Présenté le 16 mai dernier au 78e Festival de Cannes, La Petite Dernière représente un tournant majeur dans la carrière de Hafsia Herzi.
La Petite Dernière : Un hommage à l’émancipation et à la complexité du désir féminin
Avec La Petite Dernière, Hafsia Herzi présente un film flamboyant en compétition officielle
Révélée en tant qu’actrice par Abdellatif Kechiche et devenue ensuite réalisatrice accomplie (Bonne Mère, Tu mérites un amour), elle réalise ici son film le plus personnel, le plus abouti, et sans doute le plus engagé. En adaptant librement le roman autobiographique de Fatima Daas, elle offre une narration d’une rare précision sur l’identité, l’intimité et la religion.
La Petite Dernière suit la trajectoire de Fatima, une jeune femme issue d’une famille musulmane d’origine algérienne, vivant en banlieue parisienne. Élève brillante, réservée et pieuse, elle cache une partie essentielle de son être : elle aime les femmes. Dans un environnement où les regards sont aigus et les silences lourds, Hafsia Herzi filme le combat intérieur d’une héroïne en devenir, déchirée entre les attentes de son entourage et ses propres désirs.
Ce récit lumineux sur le passage à l’âge adulte évite tous les pièges du misérabilisme ou de la leçon. Herzi préfère la subtilité à la démonstration, la discrétion à l’excès émotionnel. Sa mise en scène, à la fois sensuelle et sobre, épouse les émotions de Fatima sans jamais les trahir.
Le rôle principal est interprété par Nadia Melliti, impressionnante de sincérité. Dans ce premier rôle au cinéma, la comédienne incarne avec une intensité troublante les contradictions de Fatima. Sa présence à l’écran oscille entre fragilité et éclat, rendant palpable le conflit intérieur de son personnage. Autour d’elle, Ji-Min Park (Ji Na) et Mouna Soualem (Cassandra) forment un duo féminin complice et complémentaire, accompagnant l’héroïne dans son éveil amoureux et militant.
L’un des enjeux principaux du film réside dans sa capacité à ne jamais caricaturer la foi. Fatima est croyante, pratiquante, et c’est justement ce lien spirituel qui rend sa quête d’identité d’autant plus douloureuse. Herzi filme cette tension sans jugement, avec une approche délicate et respectueuse. Lorsqu’un imam lui affirme que l’homosexualité est « interdite dans toutes les religions », c’est tout un aspect de sa vie intérieure qui vacille.
Le film questionne sans trancher, observe sans condamner. Il rend hommage à ces jeunes femmes tentant de concilier l’inconciliable, entre loyauté familiale, spiritualité sincère et élan du cœur.
Hafsia Herzi, en cinéaste accomplie, atteint ici une épure nouvelle. Elle capte les étreintes et les blessures avec une caméra au plus près des émotions. Les scènes d’amour sont filmées avec une grâce rare, loin de tout voyeurisme, dans une sensualité diffuse qui célèbre les premiers émois autant que l’évanouissement de la découverte.
La lumière, souvent douce, caresse les visages ; la bande sonore, discrète, accompagne le souffle des corps. On quitte la projection touché par tant de sincérité. À Cannes, la standing ovation de huit minutes reçue par l’équipe du film n’avait rien de surprenant : La Petite Dernière est une œuvre courageuse, vibrant, essentielle.
En compétition officielle, La Petite Dernière s’impose comme l’un des films les plus mémorables de cette édition 2025. Même s’il ne repart pas avec un prix, il aura au moins conquis les cœurs. Et il aura démontré, une fois de plus, que Hafsia Herzi est bien l’une des voix les plus singulières et les plus indispensables du cinéma français contemporain.