« Sibylline, Chroniques d’une escort girl » de Sixtine Dano

Bande dessinée
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Avec Sibylline, chroniques d’une escort girl, la jeune autrice Sixtine Dano livre un premier roman graphique d’une rare justesse, mêlant intimité, engagement et finesse graphique.

« Chroniques d’une escort girl » de Sixtine Dano : Un récit d’initiation au cœur des contradictions contemporaines

« Chroniques d’une escort girl » de Sixtine Dano

Pour son premier roman graphique, Sixtine Dano fait une entrée remarquée dans le monde de la bande dessinée avec Sibylline, chroniques d’une escort girl (Glénat). Réalisée entièrement au fusain et à l’encre, cette œuvre de 264 pages se distingue autant par la délicatesse de son trait que par la maturité de son propos. S’y déploie le parcours de Raphaëlle, une étudiante en architecture fraîchement arrivée à Paris, qui finance ses études en se livrant occasionnellement à la prostitution sous le pseudonyme de Sibylline. Un récit pudique et nuancé, qui échappe aux stéréotypes pour mieux interroger notre société.

Raphaëlle n’est ni héroïne ni victime. À travers ce personnage aux contours discrets mais profondément humains, Sixtine Dano capte une réalité souvent occultée : celle de jeunes femmes engagées dans le sexe tarifé sans pour autant être enfermées dans une trajectoire tragique. La bande dessinée ne cherche ni l’explication unique ni le spectaculaire. Elle avance par fragments, à hauteur de regard, en dévoilant les tensions intimes d’une jeunesse en quête d’autonomie, de reconnaissance, et de sens.

Entre les maquettes d’architecture, les conversations de fin de soirée et les chambres d’hôtel impersonnelles, le quotidien de Raphaëlle est marqué par une forme de glissement : celui d’une étudiante comme les autres vers une réalité parallèle, où le corps devient à la fois ressource, refuge et terrain de questionnement identitaire.

Un geste artistique tout en retenue

Le choix du noir et blanc s’impose ici avec évidence. Le fusain, matière granuleuse, presque fragile, épouse parfaitement le propos : il fait sentir les hésitations, les silences, les lignes de faille. La page devient un espace sensible où s’inscrivent non pas des jugements, mais des vibrations : celles du désir, de la solitude, de la confusion parfois, mais aussi de la dignité. Ce style graphique épuré sert une narration elle aussi minimaliste, sans effets ni didactisme, qui laisse au lecteur le soin d’interpréter, de ressentir, de douter.

On reconnaît dans cette approche la formation de l’autrice : diplômée des Gobelins, Sixtine Dano a co-signé en 2018 Thermostat 6, un court métrage d’animation remarqué pour sa finesse narrative et sa conscience écologique. Déjà, s’y dessinait un regard à la fois politique et profondément empathique. Sibylline s’inscrit dans cette lignée. L’artiste ne cherche pas à dénoncer, mais à comprendre ; pas à choquer, mais à faire sentir.

Une œuvre à la fois intime et politique

La prostitution étudiante, sujet rarement traité dans la bande dessinée, est ici abordée sans moralisme, dans une perspective résolument féministe. À travers Raphaëlle et ses confidentes — dont certaines ont livré leurs témoignages à l’autrice —, Chroniques d’une escort girl explore les tensions entre émancipation et contrainte, liberté et précarité, désir et marchandisation. Mais loin d’être un simple manifeste, l’ouvrage avance à pas feutrés, préférant l’évocation à l’affirmation.

Ce que montre Sixtine Dano, c’est aussi le pouvoir de la fiction pour dire l’indicible. Derrière les visages doux, les traits flous, les scènes banales, c’est toute une génération qui se dessine — une génération tiraillée entre aspirations idéalistes et réalités économiques.

Avec Sibylline, chroniques d’une escort girl, Sixtine Dano signe un premier roman graphique remarquable, à la fois pudique, incisif et lumineux. Par son art du récit, son élégance graphique et sa volonté de comprendre plutôt que de juger, elle ouvre un espace rare dans la bande dessinée contemporaine : celui de l’ambiguïté assumée, du regard bienveillant et de la complexité humaine. Un livre important, discret mais nécessaire.

Sixtine Dano, Sibylline, chroniques d’une escort girl, Glénat, 264 pages, 22,50 €.
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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