Léo Zelada – Mercredi en Poésie
Mercredi en Poésie avec Léo Zelada
Léo Zelada (Braulio Rubén Tupaj Amaru Grajeda Fuentes)
12 octobre
Ils ont massacré nos guerriers, brûlé nos terres,
démoli nos dieux.
Le dernier Inca, Tupaj Amaru I, a été égorgé alors
qu’il assistait à l’extermination de son peuple.
Des siècles plus tard, mon père a assisté au massacre de sa
famille à Quillabamba et cette douleur l’a conduit à la folie.
Avec l’alcool, ils ont voulu nous faire oublier cette histoire,
jusqu’à nous battre entre frères.
Avec des vêtements étranges et le culte d’un dieu au nom
duquel ils nous ont exterminés, ils ont voulu nous
faire oublier notre lignée.
Notre sagesse a été transformée en souvenirs New Age pour
combler le vide des Occidentaux.
Notre fierté a été transformée en coutumes exotiques
pour les touristes.
Notre grandeur en rancœur et en mépris de notre propre peau.
L’ère de notre deuil fut longue.
Mais malgré tout, les conquérants n’ont jamais pu briser
notre esprit qui se réfugie indompté dans nos corps bruns.
Car même s’il ne restait qu’une goutte de notre sang dans un
seul de nos descendants, notre esprit continuerait à habiter
cette terre, qui nous appartient autant qu’à vous.
Nous sommes toujours là.
Nous sommes les enfants de la mer
du soleil, de la terre
et de la lune.
Machu Picchu
I
Se lever
sans le parfum bleu de ton souffle
c’est approfondir
la solitude marine du désir
dans des éconduites douces et délirantes
comme les vagues d’un verger
niées par la mer
galions grossiers
déroutes incertaines
le capitaine emblème des entités
et je me demande
— tailleur de jaguar entre mes lèvres –
jusqu’à quand
dois-je me voir réfléchi dans les
miroirs
Babylone de ciment, d’aluminium
et de néon !
II
Depuis de lointains et agraires
parages je viens
offrir
en adoration
mon agonie lente et muette
aussi latente que le silence
désolateur rituel du
temps
dans le royaume du bronze et du non-être
je suis le sourire létal de l’ivoire
devant lequel
la logique formelle du monde
s’écroule en éclat.
III
CAPRICORNE EN CONJONCTION
AVEC LA LUNE
Le rituel s’est initié
et des prêtresses anciennes
s’entassent maintenant dans ma tête
et je ne sais plus à présent
qui je suis
sinon parfois un sage inca
incognito
prononçant une prière quelconque
caché au soleil
parfois un corsaire obscur
ravageant le port inconnu
d’un sud quelconque
IV
Esprit de la nuit
esprit de la nuit
guide-moi sans peur vers ces
terres abruptes
esprit de la nuit
esprit de la nuit
mène-moi vers le sentier du feu
qui détruit et purifie tout
je suis projeté dans l’abîme
insondable du néant
et rien à présent ne m’appartient.
V
Le vent éclate
violemment sur ma figure
premier quartier
la lune comme marque exacte de mes pas
les chiens ont fui
vers le nord
le traineau est resté
vers le sud
et moi face à face
au crépuscule
je m’en vais
vers l’abolition totale de mon corps
à la fin de mes morts
ou
ma libération définitive.
Voyageur
Sur ta nuque un soleil rouge
et un scorpion doré.
Dans un sac à dos tu portes ton âme
et les quelques biens qui ne te rattachent à rien.
Méditerranée
Une vague d’eau éclate
sur le rivage
comme l’explosion d’une étoile lointaine.
Sur l’écume de la mer
l’éclat du mystère.
Choix de textes proposés par Irène Duboeuf
Extraits de La Traversée de l’innommable, un périple de la ville vers le chamanisme, la spiritualité ancestrale inca et la voie des étoiles, traduction : Jérémy Doucet, éditions Unicité, 2024.
Léo Zelada
Léo Zelada. – Pseudonyme littéraire de Braulio Rubén Tupaj Amaru Grajeda Fuentes. Poète et écrivain. D’une mère créole et d’un père descendant de la dynastie Inca. Il a étudié la philosophie à l’Universidad Nacional Mayor de San Marcos (Pérou). Il a publié les livres de poésie Delirium Tremen, Journal d’un Cyberpunk,Opuscule de Nosferatu à l’Aube, Le chemin du dragon, Minimal Poetics et Transpoétique.
Il a voyagé dans presque toute l’Amérique et l’Europe, résidant en Espagne. En mai 2013, le court métrage documentaire intitulé Leo Zelada, Underground Poet, réalisé par la société de production audiovisuelle espagnole Amagifilms est disponible sur Vimeo et YouTube.
Son travail a été traduit en anglais, italien, portugais, roumain, grec, arabe, etc.
Il est collaborateur du journal Madridpress. Il a un blog intitulé Journal du Dragon qui compte plus de 285 000 000 visites. Il a remporté plusieurs prix littéraires, dont le dernier était le prix Poètes des autres mondes, décerné par le Fond poétique international d’Espagne en 2016. En 2019, son roman El Último Nómada (Le dernier nomade) publié à Madrid, a été présenté à Madrid et à Paris. En 2022 il présente son livre Transpoétique (éd.Unicité) à Paris à la Maison de l’Amérique latine et en 2023 il lit ses poèmes au Panthéon de la Sorbonne Université. En 2024 paraît La traversée de l’innommable (éd. Unicité).
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