Poésie

Fethi Nasri par Hyacinthe

La parole tout en finesse de Fethi Nasri 

Les lundis d’Hyacinthe

La parole tout en finesse de Fethi Nasri

Un nouvel espoir…

L’Institut de Traduction de Tunis vient de publier Comme qui a raté un rendez-vous, du poète et universitaire arabisant Fethi Nasri, dans une traduction de son jeune collègue francisant, Aymen Hacen. Cette collaboration, entre chercheurs et créateurs tunisiens, s’annonce bénéfique, puisque d’une génération à l’autre, l’Université tunisienne semble trouver le moyen de se renouveler, en dépit de la crise actuelle.

Il nous faut toutefois préciser que le jeune Aymen Hacen (né en 1981) ne se fait ni attendre ni prier pour œuvrer. Ayant à son compte plus d’une quarantaine de volumes publiés, il a traduit quelques-uns des plus grands poètes tunisiens dont Mohamed Ghozzi, avec, en 2009, Il a tant donné, j’ai si peu reçu, dans l’ancienne formule de l’Institut de Traduction de Tunis, qui s’appelait alors le Centre National de Traduction, ainsi que l’excellent Moncef Mezghanni, Le merle de la ville captive (Fédérop, 2014), ou encore récemment Brouillon de patrie d’Ouled Ahmed (Éditions Manifeste/ Le Merle moqueur, 2021), œuvre forte, à l’image de celui qu’on appelle à juste titre « le poète de la patrie ».

Poésie, prose, prose et poésie

À la lecture de ce volume, que nous n’avons certes pas pu acquérir en librairie, nous nous sommes rendus compte de la richesse de l’expérience poétique de Fethi Nasri qui, en interrogeant le détail, en explorant le minimalisme et en écriant autre chose que le lyrisme ou le soufisme en vogue, il tire profit de la poésie vers-libriste et des issues fournies par la prose dans la poésie, comme ce poème sur la poésie ou métapoétique :

Nul besoin d’aller là-bas

Nulle consolation de demeurer ici

C’est la souffrance qui nous fait souffrir sans nous procurer aucun plaisir.

La vague qui ne s’est pas élevée aux raisons du ciel et qui n’a pas été tentée par l’abyme ses promesses demeurent écumes s’envolant des blatères d’un chameau en colère.

Ces rythmes ardus peuvent-ils réveiller dans l’eau triste le désir du murmure ?

Ils composent pour l’âme un chemin dans des contrées escarpées jamais foulées par nos pieds.

Peu importe qu’ils soient sans sagesse

Et peu importe qu’ils ne représentent pas d’alternative

Peut-être seront-ils ce qu’il reste d’un monde qui ne nous procure aucun plaisir,

Et peut-être les successeurs vivront-ils une moins grande solitude.

Intitulé « Liminaire », comme dans le Coran, ce morceau est à l’image du profond travail en poésie de Fethi Nasri, lequel n’a d’égale que la maîtrise de son traducteur. Si le premier est né le 7 juillet 1958 et s’il est Professeur des universités à la Faculté des lettres et des sciences sociales de Tunis, son œuvre est riche à la fois de travaux académiques sur la poésie et de poèmes sur la poésie. Parmi ses recueils, nous pouvons citer : La terre ferme a parlé (19994), Les Jarres de la nuit (2006), Miniatures (2012) et Quelque chose pour la cité de Dieu (2021).

Finesse, réserve, mesure

Rappelons également que le présent volume a vu le jour en arabe en 2015 aux Éditions Zayneb, dirigées par le poète arabophone Majdi Ben Aïssa. Comme qui a raté un rendez-vous est le poème éponyme du recueil, qui commence ainsi :

Dans l’avenue Habib Bourguiba

J’ai vu beaucoup de révolutionnaires,

De vrais révolutionnaires

Qui étaient,

Comme celui qui a perdu quelque chose en particulier,

Parcouraient la longue avenue

Aller et retour

Retour et aller,

Depuis la statue d’Ibn Khaldoun

À l’horloge du 7 novembre,

Et de l’horloge du 7 novembre

À la statue d’Ibn Khaldoun.

Et se termine en ces termes :

Il arrive parfois que

Que certains d’entre eux disparaissent

Ou qu’ils émigrent dans des contrées lointaines,

Mais, pareils à des oiseaux migrateurs,

Ils reviennent toujours

Au même endroit,

Comme si des fils invisibles

Les liaient à lui,

Des fils de soie

Qui les fixent là-bas,

Et à jamais,

Comme qui a raté un rendez-vous

Et qui ne veut pas désespérer.

Il y a beaucoup de choses à dire sur ces deux fragments poétiques, mais ce qui est sûr, c’est la finesse avec laquelle Fethi Nasri s’exprime. Une parole tout en finesse, oui, avec ceci de plus : la réserve et la mesure dans toute chose. À lire, à suivre, à partager, parce que cette poésie, en arabe et dans sa traduction en français, est généreuse.

 

Fethi Nasri, Comme qui a raté un rendez-vous, traduit de l’arabe (Tunisie), par Aymen Hacen, Tunis, Institut de Traduction de Tunis, paru le 30 décembre 2022, 96 pages, 10 dinars.

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