Emmanuel Maury – Le goût de la francophonie
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
La langue de Molière et des quarante autres
Emmanuel Maury, écrivain né à Montpellier en 1966, peut être considéré comme un spécialiste de la francophonie, puisqu’il a été, de 2019 en 2022, secrétaire général administratif de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), née en 1967 sous l’impulsion du poète-président Léopold Sédar Senghor, « même s’il faut y adjoindre aussi, entre autres, le Nigérien Hamani Diori, le Tunisien Habib Bourguiba, le Cambodgien Norodom Sihanouk ou le Québécois Jean-Marc Léger. » (p. 79)
Préfacé par le lauréat du prix Goncourt 1987, Tahar Ben Jelloun, Le goût de la francophonie se présente sous la forme d’un recueil de quarante textes répartis sous trois grands chapitres, intitulés « Les précurseurs », « Les modernes » et « Les contemporains », où nous retrouvons de grands classiques, à l’instar de Joachim du Bellay, Giacomo Casanova ou encore Antoine de Rivarol, aux côtés de non moins grands, dont Maurice Maeterlinck (prix Nobel de littérature en 1911), Charles-Ferdinand Ramuz (prix Rambert à deux reprises en 1912 et en 1923), Guillaume Apollinaire, Marguerite Yourcenar, ou encore, parmi nos contemporains, l’Académicien François Cheng, Vénus Khoury-Ghata, Amin Maalouf, Dany Laferrière et Amélie Nothomb.
Ainsi, en 144 pages, Emmanuel Maury nous esquisse un portrait d’une langue vivante, ô combien vivante, comme la décrit Tahar Ben Jelloun dans sa préface : « Il est évident que nous avons tous pris des chemins de traverse et nous avons créé notre langue, tout en étant très scrupuleux à suivre les règles grammaticales, à lui obéir parfois en dépit du bon sens. Le Québécois, le Suisse, le Belge, le Libanais, ceux d’outre-mer, ainsi que les Africains, ont tous épousé cette langue superbe et l’ont parfois un peu nationalisée au point qu’en lisant certains, on a besoin d’un dictionnaire. Mais le fond est le même, qui est l’amour de la langue française. J’espère que ce beau panorama dressé par Emmanuel Maury donnera encore plus le goût de la courtiser et de jouer de ses charmes. » (pp. 10-11)
Un avenir certain
Malheureusement, nous ne pouvons ne pas parler du revers de la médaille. À commencer par le déclin du français et partant de la francophonie. Cela, les enseignants de français peuvent en témoigner aussi bien en France que dans tous les pays francophones. Néanmoins, Emmanuel Maury écrit dans son introduction : « La réalité aujourd’hui, mal connue et sous-estimée, est pourtant éclairante : plus de 330 millions de personnes dans le monde emploient régulièrement la langue française, et ce, dans quelque 90 pays ou régions principales. Un nombre en constante progression – plus de 7 % au cours des quatre dernières années mesurées –, surtout en Afrique, et qui devrait être de l’ordre de 500 millions vers 2050. Cinquième langue parlée dans le monde, quatrième sur internet et deuxième langue étrangère la plus apprise, le français est la seule avec l’anglais à être présente sur les cinq continents. Mais la réalité, ce sont aussi des vulnérabilités : un idiome qui s’efface au profit de l’anglais, hégémonique, dans l’ensemble des organisations internationales, y compris l’Union européenne, alors même qu’après le Brexit, l’anglais n’est la langue maternelle que d’1 % des habitants de l’Union, contre quelque 15 % pour le français. Fragilité également liée à la difficulté à disposer de systèmes d’enseignement de qualité suffisants. Mais aussi à l’effritement du français dans certaines sphères géographiques comme l’Europe centrale et orientale, le Moyen-Orient ou l’Asie. » (pp. 13-14)
Le propos de l’anthologiste est lui-même éclairant et nous apprenons énormément à travers lui. Quant au choix de textes, il obéit à cet amour de la langue française qui – du poète de Défense et illustration de la langue française (1549), « considérée comme le deuxième acte de naissance de notre langue, littéraire et poétique cette fois, après l’acte juridique de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Parce qu’elle prône une langue vivante, inventive et ouverte sur le monde, elle reste éminemment d’actualité » (p. 30), à la « journaliste et romancière mauricienne Nathacha Appanah, née en 1973 à Mahébourg à l’île Maurice d’une famille d’Indiens immigrés, dont elle raconte l’épopée dans Les Rochers de Poudre d’Or. Ayant le créole mauricien comme langue maternelle, elle fait entendre une voix francophone originale toute en finesse et a été récompensée en 2022 par le prix de la langue française » (p. 137) –, nous fait voyager dans l’espace et le temps.
De fait, du XVIe siècle français à la fin du XXe siècle, nous assistons à d’innombrables péripéties qui, en fin de compte, ont pour toile de fond l’aventure d’une langue, laquelle, singulièrement et contrairement à toutes les autres, devient l’espace-temps où s’exprime une réelle quête plurielle car, de soi-même au bonheur, c’est la Liberté qui se meut dans et à travers la langue française.
Le goût de la francophonie, textes choisis et présentés par Emmanuel Maury, préface de Tahar Ben Jelloun, Paris, Éditions le Mercure de France, coll. « Le goût de… », paru le 5 septembre 2024, 144 pages, 9.50€, ISBN : 9782715264083.
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