« Douze cœurs et une voile » : poème du poète tunisien Ryadh Chrayti ; traduction de Rafik Khalfaoui.
Dans ce poème Douze cœurs et une voile, le poète tunisien Ryadh Chrayti rend un hommage vibrant et solidaire aux douze activistes sur le bateau Madeleen, qui voulaient briser le blocus imposé à Gaza. À travers des vers chargés d’émotion et de lucidité, Chrayti célèbre la force morale et l’engagement de douze activistes venus de différents horizons, unis par une même cause : dénoncer l’injustice, porter secours, et refuser le silence complice.
Douze cœurs et une voile de Ryadh Chrayti : Hommage aux cœurs levés pour Gaza
Douze cœurs et une voile
Madleen, du bateau incendié au navire de la Résistance
Elle n’avait en main qu’un filet usé,
Et un petit bateau, tel un espoir qui se répare à chaque aube.
Quand ils l’ont bombardé,
Elle n’a pas pleuré, et l’écume de la mer
Est sortie des décombres,
Portant la patrie dans sa voix.
Elle a dit : « Je ne pêcherai plus de poisson…
Je pêcherai les consciences endormies du monde. »
Alors Madleen est devenue un navire,
Et la mer est devenue une arme,
Et les hommes libres du monde ont levé la voile.
Elle a dit au ciel :
« Je suis une femme seule… mon bateau est parti,
Et le voici de retour, avec mon peuple sur son dos ! »
1.
Greta Thunberg, de la Suède au feu.
Du froid de la Suède, elle est venue, sans chaleur,
Apportant un vent qui bouleverse le silence sur la Méditerranée.
Greta, qui a combattu pour la planète,
A dit : « Quelle est la valeur de la planète si Gaza meurt étouffée ? »
2.
Rima Hassan, deux cœurs dans un seul corps.
Palestinienne dans la peau, le cœur et la mémoire,
Française par l’identité.
Elle porte la douleur de l’exil et chante le droit au retour.
Elle ne ménage pas la France quand elle se tait,
Elle la gêne avec un sac contenant : une clé de maison et une photo de tente.
3.
Thiago Ávila, le Brésilien au sang de la révolution.
Né là où la pluie engendre forêts et rébellion.
Thiago voit en Palestine une autre São Paulo.
À Gaza, sa lutte croise celle des pauvres.
La liberté ne se monnaie pas… et ne se bombarde pas.
4.
Yasmin Acar, la Kurde allemande.
Née en exil,
Elle a porté une carte que les cartes ne reconnaissent pas.
Yasmin, qui parle allemand et pleure en kurde,
À Gaza, elle a vu un peuple à qui on n’accorde ni terre ni paix.
Alors elle a pris la mer,
Pour dire : « Nous sommes tous un seul exil. »
5.
Şuayp Ordu, le Turc qui n’oublie pas le Marmara.
D’Istanbul à Gaza,
Et d’un navire à l’autre,
Şuayp porte la mémoire de l’eau et du sang.
Il sait que le blocus n’est pas une fatalité,
Mais un crime commis au nom de la sécurité.
6.
Riva Villar, le Français qui a ouvert ses fenêtres.
Né dans un pays dont les écrans se ferment sur la Palestine,
Riva n’a pas supporté le mensonge.
Alors il a pris les vagues.
Il a dit : « Je veux voir de mes propres yeux. »
Et quand il a vu, il a pleuré puis a écrit : « Gaza m’apprend à être humain. »
7.
Baptiste André, l’ami de la vérité solide.
Un autre Français,
Son cœur n’est pas seulement de son pays.
Quand il a lu sur Deir Yassin,
Quelque chose a changé en lui.
Baptiste n’aime pas les surenchères,
Mais il va là où la vérité est en danger,
et Gaza est l’endroit où la vérité est le plus menacée.
8.
Pascal Moreras, médecin.
Il sait recoudre les blessures,
Mais la blessure de Gaza est plus large que son scalpel.
Il a dit : « Je suis médecin,
Mais aujourd’hui, je suis témoin
D’un blocus qui fait du médicament un crime. »
9.
Sergio Toribio, l’Espagnol qui entend le silence des Arabes.
De Madrid à Gaza,
Sans hymne officiel.
Sergio n’est pas venu pour enseigner,
Il est venu pour apprendre.
Il a dit : « Dans le silence des dirigeants,
Gaza crie dans sa solitude.
J’ai donc choisi d’être son bruit face au monde. »
10.
Mark van Rijn, le Hollandais qui n’a pas gardé le silence.
Né dans un pays de neutralité,
Mais il a jeté la neutralité comme on ôte une chaussure.
Mark a dit : « Pas de neutralité face à l’injustice,
Pas de silence face aux massacres. »
C’est le Hollandais qui n’a pas tardé,
Mais a précédé les gouvernements par son éthique.
11.
Omar Fayyad, Français au sel arabe.
Son nom est double,
Ainsi que son cœur.
Français sur les papiers,
Arabe dans la voix et les traits.
Omar sait
Que l’identité n’est pas un passeport,
Mais un engagement sincère quand la vérité est bombardée.
12.
Younes Mohammadi, la dernière voix franco-arabe.
Younes, comme Omar, connaît la douleur de la marginalisation,
Mais il ne s’est pas soumis à une intégration qui le tuerait.
Il a dit : « J’intégrerai la France à la cause palestinienne,
Et ferai de ma conscience un passeport pour la vérité. »
Ryadh Chrayti, poète et critique littéraire tunisien