Sabri Louatah brouille les pistes avec « Safari »

Roman
Lecture de 8 min
Crédit photo : Les éditions Flammarion Versilio @ Bertrand Le Pluard

Sabri Louatah brouille les pistes avec « Safari » : une quête intime et envoûtante

Par Djalila Dechache

Je ne croyais pas si bien dire à l’éditrice que l’œuvre de Sabri Louatah est géniale et que j’aime tous ses livres.

Sabri Louatah brouille les pistes avec "Safari"

L’auteur de la tétralogie Les Sauvages, devenue série sur Canal + et de 404 désormais tous en poche aux éditions J’ai lu, laissent des traces par une écriture forte, des personnages attachants et limites « broken », des histoires et des dialoguent haletants qui nous ressemblent.

Cette fois-ci, l’auteur a tenté autre chose, il évoque un récit plus intérieur et sans doute plus personnel. Le lecteur, la lectrice n’en est absolument pas désarçonné (e).

Au contraire, on plonge avec le personnage principal de ce livre-essai, écrivain public à ses heures, homme au foyer à temps plein, refuse de mettre son fils à la crèche, pratique l‘école à domicile, marié à Chelsea, conseillère matrimoniale, il a une mère assez envahissante qui a un avis sur tout. Ce petit monde vit à Chicago.

Une famille atypique ?

Conflit générationnel ? Couple atypique ? Errance intérieure ?
Tout à fait et un peu de tout cela et plus encore. Les grands-parents peuvent être envahissants avec leurs petits-enfants animés par un double désir: celui de rattraper les « erreurs » faites avec leurs enfants et de croire qu‘ils feront mieux que les parents eux-mêmes eut égard à leur expérience, avec les petits-enfants. Sujet assez subjectif qui crée un certain nombre de conflits.
Le personnage principal se rend au musée avec son fils, ils restent de longs moments devant des œuvres.
Dans ce livre, l’enfant apporte à son père autant que son père lui apporte, comme une fusion au-delà de l’âge.
Cela n’est pas compris par la grand-mère de l‘enfant qui cherche à s’interposer, étant certaine qu‘elle apportera plus et mieux à son petit-fils que son père lui-même.

Toutefois on entre petit à petit dans un univers méconnu, celui des forces invisibles. Cependant ce n’est pas une histoire de fantôme avec un drap blanc pour faire peur aux enfants comme on a l’habitude d’en voir ou d’en lire.
Ici c’est autre chose ! C’est beaucoup plus fort, plus subtil et surtout plus efficace.
Il tisse une histoire importante à partir d’une voix qu’il a entendu par hasard dans une serre tropicale, il perd la vue momentanément après avoir perdu son fils quelques instants. Il a fallu qu’il se trouve dans un état second pour vivre ce moment entre deux mondes.
Cette voix lui rappelle celle de son père, mort d’une manière mystérieuse il y a vingt ans, au point de se demander s’il ne s’est pas réincarné dans ce passant croisé en promenade avec son petit Elliott. Il y a de quoi être déboussolé.

Un père et un peintre volatilisés

Le ton de ce livre est le soliloque, le dialogue intérieur, même s’il a des interactions avec sa femme, sa mère et autres. Pour trois générations qui vivent sous le même toit, il y a de quoi vivre connexions et heurts. L’auteur a une imagination débordante, il peut écrire sur tout ce qui peut paraitre insignifiant comme il peut d’appesantir sur une paire de baskets comme ça pour le fun.
Pour autant c’est un livre profond, il faut du temps pour suivre les ressorts de connexions des personnages entre eux.

Cependant comme je l’ai souligné plus haut, nous sommes dans une autre dimension, sans jugement. Le personnage se réfère souvent au surnaturel, c’est sa deuxième vie lorsqu’il est seul avec ou sans son fils. Il explore un monde parallèle en faisant la connaissance de Gabriel – l’homme à la voix paternelle – au prénom angélique. Les deux hommes vont se voir à plusieurs reprises.
Très vite leurs discussions prennent une tournure existentielle, sujette prédilection et l’un des tourments du personnage principal.

Et puis il y a l’histoire d’un peintre exposé Omid Safari dans la serre, il y a peint un jardin tropical, celui de Washington DC, d’où le titre du livre qui nous emmène dans un univers enchevêtré de symboles, de résonances, de connexions et de parallèles, de jeux de nom et de lieu (Safari est le nom d’un navigateur sur internet, univers cher à l‘auteur qui avait précédemment écrit un livre titré 404, comme ce que l’on reçoit lorsqu’une page web n’a pas été trouvée).
Ce qui est frappant aussi est que ses rencontres deviennent des relations, qui entrent dans sa vie, c’est merveilleux !

Un safari pas comme les autres

Comme Sabri Louatah aime à brouiller les pistes, il donne vie à ce peintre iranien né en 1963, qui aurait disparu lui aussi au début 2000. Nul n’avait retrouvé son corps exactement comme le père du héros principal.
Puis notre héros veut comprendre pourquoi rien de subsiste de la vie de Omid Safari, ni sa veuve qui reste injoignable, ses œuvres restées méconnues, ses peintures ne représentaient pas son pays natal, plutôt les paysages typiques des Etats-Unis, motels, grandes forêts, des skylines, des trottoirs vus d’en haut, des gratte-ciel.
Tout cela le héros les interprétait à sa manière, les larmes aux yeux lui venaient de la part d’un artiste peintre qui le touchait au plus haut point. Trois éditeurs avaient refusé la monographie qu’il avait écrit. A se demander si son œuvre préparait sa sortie, son auto-effacement ?

Omid Safari est devenu obsessionnel à tel point qu’il se lance avec sa femme et leur enfant à travers les Etats-Unis, « sur les traces des paysages modèles de ses peintures » on pense évidemment à son safari à lui, sans animaux féroces ou exotiques.
Le mot safari n’est pas utilisé par hasard, est issu de la langue arabe « safara » سافر  , qui signifie « il a voyagé », désigne habituellement une excursion. Et c’est un bien joli mot.

C’est un auteur universel à la plume élégante, précise, juste et tellement agréable à lire et à penser.
On peut dire aussi que Sabri Louatah nous donne une leçon d’écriture en menant par le bout du nez ses personnages adultes ou enfants, proches ou pas. C’est très fort !
Il est dit dans la note destinée à la presse que ce livre est déjà en cours d’adaptation au cinéma. Cela n’est pas étonnant et suscite déjà un grand intérêt supplémentaire.
Sabri Louatah est un grand écrivain qui sait nous questionner et créer des univers atypiques en prise avec le monde.

« Safari » de Sabri Louatah roman, Editions Flammarion Versilio, 236 p 2025.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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