Walid Soliman invité de Souffle inédit  

Coup de coeur
Lecture de 11 min
@ Walid Soliman

En mars 2009, paraissait dans La Presse de Tunisie un premier entretien avec Walid Soliman, alors jeune traducteur et éditeur en plein essor. Intitulé « Je ne peux traduire un texte littéraire que par amour », cet échange posait déjà les jalons d’un parcours singulier, mêlant passion de la langue, exigence littéraire et engagement culturel.

Seize ans après, la parole retrouvée avec Walid Soliman

Les Jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Né en 1975, Walid Soliman s’est formé aux langues anglaise, espagnole et française avant de s’imposer comme l’un des traducteurs tunisiens les plus actifs, s’illustrant par des versions arabes d’œuvres majeures de la littérature mondiale, de Freidoune Sahebjam à Gabriel Garcia Marquez. En 2008, il fonde les éditions Walidoff et lance la collection Dedalus, dédiée à la littérature contemporaine traduite ou originale, où se côtoient prose tunisienne, poésie libyenne, anthologies chinoises ou essais de Mario Vargas Llosa.

À l’époque, il affirmait vouloir rompre avec les traditions figées et s’adresser à un lectorat tunisien nouveau, avide de qualité, de diversité et d’ouverture. À travers l’objet-livre, sobre et soigné, il proposait une esthétique résolument moderne, fidèle à ses valeurs : esprit critique, pluralité et transmission.

Soliman se définissait alors comme un écrivain en quête, explorant le réalisme magique latino-américain, l’onirisme et l’érudition dans son recueil La dernière heure d’Einstein, tout en maintenant une distinction claire entre ses rôles de traducteur et d’auteur. Pour lui, traduction et écriture relèvent du même amour des mots, d’un jeu de miroirs où dialoguent les voix du monde et les résonances intimes.

Walid Soliman
@ Walid Soliman

Seize ans ont passé. Quelles voies Walid Soliman a-t-il empruntées ? Comment ses convictions ont-elles évolué ? Ce nouvel entretien ouvre un second temps du dialogue.

A.H : Pouvons-nous dire que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts ? Mais dans quel sens ? Comment pourriez-vous résumer les seize dernières années en question ? Qu’est-ce qui a changé chez vous, dans votre travail d’écrivain, de traducteur et d’éditeur ?

Walid Soliman : Est-ce qu’on peut résumer seize ans de notre vie en quelques phases ? J’en doute. La littérature était et reste pour moi un métier difficile. Pour continuer à exercer des activités littéraires, il fallait faire beaucoup de sacrifices (surtout dans un pays où la culture demeure une activité marginale et marginalisée), et je l’ai fait. Loin de me plaindre, je me suis battu pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne et pour entretenir ma petite famille, ayant fait le choix de ne pas exercer un métier stable avec un salaire fixe, mais j’ai aussi vécu des moments de bonheur littéraire intense, et rien que pour cela ces années méritent d’être vécues.

Je ne peux pas dire ce qui a changé chez moi, c’est aux autres de le dire. Cependant, je peux dire que j’ai appris une grande leçon dans la vie : la patience. Et je crois que c’est une forme de sagesse. Dans mon travail d’écrivain et de traducteur, j’ai consacré tout mon temps et mon énergie à m’améliorer et je n’ai jamais publié un texte sans être convaincu à 100 %. Étant donné que la langue est ma matière première, j’estime que j’ai acquis une meilleure maîtrise de cet outil qui ressemble à un cheval déchaîné qu’il faut dompter. Enfin, mon activité dans l’édition est indissociable des autres activités, car chaque activité enrichit l’autre.

A.H : Beaucoup de grands poètes et écrivains sont partis au cours de ces dernières années, dont Gabriel Garcia Marquez en 2014, Umberto Eco en 2016 et Mario Vargas Llosa le 13 avril dernier. De quel œil voyez-vous ce qui se fait aujourd’hui en littérature ?

Walid Soliman : La littérature est l’art de l’émerveillement et des surprises. Je n’exagère pas quand je dis qu’il ne se passe pas un jour sans qu’un beau roman, un magnifique recueil de poésie ou de nouvelles, ou un admirable essai ne soit publié quelque part dans notre planète. Que ce soit en Amérique Latine, en Asie ou en Europe, la production littéraire de qualité ne s’arrête pas. Cependant, il faut du temps et beaucoup de travail et de chance pour qu’un auteur puisse atteindre la gloire et la reconnaissance de ceux que vous venez d’évoquer. Il y a cinquante ans, il était impensable qu’un auteur de Colombie, du Pérou ou de la Turquie puisse obtenir le prix Nobel de littérature. Et pourtant, la liste de ce prix regorge aujourd’hui d’auteurs venant de pays qui n’ont pas une grande tradition littéraire. Par conséquent, qui sait si des petits pays comme la Tunisie, le Soudan ou l’Arménie, etc. n’aurons pas des lauréats de ce grand prix suédois dans dix ou vingt ans. Ceci pour vous dire qu’il y a toujours de belles surprises dans la littérature, et que cela est une partie intégrante de son charme.

Pour revenir aux noms que vous avez cités, c’est vrai qu’on a perdu des géants de la littérature mondiale comme Mario Vargas Llosa et Gabriel Garcia Marquez, mais il y a encore de grands noms partout dans le monde, vivants et en pleine activité, tels que Orhan Pamuk, Leonardo Padura, Enrique Vila-Matas, Antonio Munoz Molina et J. M. Coetzee, et il y aura certainement d’autres dans le futur.

Walid Soliman invité de Souffle inédit

 

A.H : Aux éditions Abjadyat, dirigées par l’écrivain-traducteur Walid Ben Ahmed, vous venez de publier une traduction en langue arabe de Confidences tunisiennes de Marie Nimier, paru initialement en 2024 aux éditions Gallimard. Qu’est-ce qui vous a retenu dans chez cette autrice et dans ce volume dédié à notre pays ? 

Walid Soliman : Je me suis lié d’amitié avec Marie Nimier en 2022, suite à sa résidence littéraire à la Villa Salammbô en Tunisie où elle a travaillé sur son projet littéraire intitulé Confidences tunisiennes qui consiste à rencontrer des Tunisiens et recueillir leurs confidences. Ensuite, j’ai eu la chance et le privilège de lire le livre dans son état manuscrit, puisque Marie Nimier avait besoin d’un « regard tunisien » sur son texte, et c’est ainsi qu’elle m’a envoyé le manuscrit pour le lire. Et j’avoue que j’ai tellement aimé ces Confidences tunisiennes que j’avais décidé de les traduire en arabe et les partager avec les lecteurs tunisiens.

En fait, outre la qualité littéraire du livre, il brosse un portrait juste des femmes et des hommes tunisiens avec toutes leurs contradictions. Ce qui constitue une sorte de miroir de nous et de notre vie quotidienne en Tunisie. Pour cela, il est important, selon moi, que les Tunisiens puissent lire ce livre en arabe.

A.H : Depuis La dernière heure d’Einstein, traduit par nos soins et publié en 2012 et Joyeux cauchemars publié en 2016, vous n’avez plus rien publié en tant qu’écrivain. La traduction et les ateliers d’écriture ont-ils pris le dessus sur votre propre verve créatrice ?

Walid Soliman invité de Souffle inédit

Walid Soliman : C’est vrai que je n’ai pas publié des nouvelles sous forme de recueil depuis ce temps-là, mais j’ai écrit des textes variés que j’ai publiés dans divers suppléments littéraires et revues et qui appartiennent à différents genres littéraires (nouvelles, récits de voyages, essais…). Il faut dire aussi que j’ai écrit plusieurs scénarios pour le cinéma, dont un biopic sur la vie du poète Marius Scalèsi qui m’a pris cinq ans de travail entre recherche et écriture. Et si j’ajoute les ateliers d’écriture et de traduction que j’ai animés dans divers pays (Tunisie, Maroc, Algérie, France…), je peux dire que je n’ai pas perdu mon temps.

A.H : Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ?

Walid Soliman : Si je devais tout recommencer, je ferais les mêmes choix et les mêmes erreurs, car la vie humaine ne peut acquérir de sens sans les imperfections et les mauvais choix qui jalonnent notre parcours. C’est justement la part de l’inconnu qui fait le charme d’une vie. Et c’est pour cela que je ne regrette rien dans ma vie. Ce n’est pas par vanité que je dis cela, mais par conviction.

A.H : Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ?

Walid Soliman : Si je devais me réincarner en un mot, ce serait sans hésitation le mot « paix » dans toutes les langues possibles. Il y a vraiment trop de guerres et de tragédies dans notre planète et je suis un partisan infatigable de la paix.

A.H : Enfin, si un seul de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Walid Soliman : Parmi tous mes textes, mon favori reste La dernière heure d’Einstein. C’est vraiment un texte représentatif de mon art narratif. Et c’est vrai qu’il a été traduit dans plusieurs langues, y compris le français, l’italien, l’espagnol, l’anglais et le turc, mais je crois qu’il mérite d’être traduit dans beaucoup d’autres langues.

Facebook
Lire aussi
Coup de coeur 
Partager cet article
Suivre :
Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
Laisser un commentaire