HYPERBOREA de Kai Werner Schmidt

Photographie
Lecture de 6 min

Kai Werner Schmidt – Hyperborea

Les noces de la lumière

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Kai Werner Schmidt  Hyperborea

Une vie dans l’art

Kai Werner Schmidt est un photographe allemand. Son travail se situe à l’intersection de la photographie, de la sculpture et de l’installation. Après une formation professionnelle à Hambourg et quelques années de pratique à Berlin, il s’est installé à Düsseldorf, où il a étudié chez des sculpteurs et des peintres à la Kunstakademie, l’Académie des Beaux-Arts. En 2019, il y a obtenu le titre de maître-élève. Les installations avec des objets tels que des fils, des miroirs, du verre, des projecteurs de diapositives et des scanners constituent une part importante de son œuvre. Beaucoup de ses œuvres photographiques ont été réalisées avec la technique traditionnelle de la photogravure. Ses travaux plus récents, sous forme de collages, visent à remettre en question la perception de l’architecture. Grâce au soutien d’institutions telles que la Stiftung Kulturwerk et l’Aldegrever Gesellschaft, il a pu développer de nouvelles formes de représentation et réaliser sa première publication, intitulée Hyperborea, avec des photographies de paysages aux éditions Verlag für moderne Kunst.

Hyperborea

Dans la mythologie grecque, Hyperborea est présentée comme un paradis terrestre si éloigné qu’il est inaccessible aux simples mortels. Selon les Grecs de l’Antiquité, seuls des héros surhumains étaient capables de voyager au-delà du vent du Nord jusqu’à cette terre d’abondance. Depuis lors, les choses ont changé, mais l’imaginaire d’un Nord abondant perdure et ceux qui tentent le voyage sont tenus dans une autre considération. C’est ce que Kai Werner Schmidt cherche à exprimer à travers ses photographies : il s’agit d’une façon d’exprimer le déplacement et le déracinement.

Kai Werner Schmidt  Hyperborea

Plutôt que de faire du migrant un objet d’attention, les photographies de Kai Werner Schmidt donnent un aperçu de ce que cela représenterait d’adopter le point de vue du migrant. Dans aucune de ses photographies, nous ne voyons de migrants arriver sur des plages de galets. Au lieu de cela, ce qui nous est offert est une chance d’essayer au moins de faire l’expérience de ce que c’est que de voyager à travers un paysage contesté où la simple présence de quelqu’un est sujette à controverse. Autrement dit, c’est l’homme, voire l’humain qui sont tous deux représentés in absentia : le ciel, la lune, les lumières de la ville, la côte, des marches en marbre, les étoiles, des arbres fruitiers, des souliers, des vêtements, des bouées, des pneus abandonnés, tous sont là, présents, vivants, nous faisant songer aux hommes qui les ont vus, observés, portés, touchés, oubliés là…

Or, l’objectif limpide Kai Werner Schmidt nous met aux prises avec nous-mêmes, à commencer par notre mémoire. D’où ce sentiment de malaise, lequel naît sans doute de ce rapport paradoxal à la beauté, à la vie, à la lumière qui auréole l’être qui, étrangement, se trouve attaqué par l’absence de l’être suprême, l’Homme. Ce malaise est si grand que l’artiste photographe place au beau milieu d’Hyperborea deux textes, un poème, « Archipel », en français et dans sa traduction allemande par Hans Thill, ainsi qu’un texte en prose par l’artiste Jens Dam Ziska, lui-même intitulé « Hyperborea », qui met en mots la lumière représentée par les photographies de Kai Werner Schmidt.

Les noces de la lumière

Qu’elles soient en noir et blanc ou en couleurs, les photographies publiées dans ce beau-livre qu’est Hyperborea célèbrent les noces de la lumière. La lumière est d’autant plus belle qu’elle respire la vie. Mais, la vie est ici entravée par l’absence des spectres, silhouettes et autres signes de présence de l’humain. Comme pendant le confinement il y a déjà quatre ans, la nature semble avoir repris la main sur le cours des choses. Souvenons-nous de ces sangliers, de ces cerfs, de ces cougars et autres animaux qui ont fait leurs apparitions dans de grandes villes d’Occident. Souvenons-en parce que nous sommes oublieux et c’est de cet oubli que naissent à chaque fois les conflits, les guerres, les massacres.

Kai Werner Schmidt  Hyperborea

À ce titre, le regard posé par l’artiste photographe sur le monde est doublement profond : il ne fait pas que prendre de belles images ou de beaux clichés, il éveille le regard du spectateur sur le sens latent, profond, invisible de ce qui est faussement évident. C’est que les noces de la lumière ne sont pas une simple célébration, mais avant tout la révélation ultime de la nécessité de panser les plaies de la vie, pourvu que ce monde demeure.

Lire aussi

Photographie

Souffle inédit

Magazine d’art et de culture

Une invitation à vivre l’art

Partager cet article
Suivre :
Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
Laisser un commentaire