Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar de l’Académie française
Par Djalila Dechache
Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar de l’Académie française, Théâtre de Poche Montparnasse, saison 2023/2024.
Mémoires d’Hadrien est d’abord un texte historique fabuleux de Marguerite Yourcenar. Dès qu’on le commence il est impossible de s’arrêter. La langue écrite est d’une précision d’une force et d’une beauté incroyables, un travail historique comme il en est peu.
Le metteur en scène, Renaud Meyer évoque en toute sincérité le document de présentation de la pièce remis au public qu’il a connu tardivement ce texte et qu’il a ressenti une proximité de sentiments avec le principal personnage : « J’étais en présence d’une œuvre qui pourrais m’aider à enchanter la vie et à la quitter un jour ».
Cet enchantement nous le retrouvons dans la petite salle du théâtre. L’empereur Hadrien se tient face au public installé en cercle, rappelant les séances au Sénat de son temps. Le décor est minimaliste mais efficace, royal, romain. On entend un roulement de vagues au loin, peu de lumière, une vasque au centre, une banquette toute simple, une armure, un casque et des jambières, deux ustensiles de terre, quelques blocs de pierres archéologiques… Il est là, assis, vêtu de blanc, le buste nu, les bras aussi, les pieds aussi, de bonne stature, ses cheveux sont blancs, son visage est clair, ses yeux bleus deux lumières vivaces.
Il attend ? Non il n’attend plus personne, il s’est donné rendez-vous avec lui-même, son ultime face à- face, sans détours, sans mensonges ni complaisance.
Il commence à parler, lancé dans un long monologue, ou est-ce sa voix intérieure qui s’exprime, on oublie le texte, on entend un homme au riche passé de guerres et de conquêtes, de rencontres amoureuses avec de jeunes éphèbes, des lectures d’auteurs, oui beaucoup d‘auteurs Ovide, Virgile, Marc-Aurèle, des textes l‘Iliade et l ‘Odyssée et l‘Ulysse qui déjà faisait rêver par les prouesses de ses batailles .
L’empereur Hadrien est sur le déclin de sa vie, il a vieilli, désabusé, désenchanté, il a tout juste la force de regarder en arrière ce qu‘il a accompli en bien et en moins bien. Il n’aime plus.
« Méfies-toi de ton cœur, ce n‘est qu‘un monstre sournois qui finira par devenir ton maître. Mes jours sont comptés, le sorcier m’a prédit que je ne mourrais pas »….. « Les festins de Rome m’emplissent de répugnance, la Grèce s’y entendait mieux avec son pain clouté au sésame, son vin résineux, son écoulement chaud au creux du diaphragme….Et ce jeu qui va de l’amour d’un corps à l’amour d’une personne….j’ai appris de la vie quelques secrets, l’amour est un envahissement de la chair par l‘esprit, ….de tous les bonheurs qui m’abandonnent, le sommeil est le plus précieux…ce mystère où nous rencontrons les morts qui absorbent la moitié de notre vie…je n’ai jamais voulu regarder dormir ceux que j’aimais, chaque nuit nouante sommes déjà plus, il me semble à peine essentiel d‘avoir été empereur. La fiction officielle veut qu’un empereur naisse à Rome, mais c’est à Italica que je suis né, mes premières patries ont été Ovide, Horace, Virgile, enfant je me suis mis à l’étude du grec, tout ce qui a été dit d’important a été écrit en grec….Pourtant rien n’égale le latin, c’est en grec que j’avais pensé et vécu »…
Au final, il s’oint le visage d’une cire pour s’en aller quitter la vie, on entend à nouveau le son des vagues toujours recommencées et Hadrien de dire : « Je respire mieux au bord de la mer ».
Je pourrais continuer ainsi encore plus longtemps. Le comédien Jean-Paul Bordes est magistral dans ce rôle , il incarne tellement bien Hadrien, son visage, sa voix et son corps vibrent, changent, se transforment, il est habité par ce personnage, il tient le public au bout de sa main, au bout de sa voix et de ses yeux qui sont de véritables boussoles, nous sommes envoûtés par son jeu, ses déplacements, il aura tout utilisé en termes d ‘accessoires de la scène, la lumière a aussi sa place et la musique. Nous sommes sous emprise consentie, voulue, enchanteresse. Ce texte est d’un modernité incroyable qui nous éclaire sur la vie politique de notre temps.
C’est une très belle performance théâtrale et poétique sur tous les plans, ce spectacle est à voir et à revoir; il y a une gourmandise à entendre ce merveilleux comédien au service d’un texte tout aussi merveilleux.
Distribution
Adaptation et mise en scène Renaud Meyer
Comédien Jean-Paul Bordes
Lumière Jean-Pascal Parchet
Création sonore Bernard Vallery
Scénographie Marguerite Danguy Des Déserts
Costume Mine Vergès
Direction du théâtre Philippe Tesson Stéphanie Tesson.
Un grand merci à Julien service Presse et à Romain à l’accueil
Photo de couverture @ WIKIMEDIA
Souffle inédit
Magazine d’art et de culture
Une invitation à vivre l’art