Coup de coeur

Jean-Yves Larrouturou invité de Souffle inédit

Entretien avec Jean-Yves Larrouturou « Tout ce qui nous rend ouverts »

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Ingénieur, ancien haut-fonctionnaire, dirigeant d’entreprise, président du théâtre national de l’Opéra-Comique, Jean-Yves Larrouturou, également producteur de radio, a publié, en septembre 2022, Ma vie avec Strawinsky, dans la collection « Ma vie avec », dirigée aux éditions Gallimard par le poète et écrivain François Sureau de l’Académie française.

Jean-Yves Larrouturou, l’invité de Souffle inédit

Rencontre 

Aymen Hacen. Je voudrais vous dire que c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai lu et relu votre livre, Ma vie avec Strawinsky. Ce plaisir est d’autant plus vrai que j’ai beaucoup appris sur Strawinsky, mais pas seulement. Je pense même être capable de brosser votre portrait à travers tout ce que vous dites passionnément du grand compositeur. Pouvez-vous me raconter la genèse de votre ouvrage ?

Jean-Yves Larrouturou. C’est François Sureau qui m’a proposé d’écrire dans la collection qu’il venait de créer Ma vie avec… Je n’étais pas immédiatement convaincu que cela m’attendait et que je saurais faire. Et sur quel compagnon d’existence écrire ? A la courte liste de quelques auteurs (« écrivain, philosophe ou poète » comme indiqué dans la présentation de la collection) auxquels me liait une longue fréquentation de leur œuvre et qui d’ailleurs accepteront de faire de brèves apparitions dans le livre, je me suis permis d’ajouter, presque comme un défi, trois compositeurs. François Sureau a choisi le dernier d’entre eux : Strawinsky. Avant de m’engager, j’ai souhaité prendre quelques semaines, le temps de la réécoute de l’œuvre du compositeur et de la réflexion, pour m’assurer que j’aurais quelque chose à dire et, à cette fin, rassembler mes souvenirs, nombreux et pour certains anciens, sur « ma vie avec la musique d’Igor Strawinsky ». Comme l’écrivain que je ne suis pas et l’ingénieur qu’on m’a appris à être (il y a longtemps), j’ai ensuite dessiné assez précisément la structure et la forme du livre et de ses six parties. Ceci fait à ma seule intention, je me suis mis à écrire, tous les matins, à la fin du printemps et au début de l’été 2021 et j’ai essayé, à mon modeste niveau d’absolu débutant, de me mettre humblement à l’école de Jean-Philippe Rameau : « Chercher à cacher l’art par l’art même. »

Aymen Hacen. Quels sont vos rapports avec François Sureau ? Dans cette collection qu’il dirige, votre livre est le deuxième à voir le jour après le sien sur Apollinaire. C’est à la fois un signe de grande confiance et une responsabilité. Pouvez-vous nous en parler ?

Jean-Yves Larrouturou. Fort heureusement, il s’agissait en fait de prendre le quatrième rang – ce qui est souvent une excellente place, me semble-t-il ! En l’occurrence, il était bienvenu de voir comment non seulement François Sureau, dans sa bienveillance amicale, mais aussi Caroline Eliacheff avec la Comtesse de Ségur et Alain Minc avec Karl Marx s’étaient conformés à un cahier des charges… qui, en réalité, n’existait pas. Outre le plaisir d’écrire, la recherche de ce qu’il convenait d’écrire était stimulante, exigeante et finalement très distrayante. Il est simple, banal et peu discutable d’affirmer que sa propre vie n’est guère susceptible d’intérêt. Il est, à mon sens, exact et facile de prétendre et de montrer que la vie de Strawinsky n’est pas passionnante, à tout le moins en miroir de sa musique. Il était en revanche très excitant et pas évident pour moi de tenter d’écrire précisément ce que peut être le compagnonnage ardent avec quelque chose d’aussi physique mais immatériel que la musique et, très concrètement, celle, si diverse, stupéfiante, bouleversante et jubilatoire, que composa Strawinsky. Et d’essayer de le dire en évitant le langage qui ne parle qu’aux experts ou aux dévots, autant que les poncifs de l’émotion esthétique indistincte et insignifiante, et en s’efforçant de s’adresser avec précision et clarté à chacune et chacun, quel que soit son niveau de connaissance et d’appétence pour cette musique.

Aymen Hacen. C’est votre premier livre publié, mais on soupçonne l’existence d’autres livres écrits ou en gestation. D’où vous vient cet amour des mots, de la musique, de la vie ?

Jean-Yves Larrouturou. Les circonstances et les rencontres, les héritages connus et ceux qu’on ne soupçonne pas ou qu’on a oubliés, tout ce qui nous rend ouverts à percevoir et saisir la beauté et la misère de ce monde et de celles et ceux qui l’habitent, ici et maintenant.

Aymen Hacen. Deux avertissements ouvrent votre Strawinsky. On entend votre voix et, du moins pour ma part, je vous ai pris au mot. Qu’est-ce à dire ? Je m’explique : vous êtes ironique, disons drôle et truculent, alors que vous écrivez ceci à propos du Maître : « S’agissant des autres compositeurs, ses contemporains comme ses prédécesseurs, Strawinsky se priva rarement d’un “bon mot” ironique et parfois mordant. » (p. 146) Pouvez-vous nous en parler davantage ?

Jean-Yves Larrouturou. Les avertissements visent simplement à ce que lectrices et lecteurs soient… avertis, un brin étonnés, peut-être souriants aussi et si possible ouverts et bien disposés au divertissement, sans prétention et en musique. Et intrigués sans doute par l’irruption, depuis le Japon du XIe siècle et à la première page du livre, de la grande Sei Shonagon et de ses Notes de chevet. De toute façon, on ne peut le dissimuler : l’amitié avec la musique de Strawinsky, pour délicieuse qu’elle soit, est faite d’inattendu, de troubles et de rebondissements imprévisibles.

Aymen Hacen. Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes, extrait de Ma vie avec Strawinsky, doit être traduit dans d’autres langues, en l’occurrence en arabe, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Jean-Yves Larrouturou.. Difficile de répondre. Et, pour être franc, cela me va bien de ne pas avoir choisi et de ne pas avoir à choisir, même dans l’hypothèse, plaisante mais, j’espère, sans risque, d’une réincarnation. En revanche, ce serait un honneur et un vrai plaisir de ne pas attendre ma réincarnation pour avoir sous les yeux et en main la traduction de mon texte, particulièrement en arabe. Se voir, grâce au truchement d’un traducteur, évoquer la musique de Strawinsky dans une langue intrinsèquement aussi musicale ! Très strawinskien, non ? Soyons donc audacieux : traduisons intégralement ce petit livre, des avertissements à la dernière ligne !

Photo de couverture : Jean-Yves Larrouturou par Francesca Mantovani ©Editions Gallimard

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