Walid Ben Ahmed invité de Souffle inédit
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Entretien avec Walid Ben Ahmed : « Il n’y a guère d’amour que pour le premier amour »
Walid Ben Ahmed est né le 17 septembre 1975. Enseignant d’anglais, il est traducteur, nouvelliste, romancier et éditeur. Il a publié, entre autres, Ici, le sang coule en secret (nouvelles, 2016) et Le bout bleu de la gomme (roman, 2023). Il a également traduit plusieurs ouvrages de l’anglais et du français vers l’arabe dont L’évangile selon Pilate d’Éric-Emmanuel Schmitt. Il a reçu le prix KATARA du roman arabe en 2021 pour La Carde.
Rencontre
Aymen Hacen. Le jour même de votre quarante-huitième anniversaire, vous annoncez que vous avez achevé la traduction de Penser l’histoire, penser la religion, de feu Hichem Djaït. Vous êtes d’habitude traducteur littéraire. Pourquoi ce choix ? Quelle différence voyez-vous entre la traduction littéraire et la traduction en sciences humaines ?
Walid Ben Ahmed. La traduction du livre Penser l’histoire, penser la religion a été le couronnement de ma carrière de traducteur si riche pourtant d’une douzaine de romans et des poèmes traduits. J’éprouvais beaucoup de respect envers notre penseur national, feu Hichem Djaït, dont j’ai lu les livres phares en français et en arabe traduits par une pléiade de traducteurs arabes dont nul n’était Tunisien. Alors, c’était pour moi de l’ordre d’une fierté nationale. Et cela tombe bien, M. Karim Ben Smaïl, directeur des Éditions Cérès, me confiait pour mon bonheur total, la traduction du livre. En effet, la tâche était assez lourde, tant je me suis habitué à traduire des œuvres littéraires. Il m’a fallu demander conseil auprès d’éminents chercheurs en histoire, à savoir Dr. Boutheina Ben Hssine et Dr. Adel Youssef. Le fait que je sois écrivain moi-même m’a aidé à traduire des romans, mais la traduction en sciences humaines s’est avérée beaucoup plus exigeante et rigoureuse.
Aymen Hacen. Comment travaillez-vous ? Comment organisez-vous votre travail entre traduction et création ?
Walid Ben Ahmed. Je crois avant tout que tout écrivain est un grand lecteur par défaut. Je passe la plupart de mon temps à lire, et quand un livre m’interpelle, j’entreprends sa traduction. Je m’estime largement chanceux parce que les maisons d’édition me procurent cette liberté assez importante à mes yeux de choisir le texte à traduire. La traduction, n’étant pas moins pénible que la création littéraire, consomme néanmoins largement plus de temps. Je lis, et je traduis, mais j’écris quand l’idée s’impose.
Aymen Hacen. Angliciste de formation et parfait francophone, pourtant vous écrivez en arabe. Qu’est-ce qui a motivé le choix de votre langue d’écriture ?
Walid Ben Ahmed. Je me rappelle un vers d’Abou Tammam, un des poètes arabes classiques : « Il n’y a guère d’amour que pour le premier amour ». Je trouve ainsi que c’est tout à fait légitime de penser et écrire dans sa langue maternelle sans pour autant dénigrer les belles langues anglaises et françaises qui me m’ont ouvert les portes de la littérature universelle. Il y a aussi un engouement et un acharnement fébrile des lecteurs sur le roman arabe qui vit en ce moment son âge d’or, et qui relègue tout autre genre littéraire en quelque langue ce soit loin derrière.
Aymen Hacen. Vous avez créé la maison d’éditions Abjadiyat (Alphabet en arabe). Pourquoi ce choix ? Comment retenez-vous les œuvres que vous publiez ?
Walid Ben Ahmed. Je voudrais tout d’abord commencer par une anecdote. En répondant à une question pareille, j’ai dit à un confrère que vu la flambée des prix des livres, je serais heureux d’en lire les manuscrits gratis déjà. Et puis, il y a une centaine de maisons d’édition chez nous dont seulement une douzaine qui travaillent dans les règles de l’art. Un éditeur se doit créateur avant tout, et non seulement un imprimeur. Il y a une certaine rigueur à suivre lors de la sélection des textes. Je pense que chez Abjadiyat, l’originalité de l’œuvre est le premier critère à retenir.
Aymen Hacen. Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, en français par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?
Walid Ben Ahmed. Si c’était tout à refaire, j’emprunterais le même chemin sans remords. Je ne crois pas trop en la réincarnation, sinon je pourrais me réincarner en un livre magique, polyglotte surtout, pour ne laisser aucune excuse aux jeunes, réticents devant la lecture. Si un de mes textes devaient être traduit en français, ce serait mon roman intitulé Khaher Edhilal, qui paraîtra bientôt reprenant l’épopée de feu Charles Nicolle à Tunis au début du siècle dernier.