphique d’Asmahan donne une apparence de mégère, capricieuse, aux traits durs, aux yeux globuleux, sans aucune finesse ni élégance.
Asmahan et ses frères Fouad et Farid El Atrache sont enterrés au cimetière du Caire. Le 26 décembre de chaque année (date du décès de Farid El Atrache ) correspond à un rassemblement et de célébrations où les fans du monde entier se retrouvent pour des prières et des chants des deux artistes.
Qui a tué Asmahan ? Bande Dessinée de Nadia Hathroubi-Safsaf et Laure Ibrahim, Éditions Alifbata, 2024.
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