Victor Hugo – Mes lettres d’amour
Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse,
C’est donc vous ! Je m’enivre encore à votre ivresse ;
Je vous lis à genoux.
Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !
Laissez-moi me cacher, moi, l’heureux et le sage,
Pour pleurer avec vous !
J’avais donc dix-huit ans ! J’étais donc plein de songes !
L’espérance en chantant me berçait de mensonges.
Un astre m’avait lui !
J’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme !
J’étais donc cet enfant, hélas ! Devant qui l’homme
Rougit presque aujourd’hui !
Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !
Attendre tous les soirs une robe qui passe !
Baiser un gant jeté !
Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !
Etre pur, être fier, être sublime, et croire
À toute pureté !
À présent, j’ai senti, j’ai vu, je sais. – Qu’importe
Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte
Qui gémit en tournant !
Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,
À côté du bonheur qui m’abrite à son ombre,
Rayonne maintenant !
Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années,
Pour m’avoir fui si vite, et vous être éloignées,
Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait ?
Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,
Avec sa robe blanche où notre amour s’attache,
Revient dans nos chemins,
On s’y suspend, et puis que de larmes amères
Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères
Qui vous restent aux mains !
Oublions ! Oublions ! Quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte
À l’horizon obscur.
Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème.
L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur !
Le 22 mai 1830.
Victor Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon (Doubs) et décédé le 22 mai 1885 à Paris, est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur emblématique du romantisme français. Inscrivant son ambition dès ses débuts avec les mots « Je veux être Chateaubriand ou rien », il domine le XIXe siècle en tant que figure majeure de la littérature française. Considéré comme l’un des plus grands écrivains de la langue française, son œuvre, à la fois brillante et populaire, continue d’inspirer.
Engagé politiquement, Victor Hugo s’oppose fermement au Second Empire et passe près de vingt ans en exil à Jersey et Guernesey. Défenseur acharné de la paix et de la liberté, il plaide pour de nombreuses causes sociales, condamne la peine de mort et soutient l’idée d’une Europe unie. Sa sensibilité à la misère humaine transparaît dans ses œuvres majeures, notamment Notre-Dame de Paris (1831) et Les Misérables (1862), mais aussi dans ses discours politiques, récits de voyages, mémoires et abondante correspondance.
Artiste aux multiples facettes, Victor Hugo laisse également près de 4 000 dessins, des écrits critiques, des conceptions de décors intérieurs et une contribution notable à l’art de la photographie. Son engagement républicain et son immense production littéraire en ont fait une icône nationale. Honoré par des funérailles nationales en 1885, il demeure une figure universelle célébrée en France et à l’étranger, dont l’héritage continue de susciter admiration et réflexion.