En extase avec Zied Zouari

Musique
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En extase avec Zied Zouari

Par Aymen Hacen

En extase avec Zied Zouari

Un spectacle audacieux

Il serait à la fois facile et vain de parler de voyage musical à travers le spectacle Made in Africa du violoniste virtuose Zied Zouari, tenu au Festival International de Hammamet jeudi 11 juillet 2024. Il faudrait plutôt parler d’une exploration dans le temps, la Tunisie, comme l’a bien précisé l’artiste, s’appelait, il y a 1500 ans, Ifriqiya, la petite Afrique, nom qui sera attribué à tout le continent.

ZIED ZOUARI - MADE IN AFRICA

Partant de là, le violoniste ― accompagné par les musciens Wadii Belguith, Tarak Zouari, Adem Kalia et Radhi Chawaly au violon, Bahaeddine Ben Fadhel à l’alto, Mohamed Majdi Bahloul au violoncelle, Mayssoun Fatnassi, Wajih Bejaoui et Oumaima Ben Amar aux chœurs, Abdesslem Chaari à la batterie, Nader Bargui à la guitare électrique, Sofiane Saadaoui à la guitare basse, Nasreddine Chably et Hamdi Jammoussi aux percussions, ainsi que par le danseur gabonais Dabeast Tiger ―, nous offre une fresque significative de l’africanité qui est censée être la nôtre et qui, malheureusement, ne s’exprime qu’à l’occasion de rencontres sportives de fortune.

Audacieux, Made in Africa l’est incontestablement car il traite musicalement certains maux que les mots ne peuvent ni atteindre ni mettre à nu, encore moins guérir. À ce titre, le morceau d’ouverture s’intitule « Complainte tunisienne » et permet à juste effectivement de donner le ton. Suivent « Made in Africa », le morceau éponyme, véritable exploration de la musique tunisienne et arabe ― ou faut-il dire arabo-tunisienne ― à travers son héritage et son identité africaines, et le troisième opus, « Nuage(s) », faisant appel aux talents telluriques du danseur céleste gabonais Dabeast Tiger qui d’un pas à l’autre, d’un mouvement à l’autre, crée une chorégraphie des plus envoutantes, capable de révéler la négritude de chaque tunisien, au grand dam des exactions et violences vécues au cours de ces derniers temps avec la communauté dite subsaharienne en Tunisie.

Une parole musicalement engagée

Souvent, entre deux ou trois morceaux, Zied Zouari s’adresse au public ― son public ― pour expliquer certaines subtilités et, comme un maestro devant ses musiciens, donne le ton, encore et toujours. C’est ainsi qu’il explique l’origine du morceau, « Orion », la constellation du chasseur. Après quoi, il effectue un retour aux sources à travers un hommage à la hadhra puisque le violoniste avait, jeune, commencé par monter sur scène avec les joueurs de tambours traditionnels à Sfax. Ce type d’exploration mémorielle donne lieu à des réminiscences, à l’instar de cet autre hommage au tboû d’Ispahan qui, d’après lui, se trouve malmené par les académiciens tunisiens qui vont jusqu’à interdire ou faire interdire des travaux qui lui sont dédiés. Les septième et huitième opus font parler d’une part le tambour ou la tabla tunisienne et d’autre part un voyage depuis Djerba jusqu’aux limites de l’Afrique qui va déboucher sur une déclaration d’amour à celle-ci, qualifiée de mère aux seins gangrenés et pourtant aimés, bien-aimés.

Ainsi, de morceau en morceau, de voyage en escale, nous arrivons, non pas à Las Vegas dans le désert du Nevada, mais à ce que Zied Zouari appelle avec amusement « La Sfekas », où nous assistons à une véritable exploration, voire introspection qui va aller crescendo avec le morceau « Amine », d’après le prénom du fils cadet de l’artiste, écrit durant la crise sanitaire du Covid. Il s’agit d’un morceau contenant une complainte à l’attention des personnes perdues durant cette période de confinement et de peur.

Conscient des enjeux à la fois sanitaires et écologiques, Zied Zouari met en musique un poème écrit par la chanteuse Mayssoun Fatnassi ayant pour sujet un vélo d’enfants, à l’instar de ceux que nous fabriquions dans notre jeunesse. S’exprime à travers ce morceau haut en couleurs une tendresse des plus singulières qui, en guise de clôture, débouche sur la figure du père « Baba Ameur », le père musicien à qui Zied Zouari rend un poignant hommage.

En extase avec Zied Zouari

En extase avec Zied Zouari
Zied Zouari : Aymen Hacen en transe

Voix d’avenir

Le regard de l’artiste semble être tourné vers l’avenir, entièrement, amoureusement, passionnément. À la fin, c’est le jeune Amine Zouari qui monte sur scène pour un superbe beatboxing final, ce qui va permettre au père d’annoncer un album à venir et de nouvelles aventures Made in Africa, avec la Tunisie, sa musique, ses cultures plurielles, au cœur de la vie. Cette vie, les artistes présents sur scène la vivent à corps perdu, d’une manière extatique, comme si chacun était en transe et communiquait avec tous les autres, pour offrir un état d’extase général qui a envouté le public du Festival International de Hammamet, lequel a vécu en ce soir de juillet 2024 un événement mémorable, où la musique guérit et abolit les limites, fins et confins imposées par l’histoire et le défaitisme politiques.

Un extrait de Made in Africa, le morceau « Nuages»

Photo de couverture @ Page FB de l’artiste 

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