Première grande exposition américaine consacrée à Helene Schjerfbeck, Seeing Silence révèle au Met la puissance silencieuse du modernisme finlandais.
Seeing Silence : The Paintings of Helene Schjerfbeck au Metropolitan Museum of Art
La grande silencieuse du modernisme nordique entre enfin au Met
À partir du 5 décembre 2025, le Metropolitan Museum of Art consacre pour la première fois aux États-Unis une grande exposition à Helene Schjerfbeck (1862-1946), figure majeure du modernisme finlandais encore largement méconnue hors d’Europe du Nord. Intitulée Seeing Silence : The Paintings of Helene Schjerfbeck, la manifestation réunit près de soixante tableaux, grâce à la collaboration exceptionnelle du Musée d’art Ateneum d’Helsinki et de nombreuses collections publiques et privées de Finlande et de Suède. Une occasion rare de découvrir la trajectoire d’une artiste qui, loin des centres artistiques de son époque, a bâti une œuvre intérieure, exigeante et singulière.

Née à Helsinki, Schjerfbeck traverse un demi-siècle marqué par la guerre civile, les conflits mondiaux et la naissance d’une identité nationale finlandaise après 1917. Ses propres épreuves, physiques et matérielles, n’entameront jamais sa détermination à peindre. Elle écrit un jour : « Tout ce que je désire, c’est peindre… il y a toujours quelque chose à conquérir. » Cette rigueur, mêlée à une profonde intériorité, irrigue toute son œuvre et constitue le fil conducteur de l’exposition.
Un parcours artistique hors des circuits dominants
L’itinéraire de Schjerfbeck, dès l’enfance, révèle un talent précoce. Boursière, elle rejoint Paris pour se former, découvre la Bretagne à Concarneau, puis la Cornouaille anglaise à St Ives. Les premières salles de l’exposition retracent ces années d’apprentissage, marquées par une esthétique naturaliste et des scènes de genre empreintes de sensibilité. L’artiste expose rapidement au Salon parisien et s’essaye déjà à repousser les limites de la peinture traditionnelle.
Le Met développe ensuite un ensemble d’œuvres majeures inscrites dans l’affirmation culturelle finlandaise. Dans un pays encore façonné par des siècles d’influences étrangères, la peinture d’histoire devient un outil de reconnaissance nationale. Schjerfbeck y participe, jusqu’à être distinguée et encouragée dans ses recherches artistiques par plusieurs institutions européennes.
Hyvinkää : l’isolement comme laboratoire intérieur
L’un des moments les plus poignants de l’exposition se concentre sur la période qu’elle passe à Hyvinkää, petite ville au nord d’Helsinki où elle s’installe en 1902 pour vivre auprès de sa mère. Coupée des cercles mondains et dépourvue de modèles professionnels, elle crée certains de ses tableaux les plus intimes : silhouettes sombres, visages détournés, gestes simples baignés d’une lumière réduite à l’essentiel. Ici, la peinture devient un langage souverain. Schjerfbeck demande à ses modèles de se taire, de détourner le regard, parfois même de quitter la pièce lorsqu’elle poursuit seule la composition.
Dans ces œuvres, la matière s’épure. Les couches sont grattées, poncées, parfois presque effacées pour laisser affleurer la texture brute de la toile. Une économie de moyens qui ouvre, paradoxalement, un espace d’une grande intensité émotionnelle.
Portraits, transcriptions et influences secrètes
Les portraits des années 1920 et 1930 révèlent un autre aspect de son travail : la distance volontaire avec ses modèles, réduits à des présences anonymes. L’artiste, passionnée par la mode française, habille ces figures de silhouettes contemporaines tout en les inscrivant dans un univers suspendu. À la même période, elle découvre El Greco à travers des reproductions et transpose sa palette, ses figures élancées et ses tonalités mystiques dans une série de variations personnelles d’une grande liberté.
Un retour en arrière conduit ensuite le visiteur en Italie, à Florence et Fiesole, où Schjerfbeck fut envoyée en 1894 pour copier les maîtres anciens. Ces exercices nourriront sa réflexion sur la matière, la lumière et les surfaces, des préoccupations au cœur de son langage de maturité.
Natures mortes et autoportraits : un dialogue avec le temps
La section consacrée aux natures mortes – un motif auquel elle revient pendant un demi-siècle – permet de suivre l’évolution technique et spirituelle de l’artiste. Des Pommes rouges de 1915, éclatantes de couleurs superposées puis retirées, aux fruits sombres de 1944, qui semblent absorber la lumière, la série forme un récit silencieux de ses expérimentations mais aussi de l’histoire européenne, que les ombres de la guerre traversent.
Le parcours se conclut par l’une des séquences les plus émouvantes de l’exposition : quarante autoportraits réalisés entre sa jeunesse et la fin de sa vie. Lorsque la Finlande est à nouveau en guerre, elle part pour la Suède et s’installe dans un hôtel de Stockholm. Entre 1944 et 1946, elle peint vingt autoportraits d’une sobriété presque glacée, où les couleurs fines et transparentes deviennent une méditation sur la fragilité humaine. Peu de séries dans l’histoire de l’art moderne expriment avec autant de retenue la présence du temps sur les visages.
Une réhabilitation américaine attendue
En réunissant l’ensemble de ces corpus, Seeing Silence offre au public américain un regard neuf sur une œuvre longtemps tenue à l’écart des récits dominants du modernisme. Schjerfbeck n’a jamais fait école, mais elle a patiemment construit un langage autonome, profondément intérieur, qui éclaire d’un jour particulier l’histoire artistique du Nord de l’Europe.
Le Met accompagne l’exposition d’un catalogue abondamment illustré et de programmes publics qui seront annoncés au fil de la saison. Pour une artiste qui a toujours travaillé dans la solitude, cette grande rétrospective marque une forme de reconnaissance internationale, tardive peut-être, mais essentielle.
Agenda
Du 5 décembre 2025 au 5 avril 2026
The Met Fifth Avenue in Gallery 964



