« Lumière bleue » de Hussein Al-Barghouti

Poésie Recit
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Lumière bleue de Hussein Al-Barghouti

Par Djalila Dechache

Lumière bleue de Hussein Barghouti

Lumière bleue, Hussein Al-Barghouti, traduit de l’arabe (Palestine) Marianne Weiss

Edité précédemment en arabe en 2001, « Al daw al -azraq » était préfacée par Mahmoud Darwich qui a écrit en substance  «Probablement la plus belle réalisation de la littérature palestinienne en prose». On ne la retrouve pas dans la traduction française et c’est bien dommage parce qu’il aurait été utile d’avoir l’éclairage du poète pour entrer dans cette oeuvre inclassable et déroutante.

Heureusement l’auteur nous livre des pistes, des clés, des orientations afin de cerner ce qui peuple le monde invisible lors de la pérégrination, nocturne le plus souvent, de Hussein le personnage principal, dans les rues de Seattle où il s’est installé avant Beyrouth et la Palestine.

Comme c’est écrit à la première personne on est tenté de penser que c’est une autobiographie.Il y a de cela et autre chose.

C’est le voyage d’un homme sans attaches apparentes qui circule dans des lieux, la cinémathèque La grande illusion, cafés et bars pour marginaux aux noms totémiques, La lune bleue, La dernière issue. Il y rencontre toutes sortes de gens border-line qu’il ne revoit pas forcément, tous et toutes occupés à de quelconques besognes de la quête de soi dans un pays dont certains habitants recherchent une issue plus ou moins mystique, spirituelle. Il aime aussi marcher jusqu’à l‘épuisement toute la nuit pour atteindre un calme mental.

Folie de la grande ville, folie en soi

Hussein est obsédé par la folie dans laquelle il craint de sombrer et il est fasciné par Bari, un homme mi soufi-mi prêtre, tout droit venu de Konya, de la confrérie Mevlana Jalal Eddine Rumi. Ils vont passer plusieurs jours ensemble avec des intervalles plus ou moins longs.
C’est que Bari se conduit comme un poisson, il glisse, s’échappe par des pirouettes, des images et des analogies compréhensibles par les initiés.

Hussein le décrit ainsi : « A cet instant, j’ai cru d‘être en présence d’un type vraiment fou, mais quelques instants plus tard, assis autour de la table, j‘avais l‘impression d’être en face d’un type follement génial ».

En fait c’est tout un monde interlope qui est décrit ici, dans les années 70 avec l’engouement des maîtres à penser venus d’Inde et d ‘ailleurs apportant message et pratique de méditation pour les travailleurs de l‘obscurité mais pas seulement, les en-quête-de-sens, de drogue, de rencontres, d’oubli, on dirait les paumés, les éveillés de la nuit, les rejetés du système qui sont peut-être les plus clairvoyants sur leur aliénation.

Au fur et à mesure de son avancée dans les rues de la ville américaine, Hussein fait des incursions dans son enfance à Beyrouth et à Ramallah, famille, images, citations, souvenirs, son jeune frère enterré selon un rituel palestinien dans une grotte, les pellicules de cheveux de sa soeur, la langue arabe, tout lui remonte à la surface dans ces lieux étrangers et connus à la fois. C’est que nul ne se défait de son passé, il reste en vous à jamais, à la fois richesse et fardeau.

C’est ce récit d’errance initiatique à travers plusieurs expériences et la fuite du réel trop difficile, trop incompréhensible, trop lourd que nous tous avons pu ressentir un jour. Une déambulation dans la ville labyrinthique comme dans les méandres des émotions et tourments de l’esprit.

Hussein Barghouti (1954-2002)

Lumière bleue de Hussein Al-Barghouti

Un voyage sans retour

Bari l’invite à regarder autour de lui, à considérer le corps physique et le corps mental, à regarder l‘eau de la baignoire couler toute une nuit …tant et si bien que le personnage se met à vouloir créer un dictionnaire des significations des mots ésotériques employés par Bari. Expérience follement passionnante !

Hussein paie de sa personne, affronte ses vrais et imaginaires démons, à la fois schizophrène et hyper réaliste, il s‘est adonné à tout ce qui pouvait le transformer profondément pour atteindre cette lumière bleue, fil conducteur qui traverse ce récit magnifique.

Tout comme le voyage dans le soufisme ne connait pas le retour, on ne peut faire marche arrière.

On sent chez Hussein Barghouti un appétit de vie, de savoirs, une grande culture que ce soit en civilisations, philosophies, littérature, histoire, le sens de la recherche et de la curiosité, il veut tout connaitre, tout y est chez cet étudiant en littérature comparée à l’université de Seattle qui fut également poète, dramaturge, philosophe, essayiste et scénariste.

Pour compléter la découverte de cet auteur passionnant et hors normes, la lecture de son précédent roman s’avère nécessaire « Je serais parmi les amandiers paru en 2004 » chez le même éditeur, où l’on retrouve Hussein Al-Barghouti chez lui en Palestine, professeur à la fameuse université de Bir Zeit.

Lumière bleue, Hussein Barghouti, traduit de l’arabe (Palestine) Marianne Weiss, Editions Sindbad Actes Sud ,2024, 168 p.

Photo de couverture : Crédit @ Archives numériques du Musée palestinien


Djalila Dechache

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