Poésie

Le poème « Hiziya »

Le poème « Hiziya » un monument littéraire

Le poème  « Hiziya »  fait partie des monuments littéraires du patrimoine immatériel algérien, immortalisé par la mémoire collective et qui a traversé une période de temps qui a duré plus d’un siècle.

HIZIYA

Traduction du poème de Mohamed Benguitoun par Lazhari Labter, sur la base de la version de Louis Constantin Sonneck.

 

Consolez-moi, ô braves gens, de la perte de la belle des belles ;

Elle repose sous terre, en moi un feu ardent brûle.

 

Vous ne pouvez imaginer à quel point je souffre ;

Mon cœur s’en est allé avec la svelte Hiziya.

 

Hélas ! Qu’ils sont loin les doux moments passés ensemble ;

Nous étions alors comme les fleurs des champs au début du printemps.

 

Ah ! Que nous étions choyés, mais sans que je puisse la retenir ;

Telle une illusion elle a disparu la jeune gazelle.

 

Lorsqu’elle marche sans se détourner elle ravit l’esprit des plus sages ;

Ma bien-aimée est tel un bey sévère qui se pavane un cimeterre à la ceinture.

 

Entouré de soldats et suivi de cavaliers ;

Les gens venus à sa rencontre ont chacun un présent.

 

Il tient un sabre d’Inde qui d’un seul mouvement de la main ;

Peut couper un morceau de fer et fendre le roc.

 

Que n’a-t-il tué d’hommes des communautés du mal !

Il s’avance arrogant dans une attitude de défi.

 

C’est assez glorifier le bey ! Dis-nous, ô chanteur, une autre chanson

À la gloire de la fille d’Ahmed Belbey !

 

Consolez-moi, ô braves gens, de la perte de la belle des belles ;

Elle repose sous terre, en moi un feu ardent brûle.

 

Vous ne pouvez imaginer à quel point je souffre ;

Mon cœur s’en est allé avec la svelte Hiziya.

Elle lâche sa chevelure d’où s’exhale un suave parfum ;

Au-dessus des yeux, ses sourcils sont deux lettres « noun » bien tracées.

 

Ton œil est balle de fusil de guerre européen dans son étui

Qui jamais ne rate sa cible aux mains d’habiles guerriers.

 

Ta joue est rose du matin épanouie et œillet éclatant ;

Le sang qui l’arrose lui donne l’éclat du soleil brillant.

 

Dans la bouche brillent des dents d’ivoire et le sourire est étincelant ;

Ta salive a la douceur du lait des brebis et du bon miel apprécié des fins gourmets.

 

Admire ce cou blanc comme un morceau de cœur de palmier !

Une tige de cristal rehaussée de colliers d’or.

 

Ta poitrine blanche comme le marbre où les seins sont deux jumeaux ;

Deux pommes miraculeuses que mes mains ont caressées.

 

Ton corps à la blancheur du papier fin, du coton ou du lin ;

Ou mieux encore de la neige pure tombant par une nuit noire.

 

Elle dénoue sa ceinture et les tortis de fils colorés autour de sa taille fine

Retombent sur son ventre comblé repli sur repli.

 

Admire les chevilles aux khelkals qui ravissent !

Tu entends leurs tintements au-dessus des brodequins.

 

Au campement de Bazer, sur sa beauté j’ouvre les yeux ;

Nous goûtons les douceurs de la vie, si heureux.

 

Le matin je me rends auprès de ma gazelle à l’affût des bons présages ;

Comme celui à la recherche des richesses et des trésors de l’univers.

 

Mais aucun trésor ne vaut le tintement de ses khelkhals

Quand je vais dans les montagnes à la rencontre de Hiziya.

 

Elle se pavane dans les prairies allant et venant avec grâce faisant résonner ses khelkhals ;

À sa vue, ma raison s’égare, mon cœur défaille et mes sens se troublent.

 

Après avoir passé l’été dans le Tell, nous revenons

Vers le Sahara, accompagnés de ma bien-aimée.

 

Les palanquins sont fermés et la poudre retentit ;

Mon cheval gris au-devant de Hiziya m’entraîne.

 

Ils ont conduit le palanquin de la fille gâtée à Ain Azel où ils campent

Non loin de Sidi Lahcen et de Zerga aussi.

 

Ils se dirigent vers Sidi Saïd et vers Metkaouak aussi ;

A M’Doukal la verte ils passent la nuit.

 

Ils repartent au lever du jour à la faveur de la brise

En direction de Sidi M’hamed la perle de la contrée.

 

De là ils ont conduit les palanquins vers El Makhraf ;

Lorsqu’il s’élance mon cheval gris m’emporte dans sa course folle !

 

Vers Ben Seghir je me dirige avec la belle aux bras tatoués ;

Après avoir traversé l’oued, ils passent par le plateau.

 

Ils baraquent les dromadaires dans l’étendue de sable ;

Ouled Djellal, ma contrée, est l’étape finale.

 

De là ils se dirigent vers El Besbes où ils campent ;

À El Harmick pour être précis avec ma bien-aimée Hiziya.

 

À combien de fêtes j’ai participé avec mon cheval dans l’arène !

Tel un fantôme il disparaît dans un nuage de poussière !

 

Elle est élancée comme la hampe d’un étendard, la belle aux dents de perles ;

Par allusions elle s’exprime et m’explique à demi-mot.

 

La fille de Hmida brille telle l’étoile du matin ;

Semblable à un grand et unique palmier dans un jardin.

 

En un clin d’œil un vent violent l’a arrachée ;

Elle est tombée alors que je la croyais bien protégée.

 

Mais Dieu l’a rappelée à Lui dans sa bonté ;

Mon Seigneur mon Maître l’a élevé comme le Messie auprès de Lui.

 

Sur la berge de l’oued Ittel nous avons formé un seul camp ;

C’est là que la reine svelte, ô ami, me dit adieu.

 

C’est cette nuit-là qu’elle a rendu l’âme ;

La belle aux yeux noirs dit adieu à ce monde.

 

Serrée contre ma poitrine, elle est morte dans mes bras ;

Mes larmes coulent sans cesse sur mes joues.

 

Je perds la raison et dans la campagne, comme un fou, j’erre ;

Je vais sans but par monts et par vaux comme hébété.

 

Elle a ravi mon esprit la belle aux yeux fardés ;

La fille de grande tente de sa brûlure m’a marquée.

 

On l’enveloppa dans un linceul la fille de seigneur ;

Ce spectacle me rendit fou et ajouta à ma douleur.

 

On l’a mise dans un brancard la belle aux magnifiques pendants d’oreilles ;

Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, j’étais sidéré.

 

Tout son quartier derrière elle, on l’emporte dans un palanquin ;

La cause de mes tourments, la hampe d’un étendard, la belle aux traits fins.

 

Son quartier est sinistre comme frappé par une météorite ;

Un arc-en-ciel que cachent les nuages quand vient le soir.

 

Son brancard est recouvert d’une étoffe en soie brochée rehaussée d’or ;

Et moi comme un enfant je ne fais que pleurer Hiziya.

 

Je me tourmente pour celle dont le profil est si pur ;

Je ne pourrai plus me relever ni vivre sans elle.

 

Elle est morte en martyre la fille aux paupières de noir fardées ;

On l’emporte vers le pays de Sidi Khaled bien nommé.

 

Elle s’est retrouvée dans la tombe la belle aux bras tatoués ;

J’ai perdu de vue la belle aux yeux de gazelle.

 

Ô fossoyeur ménage l’antilope du désert !

Sur Hiziya ne laisse point tomber de pierres !

 

Je t’en conjure par le Livre et les lettres du Donateur !

Ne fait point tomber de terre sur la dame au miroir !

 

Je démolirais trois colonnes s’il ne s’agissait que de défi !

Je la prendrais de force au clan des ennemis.

 

Je jure sur la tête de la belle aux yeux noirs

Que je les affronterais fussent-ils au nombre cent !

 

S’il ne s’agissait que de force, je jure qu’elle ne me serait pas ravie ;

J’affronterais toute une colonne de soldats pour Hiziya !

 

S’il fallait la disputer, vous auriez entendu le récit de mes exploits ;

Je l’enlèverais par la force des armes aux ennemis devant témoins.

 

S’il fallait se battre pour elle, je combattrais durant des années ;

Je la conquerrais car je suis un cavalier intrépide.

 

Mais puisque c’est la volonté de Dieu, le Maître des Mondes

Je reste impuissant et ne puis la ramener à la vie.

 

Patience ! Patience ! J’attends le moment de te rejoindre.

Je ne pense qu’à toi ma bien-aimée et à toi seule !

Ô bonnes gens, mon cheval gris en s’élançant m’a anéanti ;

Après la mort de ma bien-aimée, lui aussi s’en est allé !

 

Il était plus rapide dans les collines que tous les autres chevaux ;

Il était aussi dans les mêlées toujours en tête.

 

Que ne faisait-il pas sur le champ de bataille !

Il était toujours au premier rang sa mère était de la race rakbia.

 

Il excellait dans les joutes entre tribus en marche ;

Et moi je me laissais emporter avec lui plein de joie.

 

Un mois plus tard mon cheval bridé m’a quitté ;

Trente jours après la mort de Hiziya.

 

Ce beau cheval de race est mort, le voilà au fond d’un abîme,

Après ma bien-aimée, il ne reviendra plus dans ce monde.

 

Tous les deux pour toujours sont partis ;

Les rênes de mon cheval gris de mes mains sont tombées.

 

Dieu a créé la vie et de la mort Il la fait suivre ;

Après eux ma douleur est grande je n’ai plus de raison de vivre.

 

Je pleure leur séparation comme pleurent les amants ;

Mon cœur se consume et mon esprit est troublé.

 

Ô mes yeux pourquoi vous pleurez ainsi ?

Ayez pitié de moi ! Les plaisirs de ce monde vous feront oublier !

 

La belle aux cils noirs a ravivé mes tourments ;

Elle repose sous terre celle qui remplissait ma vie de joie.

 

Je pleure et mes cheveux ont blanchi à cause de la belle aux dents de perles ;

Et mes yeux ne peuvent supporter la séparation de l’aimée.

 

Le soleil qui a brillé s’est levé et s’est couché ;

Il s’est éclipsé après s’être dans le ciel haut élevé.

 

La lune qui s’est montrée a brillé pendant le mois de ramadhan

Puis a disparu en faisant ses adieux à ce monde.

 

J’ai écrit ce poème à la mémoire à la reine des belles ;

La fille d’Ahmed de l’illustre tribu des Dhaouadia.

 

Telle est la volonté de Dieu le Maître Tout-Puissant !

Le Seigneur a décidé et à Lui a rappelé Hiziya.

 

Mon Dieu donne-moi la patience, mon cœur se meurt

De l’amour de la belle qui n’est plus.

 

Elle vaut deux cents chevaux de race

Et ajoutes-y cent cavales toutes de filiation rakbya.

 

Elle vaut un troupeau de mille chameaux

Et une forêt de palmiers des Ziban.

 

Elle vaut tout le pays du Jrid du plus proche au plus lointain ;

Elle vaut le pays des Noirs et les Haousas par milliers.

 

Elle vaut les Arabes du Tell et du Sahara et les campements

Aussi loin que peuvent aller les caravanes.

 

Elle vaut les nomades et les habitants des continents ;

Elle vaut ceux qui se sont établis à demeure.

 

Elle vaut tous les trésors la belle de noble descendance

Et si tu penses que c’est peu ajoutes-y les trésors des cités.

 

Elle vaut tous les troupeaux des tribus et l’or travaillé ;

Elle vaut les palmiers du Drâa dans le pays des Chaouias.

 

Elle vaut tout ce qu’il y a dans les océans, chez les Bédouins et les citadins

Et au-delà du Djebel Amour jusqu’à Ghardaïa.

Elle vaut elle vaut le Mzab et les plaines du Zab ;

Hormis les saints et hormis les marabouts.

 

Elle vaut les chevaux richement harnachés et l’étoile du soir ;

Et c’est trop peu pour ma bien-aimée, mon remède, ma guérison.

 

Je demande pardon au Seigneur, qu’il ait pitié de ce malheureux ;

Que mon Seigneur et Maître pardonne à celui qui gémit à ses pieds !

 

Elle avait vingt-trois ans la belle à l’écharpe de soie ;

Avec elle l’amour s’en est allé et ne reviendra plus !

 

Consolez-moi, ô gens de paix, de la perte de la reine des gazelles !

Elle habite la demeure des ténèbres, la maison de l’éternel séjour.

 

Consolez-moi, ô amis, de la perte de la beauté des demeures !

Elle n’a laissé qu’un lieu qui porte son nom.

 

Consolez-moi, ô hommes, de la perte de la belle aux brillants khelkhals !

On l’a recouverte d’un monceau de terre au-dessus des dalles.

 

Consolez-moi, ô amis, de la perte de la cavale de Dhiyab

Qu’aucun cavalier n’a montée et qui n’eut d’autres maîtres que moi.

 

De mes mains j’ai tatoué la poitrine de la belle à la tunique ;

Parfaitement dessinés j’ai tatoué aussi ses poignets de palmes.

 

En traits bleus harmonieux couleur du col du ramier

Parfaitement tracés sans plume avec mes seules mains.

 

Dans le sillon de ses seins, mes marques descendaient ;

Au-dessus des bracelets, sur ses poignets, j’ai écrit mon nom.

 

Et même sur sa cheville, j’ai mis des palmes

De mes mains bien dessinées, c’est ainsi.

 

S’aiyyad toujours épris de toi ne te reverra plus ;

Au seul souvenir de ton nom son esprit s’égare.

 

Pardonne-moi, ô Compatissant, pardonne à tous !

S’ayyad est triste de la perte du palmier élancé.

 

Aie pitié de celui qui a composé ces mots !

Réunis-les dans le sommeil, ô Toi le Très-Haut !

 

Pardonne aussi à l’auteur qui a composé ce poème ;

Son nom est formé de deux « mim », d’un « ha » et d’un « dal ».

 

Ô toi qui connais l’avenir, aide cet homme qui a perdu la raison !

Je pleure comme pleure l’exilé et j’apitoie les ennemis.

 

Je ne m’alimente plus car toute nourriture m’est devenue insipide ;

Je ne dors plus car le sommeil a fui mes yeux.

 

Trois jours seulement ont passé entre sa mort et ces mots ;

Elle me fit ses adieux et ne revint plus vers moi.

 

Ô vous qui m’écoutez, ce poème a été achevé en mil deux cent de l’Hégire,

Ajoutes-y quatre-vingt-dix et complète par cinq.

 

Ces paroles de Ould Seghir sont dites pour perpétuer le souvenir ;

Cette chanson a été composée au mois de l’Aïd el-kébir.

 

Benguitoun l’a écrite à Khaled Ben Sinan

Pour celle qui était naguère encore de ce monde.

 

Mon cœur s’en est allé avec la svelte Hiziya !

Le poème "Hiziya"

 

Trajectoire d’un poème du patrimoine

Lazhari Labter

Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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