James de Percival Everett : réécrire l’histoire américaine

Lecture de 7 min
Percival Everett par Michael Avedon

James, de Percival Everett, revisite l’histoire américaine à travers le parcours d’un esclave cultivé et subversif. Un roman brillant et engagé, traduit par Anne-Laure Tissut.

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Percival Everett, James, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut, Éditions de l’Olivier, 2025.

Par Djalila Dechache

Le livre s’ouvre sur les paroles d’une chanson Let Your Hammer Ring de Pete Seeger, issues du carnet de Daniel Decatur Emmett (1815-1904), compositeur américain, fondateur de la première troupe de « Black face » et auteur de la chanson « Dixie’s Land » (probablement la chanson la plus chantée dans les prisons).
C’est une expérience assez inédite que l’auteur effectue en réécrivant l’histoire d’Huckleberry Finn. Ce n’est pas une véritable réécriture du livre de Mark Twain édité en 1884, qui met en scène un adolescent blanc. C’est autre chose.

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James de Percival Everett

Une reconstruction littéraire et historique

Bien plus encore, le personnage principal, Jim, est un esclave cultivé et intelligent. Il fait semblant d’être analphabète pour ne pas attirer l’attention des Blancs. Sa famille travaille dans une plantation.
Il est au service de Miss Watson, une vieille dame blanche qui veut le vendre à une personne de la Nouvelle-Orléans, dans une Amérique esclavagiste.
Il décide de s’enfuir avec son ami Huck, l’adolescent blanc fuyant son père violent, vers une région plus clémente et surtout contre l’esclavage des Noirs.
Il fait le projet de revenir une fois qu’il se sera enrichi pour libérer les siens en les rachetant.
À bord d’un bateau, ils vont dériver le long du fleuve mythique que tout le monde connaît au moins de nom : le Mississippi.

Démonstration remarquable du retournement de l’histoire sombre américaine. Percival Everett déconstruit une histoire littéraire « classique » du XIXᵉ siècle à l’aune des problématiques historiques de la modernité du XXIᵉ.

Une démarche subversive

À première vue, c’est une révolte du peuple noir, qui se libère lui-même, il prend une revanche face à l’adversité, contre le colonialisme et l’esclavage.
C’est aussi un autre regard sur le passé, avec des yeux d’aujourd’hui d’un adulte qui connaît bien les Blancs au point de ne pas se montrer trop intelligent, parce qu’ils « ne le supportent pas ». La domination s’immisce jusque là, jusque dans les esprits et c’est la pire qui soit. La réaction de Jim est subversive.

Ici, pas de violence, pas de sang pour devenir libre. L’arme utilisée par Jim est l’intelligence humaine. C’est lui qui fait entrer les Blancs dans la croyance que les Noirs sont incultes. Il y a un retournement de situation d’objet : il devient acteur.

C’est en ce sens que ce livre prend une tournure révolutionnaire, une révolution silencieuse, individuelle. Bien que déjà libre dans sa tête, pour avoir cherché à s’enfuir aussi, Jim veut plus, il veut être totalement libre, libéré de ses chaînes réelles et virtuelles. Il met fin au projet esclavagiste.
Au cours de ce voyage, des péripéties vont intervenir parce que face à l’inconnu rien ne se passe comme prévu. Ils devront se battre face aux aléas, aux embûches, à un cadavre, aux intempéries, en un mot face à la vie dans ce qu’elle a de plus brutal, cru, violent.

Imbrication de niveaux et de ressorts

Ce livre brillant et audacieux permet de se questionner sur la liberté et la dignité de chaque être humain. Comment en est-on arrivé au stade de disposer des personnes, de les utiliser, de les dominer et de les exploiter, et de les vendre selon des critères odieux ?
L’auteur ne dit pas directement ces choses-là ainsi. On les entend entre les lignes, on les lit sur le visage de Percival Everett en photo.
Mieux encore, son ouvrage est construit sur la nécessaire activité de la lecture de livres, sa transmission et sa visibilité aux yeux de tous sauf aux Blancs. Il transmet à ses proches des outils précieux : le savoir, le verbe, la connaissance, l’écriture, la lecture… vecteurs d’émancipation.
Il y a cette scène, bien vite amenée au début du récit, où un cours de langue est donné dans une cabane à six enfants : témoignage de la mission de Jim qui veut « armer » intellectuellement les enfants en leur transmettant des codes, des clés, des éléments de réponse face aux situations avec les Blancs.
En somme, un cours de conduite sociale avec l’inculture et l’ignorance volontaires en soubassement.
La traductrice Anne-Laure Tissut a restitué le parler quotidien, en ne mettant une virgule à la place de la lettre R dans les dialogues, ce qui nous rapproche encore davantage de l’ambiance générale.
L’écrivain a fait de son livre un ouvrage où l’intersexualité joue un grand rôle, où plusieurs ouvrages se fécondent et se répondent, ceux du passé et ceux d’aujourd’hui.
On peut y inclure en résonance l’œuvre du prix Nobel de littérature Toni Morrison en 1993.
On ne peut que saluer cette prouesse littéraire et historique et ce roman attachant, subtil et beau. Sa démarche tient du génie et pourrait inspirer d’autres auteurs et autrices.
Percival Everett a reçu le National Book Award en 2024 et le Prix Pulitzer de la fiction en 2025. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans.

Le livre
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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