Le fil Voyageur au Quai Branly

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Fragment de tissu décoré d'un être mythique à ceinture de serpent, Pérou (800 av. J.-C. - 200 apr. J.-C.). - © Pauline Guyon, Musée du Quai Branly - Jacques Chirac

Le fil Voyageur raconté par Sheila Hicks et Monique Lévi-Strauss, Exposition du Musée Quai Branly Jacques Chirac, Paris jusqu’au 8 mars 2026.

Le fil Voyageur raconté par Sheila Hicks et Monique Lévi-Strauss  au Musée de Quai Branly Jacques Chirac

Par Djalila Dechache

Présentation

On pourrait commencer par il était une fois deux amies, l’une américaine, l’autre française, partageant la même passion pour le fil, le tissu et les tissages des quatre coins du monde. Cela pourrait être un conte narré par les deux femmes. En effet, il s’agit d’une amitié de 60 ans et de dialogue créatif.
L’une, Sheila Hicks, est artiste textile, l’autre, Monique Lévi-Strauss, est historienne des textiles non européens. Elles ne pouvaient que se rencontrer.

Les deux amies, photo dépliant du Musée du Quai Branly Jacques Chirac : à gauche Sheila, à droite Monique
C’était à la fin des années 1960, lors d’un dîner à Paris, elles se retrouvent côte à côte. À la question « D’où venez-vous ? », Sheila Hicks répond « du Nebraska ». Il se trouve que Monique Lévi-Strauss connaissait le Nebraska, à plus forte raison que sa mère y est enterrée, au grand étonnement de l’Américaine.

Le fil Voyageur raconté par Sheila Hicks et Monique Lévi-Strauss  au Quai Branly
Mur d’écheveaux de laine multicolore – Photo : Musée du Quai Branly Jacques Chirac, Paris

L’entente, facilitée par ce point biographique, a donné lieu à un début de relation sympathique.
Plus tard, Sheila Hicks a souhaité réaliser un livre afin de montrer ce qu’elle sait faire. Ce livre est né en 1973, les textes sont de Monique Lévi-Strauss. Cette édition épuisée a fait l’objet d’une réédition augmentée pour l’exposition, en vente à la boutique, 88 pages – 130 illustrations.

Le fil Voyageur raconté par Sheila Hicks et Monique Lévi-Strauss au Quai Branly
Les deux amies, photo dépliant du Musée du Quai Branly Jacques Chirac : à gauche Sheila, à droite Monique

L’exposition

L’exposition en elle-même fait état du travail de Sheila Hicks et retrace sa découverte du premier voyage en Amérique du Sud, un continent immense avec des pays très différents les uns des autres, dit-elle. Elle a enseigné l’architecture étudiée à Yale, puis à Santiago du Chili.
La découverte est immense pour elle. De telles créations avec si peu de moyens l’impressionnent et lui font dire qu’elle « n’aime pas la décoration ; je préfère les rencontres entre la forme, la matière et un dialogue avec les idées ».
Il s’agit donc d’un attrait beaucoup plus profond qu’il n’y paraît, d’un autre niveau qui touche à la main qui fait le geste ancestral avec la matière.

Dès l’entrée dans l’espace-mezzanine qui peut ressembler à une antre organique, le public est mis en face d’une œuvre extraordinaire, impressionnante, attirante, qui représente la mer, à la verticale, avec beaucoup de bleu qui semble s’écouler à la manière d’une source. Sheila Hicks précise que ce n’est pas une œuvre tissée, c’est une sculpture tissée mais inspirée d’un bas-relief composé de cordes qui évoquaient des vagues et qui était autrefois installé dans une banque.

Le fil Voyageur raconté par Sheila Hicks et Monique Lévi-Strauss  au Quai Branly
la Mer, coton, lin laine, bleu électrique, oeuvre créée en 1977 – Photo : Djalila Dechache

À ce niveau, on se sent déjà happé par la beauté unique de cette œuvre.

Fragment de tissu décoré d’un être mythique à ceinture de serpent, Pérou (800 av. J.-C. – 200 apr. J.-C.). – © Pauline Guyon, Musée du Quai Branly – Jacques Chirac

Ensuite, comme c’est un espace en forme de circonvolution, il y a un îlot central compact qui permet deux passages étroits. Sur les faces, des objets dans des vitrines présentent un mur de ceintures et une vidéo où les deux femmes s’entretiennent aimablement jusqu’au moment où Sheila dit à Monique :
« Pourquoi perds-tu ton temps avec moi ? ».
Une question qui peut sembler déroutante entre l’une qui est née en 1934 et l’autre en 1926.
De l’autre côté de l’îlot central, un écran diffuse une vidéo en anglais, des fauteuils sont juste en face et une vitrine présente une série de ceintures tissées pour l’essentiel. C’est aussi un lieu de circulation, ce qui rend difficile le visionnage de la vidéo et la découverte de la vitrine verticale.

Au total, une vingtaine de pièces textiles issues des collections latino-américaines du musée dialoguent avec une trentaine d’œuvres contemporaines de Sheila Hicks, ce qui permet de voir que l’art textile n’est pas figé, il se renouvelle et se réinvente parce que c’est une pratique transmise avec une histoire propre. Il reste une source d’inspiration et d’utilité dans le monde entier.

Le lieu où est présentée cette petite exposition est l’Atelier Martine Aublet, qui donne place à l’expérimentation depuis 2012 ; il accueille trois fois par an des expositions tissant des liens originaux avec la vie des collections, nouvelles acquisitions, cartes blanches à des artistes contemporains, invitations de représentants des communautés d’origine des collections ou d’institutions culturelles et scientifiques partenaires.
C’est un lieu avant tout « d’arts et d’essais », situé sur la mezzanine centrale, au cœur du plateau des collections permanentes du musée. Il a une surface de 170 mètres carrés.

Il faut ajouter le trajet assez long conduisant jusqu’au seuil de l’exposition. C’est absolument fascinant, inattendu, original. Cela s’appelle la Rivière que l’on doit franchir. C’est une installation de Charles Sandison, artiste écossais né en 1969. Il utilise des ordinateurs et des logiciels pour projeter des mots mouvants sur le sol. Ces mots ne sont pas anodins ni le fruit du hasard, ils sont les noms des fleuves et des rivières, d’objets couvrant plusieurs continents, au nombre de 16 597. C’est absolument génial et ludique.

On salue le travail de la commissaire de l’exposition, Isaline Saunier, chargée d’étude technique des collections textiles au Musée du Quai Branly Jacques Chirac, qui a été en dialogue avec Sheila Hicks et a mis en place une collaboration avec l’Atelier de Sheila Hicks pour le prêt de ses œuvres et de Monique Lévi-Strauss.
Ces deux femmes nous enseignent aussi un bien bel exemple d’amitié, de travail et de créations.

Ce que l’on peut regretter est l’absence totale d’objets dérivés en lien avec cette exposition unique. C’est toujours sympathique d’emporter avec soi quelque chose en souvenir.

Musée Quai Branly
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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