Werner Herzog, Chacun pour soi et Dieu contre tous – Mémoires, traduit de l’allemand Josie Mély, aux Éditions Séguier
Par Djalila Dechache
Dès que j’ai eu en mains ce livre, j’ai saisi l’étroite correspondance avec son auteur, la fidélité avec lui-même, une écriture fine succincte, sa manière de le concevoir de la première à la dernière page, les citations, le titre des chapitres et leur contenu, les remerciements, une constance totale à ce que l‘auteur est dans la vie depuis sa jeunesse, dans ses films, avec le monde qui l‘entoure, ses livres et ses mises en scène d’Opéra.
J’ai manié ce livres dans tous ses aspects, l’éditeur également a joué la même carte avec la photo de couverture et la définition qu‘il s’est donné : Séguier, éditeur de curiosités.
Je me suis dit voilà de la belle ouvrage, je ne me suis pas trompée.
J’ai été nourrie aux histoires et aux images de ce grand réalisateur allemand dès l’adolescence avec les séances du ciné-club de mon quartier de l’époque. Ils continuent à me hanter pour la plupart. Des images restent gravées telle celle de la dernière scène du film « Aguirre, La colère de Dieu » sorti en 1972, où la jeune fille toute vêtue de blanc, décide de rentrer dans la forêt amazonienne, c’est incroyable de puissance et de symbole, d’onirisme et de peur.
Werner Herzog aime les symboles, il en use sans ses films, ils deviennent des mythes modernes.
Une vie reliée aux autres
Avec ses Mémoires éditées cette année sous l’impulsion de son épouse Lena, c’est un véritable cadeau qui nous vient, dont on lit les pages avec parcimonie pour le relire encore, le goûter encore.
C’est pourquoi et pour une fois, j’ai envie d’écrire autrement cette chronique, pour me sentir plus proche du lecteur, de la lectrice afin d’en transmettre la quintessence.
Werner Herzog ne fait rien comme les autres, non pas qu‘il recherche cela, c’est en lui, de lui, par lui. Il a toujours été ailleurs, à côté, à voir ce que les autres ne voient pas, ne ressentent pas, le livre est plein de narrations dans ce sens.
Dès son enfance il a pris des chemins escarpés de sa région natale, avec ses parents, ou plutôt seulement sa mère fortement accaparée dans des tâches harassantes pour survivre.Dans un espace de vie restreint, il à expérimenté autre chose, pousse ses limites, a vécu plus intensément une vie somme toute modeste et monotone dictée par sa mère à ses jeunes enfants. Lui et son frère aîné Till restaient seuls à la maison durant de de longues journées de labeur.
Ce qui saute aux yeux c’est sa remarquable mémoire, riche en dates, lieux, personnages et leurs détails, événements, son esprit d‘analyse immédiate, tout est là doublement immuable en lui du fait qu‘il les intègre dans ses films.
Arpenter le monde
Lors de premier film amateur, il est au lycée lorsqu‘il trouve un moyen pour financer ses films, il devient soudeur par points au sein de l‘entreprise de métallurgie des parents de son amoureuse. A 25 ans en1967, il filme sur l‘île de Vos le travail d’une fouille archéologique de son grand-père Rudolf qu’il intègre Il intègre à son film. Rudolf est passé de la philologie à l’archéologie.
Son père Dietrich faisait partie de la génération perdue !
Werner Herzog a l’idée d’arpenter, dès le 15 juin 1982 le territoire de son propre pays en suivant les frontières existantes de cette année-là, intégrant ainsi l’Allemagne de l’Est. Il était Attaché à l’idée de Gunter Grass que « seuls les poètes pouvaient encore assumer la cohésion de l’Allemagne ».
Très peu de temps après la naissance de Werner Herzog en 1942, la ville de Munich fur bombardée par les Alliés. Sa mère quitta la ville pour se réfugier dans les Alpes, à Sachrang, un coin perdu de Bavière. Elle était originaire de Croatie, avec des convictions nationalistes, souhaitant l’indépendance de son pays vis-à-vis de la monarchie austro-hongroise.Cette mère seule, le père est parti, vivait avec ses enfants dans la ferme du Bergerhof, réduite au stricte minimum. Les enfants gardaient les vaches de la ferme des Lang.
Werner Herzog a eu l’occasion de lire les Mémoires de sa grand-mère paternelle, datées de Noël 1891, remontant jusqu’en 1829.
Plus proche de nous, lorsqu’il a été sollicité pour mettre en scène un opéra, il dit « bien que quasi incapable de lire une partition, je me sentis dès le premier instant à l’aise dans ce métier oû je n’avais aucune expérience » et plus loin « Il me paraissait évident que pour créer un opéra, il fallait être en mesure de transformer le montrer en musique » et enfin « Lors de la générale du Tannhaüser à Palerme, je fis confectionner par mon sublime costumier et ami Frantz Blumauer, des costumes dans le plus léger de tous les tissus, une soie de parachute spéciale qui ondoyait au moindre souffle de vent comme si leurs âmes toutes nimbées de blanc, planaient, se rendaient visibles pour nous ».
Sa filmographie, de 1961 à 2022, est composée de films de fiction et de films documentaires touchant à l’actualité telle que l’écologie, le couloir de la mort en Floride et au Texas, la grotte de Chauvet en France, Dmitry Vasyukoc trappeur de Sibérie, ode à l’Antarctique, un documentaire sur les tragédies provoquées par des automobilistes écrivant des Sms au volant…..et tant de thèmes encore.
Pour ma part, j’ai retenu le film de 2019 Family Romance LLC, tourné au Japon sur une agence qui propose de louer des personnes fictives dans les événements de la vie courante avec l’avènement des robots humanoïdes. Cette œuvre est foudroyante de justesse et d’humanité, elle pose au grand jour les questions qui nous animent tous et sur lesquelles nous ne pouvons pas grand chose, à part pleurer pour de bon comme le fait le héros du film à la fin .
Un bilan de vie
Au cours des 36 chapitres de ce livre, ressemblant à des titres de films ou de livres, Werner Herzog ne fait aucune impasse. Il dialogue avec lui-même en un bilan de vie où rien n’est omis, rien n’est oublié de cet immense cinéaste qui a traversé non seulement plusieurs décennies mais également plusieurs thématiques aussi puissantes les unes que les autres.
Jusqu’au bout de sa vie « ma vieille mère » chapitre 35, l’aura encouragé, une femme étonnante qui apprend le turc tardivement pour converser avec une amie originaire de ce pays, malgré son état de santé défaillant, elle a poussé son fils à se déplacer aux États-Unis.
Le dernier chapitre « La fin des images », Werner Herzog, face au développement des réseaux sociaux qui donnent l’illusion de créer et d’exister, pose la question : « à quoi ressemblera un monde sans langage visuel élaboré, où mon métier n’existerait plus ? ».
Dernier point de détail qui n’en est pas un, la dernière phrase du livre est incomplète, elle ne se termine pas, c’est volontaire comme pour dire que la vie continue, ne s’arrête pas, tout comme nous-mêmes ?
Sa vie est unique comme peut l’être celle de chacun de nous, sauf que la sienne est vraiment fantastique au sens de l‘expérience de ce qui l‘entoure, de ses prises de position, de ce qu‘il remarque et cherche à développer pour en extraire quelque chose d’inconnu, d’inédit, vraiment très fort, ne laissant personne indifférent.
Je garde en moi les sublimes dons qu’il a pu faire à travers ses films, les univers qu’il a créés et avec ce livre complètement étourdissant qui complète admirablement la totalité de son œuvre.
Werner Herzog, Chacun pour soi et Dieu contre tous, Mémoires, traduit de l’allemand Josie Mély, Éditions Séguier, éditeur de curiosités, 394 p, 2024.
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