José Muchnik, Poème « Infini »
Mercredi en poésie avec José Muchnik
Poème Infini
∞
Infini
Si poésie tend vers l’infini,
elle est Eclate les temps
Ouvre des instants en mille sens
effeuille l’éternité en un baiser
autopsie les mémoires de l’accent
Ravage les digues
Brise des syllabes encastrées
inaugure des langages foret
équarrisse des mots emballés
conquiert des espaces
Invente des galaxies sonores
décompose les forces de gravité
place en orbite des voix inconnues.
Si poésie ne tend pas vers l’infini elle tend vers zéro
Ejacule mayonnaise
humilie le silence
Engraisse les rythmes saturant les hirondelles
Masturbe des miroirs pour conquérir la lumière
Le poète peut être supérieur à zéro
mais jamais tendre vers l’infini.
Il arrive parfois que poésie mette à l’épreuve le poète,
l’habille de vanité pour quelques sous,
le maquille avec des rimes vermeilles,
métaphores antirides,
accents siliconés,
lui croit qu’il existe,
accomplit des exploits,
déclame,
domestique des mâchoires,
montre son cul rouge tel un mandrill porte drapeau,
se pavoise en érection avec des sonnets en pointe,
décline son moi en tous les temps,
attends des échos d’un lac sans reflets.
Si vanité tend vers infini poète tend vers zéro.
Le dilemme toujours le même: la mort
Le dilemme toujours le même: la vie
Poésie, grappe de mort vive.
Caractère identique
Si amour égal amour
orange égal orange
marteau égal marteau
côte égal côte
si chaque chose
chaque lune
chaque signe
égal lui même
Combien de palmiers tomberont asphyxiés
guettant une brise derrière les barreaux ?
Si chaque mot égal lui même
Combien de poèmes mourront empaillés
clamant la lumière pour leur vers ?
¡Inverser les égalités!
¡Perforer les apparences!
¡Découdre les langages!
Amour égal côte
orange égal lune
marteau égal écho
Et l’écho?
embrassera la nouvelle lune?
brisera la côte lointaine?
goûtera des tentations oranges?
Rien ni personne n’est égal à lui même
ni chiffres ni cartes
ni violons ni tambours
ni pommes ni poètes
Nous, pécheurs, convertirons tout
tambours en pommes
chiffres en violons
poètes en cartes
Resteront dans nos rêves
des égalités emmêlées
Ça suffit égal ça suffit.
Caractère réciproque
Si b égal c
c n’est jamais égal à b
Rien n’est réciproque
Si pluie égal vie
Si oiseau égal tendresse
Si couteau égal haine
Pas de chemin de retour
La haine ne revient pas au couteau
Ni l’oiseau à son vol
Ni la vie aux martyrs
Rien de réciproque
tout asymétrique
Mon visage dans le miroir
n’est pas mon visage
Ce regard fugitif
ne reflète pas mes prunelles
Ces lèvres étui
n’abritent pas ma voix
Ces rides simili cuir
traduisent d’autres douleurs
Ma main dans le lac
n’est pas ma main
J’ignore où elle plonge
ni pourquoi elle se mouille
si elle cherche un désir
un éventail papillon
ou des rêves enfouis
dans le lit du fleuve
La clé dans l’œil
n’est ni ma clé
ni mon œil
Rien de réciproque
tout asymétrique
Les exceptions existent
je crois aux miracles
Lorsque regard égal amour
vies retournent aux sources
Le poète
José Muchnik, Poète et anthropologue, né en Argentine dans une quincaillerie du quartier de Boedo de la ville du Buenos Aires, quartier où ses parents, immigrants russes dans ces terres, avaient jeté l’ancre. En 1976, suite à l’arrivée au pouvoir de la dictature militaire il s’exile en France, ou il réside toujours. Docteur de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, spécialisé dans l’étude des cultures alimentaires locales. Membre fondateur du groupe « Traversées Poétiques », correspondant des journaux « Generación Abierta » et « Desde Boedo » à Paris. Il a publié des nombreux ouvrages de poésie et romains, parmi eux : «Proposition poétique pour annuler la dette extérieure» (éd. bilingue espagnol-français); « 100 Ans de Liberté et Coca Cola », « Amazonie j’ai vu », (éd. bilingue espagnol-français); « Calendrier poétique 2000 », « Le Grain, le cœur et le mot » (Anthologie de poésie africaine sur les nourritures), « Chupadero » (en espagnol) ; « Traversées Poétiques, poètes argentins d’aujourd’hui » (compilation), « Critique poétique de la raison mathématique » (éd. bilingue espagnol-français); Sefikill : « Serial financial killers, palabras para el nuevo milenio », (en espagnol), « Geriatrikón » (en espagnol). Il a publié également des essais anthropologiques, réalisé des expositions de photographie … mais il préfère dire qu’il est « Josecito » de la quincaillerie, un poète du quartier de Boedo d’une ville appelée Buenos Aires … qui peut-être existe.