Le Cid de Pierre Corneille
Le Cid de Pierre Corneille, création, adaptation et mise en scène par Frédérique Lazarini
Par Djalila Dechache
Le Cid de Pierre Corneille, création, adaptation et mise en scène par Frédérique Lazarini, Artistic Théâtre 45 rue Richard Lenoir 75011Paris.
Comme il est bon d’assister à une représentation de théâtre de qualité qui revisite une histoire intemporelle dans L’Espagne du XIe siècle à Séville, capitale de la Castille !
Chimène aime Rodrigue, elle apprend de son gouvernant El Vire, que son père le noble don Gomès, va la marier à ce jeune homme. Dans le même temps, Le roi Fernand désigne le noble don Diègue, le père de Rodrigue, comme gouverneur.
Deux événements d’apparence simple, sauf que rien ne se passera comme prévu.
La force de Pierre Corneille, avec cette pièce en cinq actes date de 1637 à l‘époque de Louis XIII, comprenant huit personnages s’exprimant en alexandrins résonnent avec la meilleure diction musicale.
La force de Frédérique Lazarini est de resserrer la distribution en n’évoquant pas deux rôles, celui de l‘Infante et de Léonor, mais aussi de transformer Elvire la duègne de Chimène en El Vire, qui devient l’homme de confiance. Il vêtu d’un costume fort beau, long manteau ample aux manches larges, portant un petit chapeau qui n ‘est pas sans rappeler la facture asiatique et marche avec de petits pas rapides. Son rôle devient plus présent et plus fort.
L’on est tenté de mettre l‘accent sur Chimène, tellement gracieuse dans sa robe immaculée, ses chaussons de danse avec lesquels elle esquisse quelques pas. C’est un ravissement ! Tout au long du spectacle elle se bat, entourée d’hommes qui ne la prennent pas au sérieux, la scène où elle croit que Rodrigue est mort au combat, les hommes rient autour d’elle d’un rire gras, viril, masculin face à elle qui se liquéfie….La comédienne, danseuse, chanteuse Lara Tavella est stupéfiante de justesse et de présence scénique. Elle apporte au rôle beaucoup de convictions.
Le Cid, El Seyed, Sidi, Monseigneur
Dès les premiers instants on est emporté dans l‘histoire et dans le temps : un plateau avec l‘essentiel de décor déploie les scènes en fonction des angles, un fond de scène à l’image floue comme une pierre mouvante retenant les ombres, de part et d‘autre on peut imaginer des moucharabiehs projetés, une frise de petites lumières délimite le plateau d’avec la scène. Un jeu de lumière remarquable aux couleurs évocatrices, les déplacements des comédiens tantôt seuls tantôt en chœur, une musique enveloppante, une poupée quasi humaine et si belle dans les bras du roi Alphonse portant son fils, le futur roi, des duels entre hommes ….et pas seulement.
Des face-à-face multiples
A chaque fois, le paradoxe change de place, frappe les personnages deux par deux, comme si la destinée les prenait à témoin, leur permettait de se mesurer : Rodrigue et don Gomès pour essuyer le soufflet de son père suite au choix du roi de nommer gouverneur don Diegue, Rodrigue et Don Sanche amoureux éconduit par Chimène. Le dernier duel qui a eu lieu, verbal cette fois-ci est entre chimère et Rodrigue, doit-elle continuer à aimer l‘homme qui a tué son père ? encore un dilemme difficile à résoudre.
En point d‘orgue, on retrouve Chimène qui aime profondément Rodrigue et veut se marier avec lui avant son départ. Il a été sacré chevalier, porte armure, après un rituel d’adoubement par son père. A la demande du roi, Rodrigue doit partir se battre contre les Maures, nom donné aux Arabes de cette époque, qui sont aux portes de la ville.
Une femme, des hommes
Chimène se retrouve seule dans cette partition face à six hommes. Lors de chaque scène elle doit se justifier, par exemple convaincre le roi par du meurtre de son père par Rodrigue, elle veut vengeance ! C’est « le dilemme cornélien » dans toute sa splendeur ! Est-il possible de choisir entre l‘honneur de son père donc de son nom et l‘amour pour Chimène ? Est-il possible d’aimer l‘homme qui a tué son père ?
Tout au long de la pièce, les personnages sont confrontés à un choix qui en appelle à une question d’éthique qui va les faire grandir. En fait Corneille veut nous dire que la vie n’épargne personne et qu’à chaque instant, l’on est confronté à sa destinée.
Cette mise en scène est tout simplement magnifique de justesse dans les partis pris opérés, dans la distribution, dans les décors, dans les costumes somptueux, dans la musique… Entendre l‘alexandrin est un pur bonheur, on se sent tellement proche des personnages dirigés de manière moderne, trépidante et harmonieuse. Il y a une réminiscence au bon théâtre celui qui nous prend, celui qui nous emporte, celui qui nous émeut, ce théâtre de beauté, à la partition collégiale, où l‘on ne voit pas le temps passer, dans une salle à l‘écoute quasi religieuse.
C’est une grande réussite qui devrait profiter à tous et à toutes y compris les scolaires qui entendront une langue insoupçonnée, cadencée, musicale, prodigieuse !
Le Cid mis en scène par Frédérique Lazarini est le Cid rêvé, imaginé, réalisé. Un Cid différent et fort par son regard féminin, sa marque élégante et méditerranéenne.
Distribution
Cédric Colas Don Fernand, Don Gomes
Quentin Gratias Don Sanche
Arthur Guézennec Rodrigue
Philippe Lebas Don Digue
Lara Tavella Chimène
Guillaume Veyre El vire
Assistante à la mise en scène Lydia Nicaud
Scénographie François Cabanat
Costumes Dominique Bourdeet Isabelle Pasquier
Lumières François Cabanat et Xavier Lazarini
Assistant lumières Tom Peyrony
Musiques et son François Péroné
Conseillère artistique Anne-Marie Lazarini
Combats Lionel Fernandez
Marionnette Félicité Chauve.
Crédits photos @Artistic Théâtre
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