Mercredi en Poésie avec Damien Paisant
SE VIVRE – Extraits
Il s’était résolu à ne plus
Multiplier ses problèmes
D’être qui manque d’Être
Car c’est s’inventer
Au lieu de Se Vivre
S’inventer des solutions
Pour jouer à ne plus être
Tout en sachant qu’il n’y en a pas
Or l’être est une solution donnée d’avance
À condition de se donner tel qu’il est
***
Dans cette impasse
Il décidait de ne pas choisir
Refusait d’y entrer pour en sortir
(Admettait qu’on la refuse)
Par peur d’y rester
Par peur de rester là
Où s’était-il toujours trouvé
C’est alors que…
IMPASSE
C’est alors que j’entre
Pas tout à fait
Parce qu’elle est encore
Dans ma tête
Cette impasse
Dans ma tête
Ça veut dire que
Je ne la traverse pas
Physiquement
Ça veut dire
Que mon corps
N’est pas prêt
Mais je rentre quand même
Un cœur dans la tête
Un cœur dans le corps
(Paradoxe cordial)
Le cœur bat de ne pas se battre
Et de vouloir se battre
***
Je veux nommer l’impasse
Elle me prive (m’a privé)
De langue
Elle est ce souvenir
Du devenir manquant
Elle me fait oublier
Que je suis un être
De manque
Je commence par
Me nommer Impasse
L’impasse que je suis
C’est un début
Pour vous dire que je ne vais
Pas finir tout de suite
(le travail de ma disparition)
(C’est ici que réapparaît l’amour)
***
L’impasse que je suis
Est entre ma disparition
Et ce qui réapparaît
C’est un amour en travail
Si vous préférez
Car si l’amour a toujours existé
Il m’a fait douter de son existence
(Le doute des créateurs)
***
L’impasse des créateurs
Dans ce qu’ils ont transmis
« La création leur a échappé »
(Je me transmets moi-même
Aujourd’hui un au-delà
De la création)
échappé
Car ils ont échappés
À leur propre transmission
J’avance à l’intérieur de l’impasse
La tragédie du sens
Est une absence de signification
Donnée à l’histoire individuelle et commune
Un déni devant l’inconscient des évidences
(Un délit du psychisme)
***
A l’extérieur de l’impasse
Il y a le vouloir volontaire
D’un grand chemin mais
D’un petit cheminement
Ce qu’ils font subir à leur corps
L’âme le leur fera subir
Le grand chemin est une
Idée de toute puissance
Le cheminement est une
Intériorité de la toute puissance
« L’homme est quelque chose qui
doit être surmonté » (F.N.)
***
L’impasse comme puissance contrariée
Ou l’égarement vers une mortalité maîtrisée :
immaturité de l’esprit qui ne peut concevoir
le naissant et le redevenir-poussière
Ou la course effrénée vers une soif de l’impossible
(ce qui est possible ne sera jamais possible)
Ce qui est possible ne sera jamais possible dans l’impasse
Dès qu’on se rapprochera d’une possible possibilité
Dans ma soif pour l’impossible je me permets
De croire à l’idée d’un oasis mais quand celle-ci
Devient une réalité je n’y crois plus et je me
Mets en situation d’échec
***
L’impasse comme processus
À l’humble endurance des « guerriers sans combat » (I.M.)
Qui placent leur prouesse dans une gloire noble
Mon être est supérieur à la reconnaissance qu’on lui attribue
Car il se reconnaît d’abord lui-même par son désir de créer
(L’œuvre dépasse souvent la mort de son auteur)
***
Lenteur dans l’impasse
Marathon organique et spirituel où
Je questionne ce contre quoi je butte
Dans un temps autre que celui du réel brut
Parfois je ne vois pas ce contre quoi
Je butte car je ne veux pas voir
***
Souffrance & impasse
Ce que je peux voir est synonyme de bravoure
L’épreuve d’un œil ouvert sur son monde interne
Où je contemple le miroir de ma haine soutenue par l’amour
Faire l’impasse sur la haine
Et croire qu’elle est antagoniste
À l’amour est une erreur car
Pour haïr faut-il encore avoir aimé
Pour pouvoir en douter par la suite
Faire l’impasse sur sa propre haine
Revient à tromper l’authenticité
De sa vérité et c’est prétendre
Une certaine imperfectibilité
***
L’émotion d’une impasse
Dans ce qu’elle fait vivre
Au moment où je tombe
(Qui appelle à se relever)
Parce qu’il est nécessaire
De vivre pour mieux
Se connaître Se connaître
Étant une entreprise secrète où
J’apprends l’oublie de ce que
Je ne disais jamais où
J’oublie ce que j’ai appris
À ne pas dire
***
Souplesse dans l’impasse
Où ce qui aliène — le fantasme —
Demande qu’on s’y attache pour
S’en détacher : la peur de ne pas
Pouvoir sauver par exemple —
Le fantasme de sauver — exige
Une gymnastique mentale
Avant de renoncer faut-il reconnaître
La source de cette souffrance
Source de l’impasse
Où la perte me fait
Aveugle d’une infaisabilité
Apparente
Où ce que je sais faire
À l’état de penseur embryonnaire
***
Enfant de l’impasse
Ce vers quoi je me
Risque si je tends
Vers la tendresse
Aventureuse d’aller
Rencontrer cet autre
Qui m’arrache à moi-même
***
L’arrachement de cette impasse
Nous rappelle un départ
Comment quitter « soi » et tout
Ce que ce mot recouvre :
Son attachement à la douleur
Son goût pour la convoitise
Sa hantise, ses obsessions,
Ses limites etc.
L’égo — dans cette impasse
Ne se fie pas à ce qu’il a
Traversé mais traversera
Identifie son être non à ce qu’
Il est devenu mais deviendra
Ne défie pas son existence
Au détriment d’un autre
Ne se méfie pas de l’impasse
Car il passe par elle
Pour la dépasser.
Damien Paisant
Poète & comédien, Damien Paisant est né à Paris en 1984. Il vit et travaille à Paris.
Damien Paisant explore le poème comme un journal du creusement pensif inspiré des questionnements de Charles Juliet & Samuel Beckett. En 2016, il démarre un projet d’écriture autour du deuil. Il verra bon nombre de ses textes dans plusieurs revues (Arpa, Recours au poème, L’Intranquille, L’Etrangère…) et la publication de trois livres, « Absent Présent » aux Éditions Abordo en 2017, « Cri » aux Éditions Bruno Doucey en 2020 et « Cogne » aux Éditions Sans Crispation en 2023. Parallèlement, il réalise des lectures et des performances publiques dans des cafés littéraires, des librairies et d’autres lieux culturels.
Le comédien met régulièrement en voix ses propres textes qu’il compose en musique. Il vient de créer une performance visuelle et sonore, « Paradoxes », incarnant pour la première fois ses propres textes. Création qu’il a présenté à l’Université Paris 8 et la Médiathèque Aimé Césaire (Paris 14e) cette année. Il est invité pour l’édition 2024 au Festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée et publiera dans l’Anthologie officielle (Éditions Bruno Doucey). Il vient de créer avec sa complice, poète, écrivaine et psychanalyste, Iren Mihaylova, Peau Électrique, une revue de création contemporaine.
Photos : crédits @ Vanina Tachdjian
Souffle inédit
Magazine d’art et de cutlure
Une invitation à vivre l’art