Charles Juliet est mort
L’adieu à Charles Juliet
Par Aymen Hacen
Charles Juliet n’est plus. Né le 30 septembre 1934 à Jujurieux dans l’Ain, il s’est éteint peu de temps avant son 90e anniversaire. Comme si, par cette mort, il rendait un dernier et modeste hommage à la vie. Comme s’il nous disait : je pars avant l’heure parce que c’est mon heure. Vous me célébrerez, ou mieux, vous me parlerez à votre guise.
Nous avons connu Charles Juliet à Lyon. Nous l’avons bien fréquenté entre 2006 et 2009. Nous l’avons accompagné à Vienne en Isère, dans les rues de la ville des Lumières qu’il aimait tant, notamment la rue Victor Hugo où il habitait. Nous nous sommes attablés sur la Place Bellecour et nous avons mangé des crêpes et bu du cidre bretons. Nous l’avons également reçu en Tunisie en avril 2008. Il a aimé notre si beau et lumineux pays. Sans doute, dans les belles pages de son journal, est-ou sera-t-il question de tout cela.
Maintenant qu’il n’est plus, que nous célébrons sa mémoire, il est temps de le relire, avec la modestie qui le caractérisait et qui doit accompagner tout acte de création et de vie.
Adieu, cher Charles Juliet. Tu vas nous manquer.
Rencontre
Nous avons réalisé et publié cet entretien avec Charles Juliet en date du 6 février 2007. Le voici de nouveau pour immortaliser ce premier échange.
Aymen Hacen : Charles Juliet, vous venez de publier deux recueils de poésie, L’Opulence de la nuit (éd. POL, 2006, 160 p.) et T.R.U.P.H.É.M.U.S., avec un dessin de Jacques Truphémus (Jean-Pierre Huguet éditeur, 2006, non paginé). Quels liens voyez-vous entre ces deux livres ? Le fait qu’ils soient publiés chez deux éditeurs différents, en l’occurrence un grand éditeur parisien, P.O.L, et un petit éditeur de province, Jean-Pierre Huguet, destine-t-il d’emblée ces frères jumeaux à une distinction, voire à une séparation ?
Charles Juliet : Tout ce que j’écris émane d’une même source. J’écris en fonction de certaines préoccupations qui sont toujours plus ou moins les mêmes, et je ne tiens pas compte du genre auquel mes livres appartiennent. Les cinq tomes de mon Journal, mes recueils de poèmes, mes récits, mes nouvelles, mes deux pièces de théâtre, mes écrits sur les peintres, pour moi, tous ces ouvrages n’en font qu’un seul. Qu’ils soient parfois publiés par différents éditeurs n’y change rien.
Aymen Hacen : Vous avez consacré un très beau livre à Bram Van Velde (éd. POL, 1998), ainsi qu’à François Dilasser (éd. L’Échoppe, 1999) et des poèmes inspirés par une visite à l’exposition Jacques Truphémus. Quel rôle joue, à vos yeux, le dialogue que le poète et l’écrivain peut entretenir avec les peintres ? En quoi la peinture peut-elle nourrir l’écriture ?
Charles Juliet : Je m’intéresse à la peinture depuis longtemps. Depuis le jour où je me suis rendu compte que les écrivains et les peintres ont une même démarche. Mes rencontres et mes amitiés avec les peintres m’ont beaucoup appris. Il y a longtemps, j’avais réalisé à France-Culture plusieurs séries d’entretiens avec Ubac, Estève, Bazaine, Bram Van Velde, Soulages, Velickovic… Mais je ne dirais pas que la peinture peut nourrir l’écriture. Elle peut être éventuellement un apport parmi d’autres.
Aymen Hacen : À vous lire, nous sommes submergés d’émotions. Vous êtes dans une écriture de l’intime, qui tend vers le silence et l’effacement. Peut-on parler dans votre cas d’une nouvelle mystique ? Si celle-ci existe, quels horizons littéraires peut-elle ouvrir ?
Charles Juliet : Il est vrai que j’ai longtemps vécu dans le silence et la solitude. Il est vrai aussi que je me suis intéressé de très près à la mystique, et que pendant un certain nombre d’années j’ai tenté d’avancer sur la voie de l’ascèse et de l’austérité. Ce qui m’inclinait à suivre cette voie était vécu par nécessité, non en fonction d’un éventuel prolongement littéraire. De toute manière, ce que j’ai vécu et éprouvé est passé dans mes différents écrits.
« Qui donc est Dieu ? »
Aymen Hacen : Dans Ce long périple, (éd. Bayard, 2001, 77 p.) « livre-viatique » si l’on peut dire où vous répondez à la question « Qui donc est Dieu ? », le voyage semble interminable, tant il existe des voies qui mènent toutes au même but, le soi. Comment envisagez-vous cette quête de soi dans le monde actuel ? Existe-il des paysages, des pays, des sphères culturelles plus propices à cette quête que d’autres ? Que représente l’Orient pour vous ?
Charles Juliet : La quête de soi exige retrait, silence et solitude. Quand la nécessité de vivre cette aventure est impérieuse, on trouve instinctivement les conditions qui lui sont propices. Pendant des années, j’ai vécu dans le silence et la solitude au cœur de cette grande ville qu’est Lyon. Si j’ai vécu ainsi, ce n’était pas à la suite d’une décision, mais parce que j’y étais contraint. Le silence et la solitude, on les porte en soi et il est possible de les protéger de ce qui les menace. Néanmoins, il est certain que des lieux, des pays sont plus propices que d’autres à la poursuite de l’aventure intérieure. L’Orient m’a souvent fait rêver. Dans ces pays, la poésie est encore honorée, elle demeure présente dans la culture, dans les échanges. Je suis un lecteur attentif aux recueils traduits de l’arabe et du persan qui paraissent en France. J’ai lu et je relis parfois Hafez, Omar Khayyâm, Abû Nuwâs, Sayyâb, Sohrab Sepehri, Nizar Kabbani, Forough Farrokhzad, Vénus Koury-Ghata, Adonis, Salah Stétié… Tous ces poètes ont quelque chose que n’ont pas les poètes occidentaux.
Souffle inédit avait déjà publié ce bel article sur Charles Juliet, par Hyacinthe
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