« Ivresse de l’encre » de Lassaâd Metoui

Coup de coeur
Lecture de 7 min

« Ivresse de l’encre » de Lassaâd Metoui ou quand « le calame danse comme sur un tapis »

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
LASSAAD METOUI

Immortalité d’Alain Rey

Cela se passe presque toujours de la même façon : nous découvrons le meilleur de chez nous à travers, voire chez les autres. C’est ainsi que, en février 2014, j’ai rencontré Lassaâd Metoui grâce à feu Alain Rey (1928-2020), avec qui il venait de publier, chez Guy Trédaniel, Le Voyage des mots : de l’Orient arabe et persan vers la langue française.

Cet ouvrage nous a littéralement subjugué et, à l’instar de beaucoup d’autres illustres travaux du regretté Alain Rey, du simple dictionnaire Le Petit Robert à l’imposant Dictionnaire culturel en langue française (2005), en passant par le Robert des expressions et locutions, ainsi que l’exceptionnel Dictionnaire amoureux du diable (Plon, 2013), nous ne cessons de nous y référer, en essayant d’y tirer le meilleur, intellectuellement, scientifiquement et bien sûr humainement.

Or, nous retrouvons ces mêmes valeurs chez Lassaâd Metoui, l’artiste-calligraphe qui, par sa plume et ses couleurs, incarne toutes celles-ci, jusqu’à ce qu’il est possible d’appeler, à juste titre, ivresse de l’encre.
LASSAAD METOUI

Ivresse de l’encre

Il s’agit à vrai dire du nom de l’exposition tenue du 6 juillet au 22 septembre 2024 au Château des ducs de Bretagne ― Musée d’histoire de Nantes, à laquelle les Éditions des Beaux Arts ont consacré un numéro spécial, lequel commence notamment par un entretien avec Bertrand Guillet, directeur du Château des ducs de Bretagne, dont les propos sont recueillis par Claude Pommereau. Le numéro est exceptionnel et il risque de devenir indispensable pour ceux qui, non seulement apprécient le travail artistique de Lassaâd Metoui, mais encore souhaitent mieux comprendre la calligraphie arabe, car celle-ci est désormais autre chose.

Ainsi, comme l’écrit Martina Massullo, spécialiste d’épigraphie islamique (service d’étude et de documentation, département des arts de l’islam, au musée du Louvre) : « Lassaâd Metoui puise son inspiration dans la calligraphie arabe, à laquelle il s’est initié très jeune en Tunisie. Il ne cesse, depuis, de réinventer cette forme d’art, puisant dans d’autres cultures et intégrant des influences contemporaines. Pour son exposition “Ivresse d’encre”, il a choisi de tourner son regard vers l’Orient. Cette inspiration trouve son origine dans un voyage à Florence, où il a passé une semaine à songer au Japon, remplissant ses carnets de larges aplats noirs. Tout “l’art de l’encre” (sumi-e en japonais) pratiqué en Asie naît en effet de cette couleur. Dans ses œuvres, Lassaâd emprunte à la calligraphie sino-japonaise le papier fabriqué à partir de fibres de mûrier (kozo), ainsi que l’encre pure qui absorbe la totalité de la lumière. De cet “art de l’encre”, véritable philosophie et forme de méditation, il conserve ainsi l’élément essentiel de la monochromie. »
Aux côtés de cet excellent numéro des Éditions des Beaux Arts, se trouve le catalogue de l’exposition, avec une préface de David Foenkinos, parue dans la collection « Livres d’Art » chez Gallimard. À ce titre, l’illustration de couverture de ce merveilleux ouvrage, intitulée « Vertu 3 », est sur papier kozo, encre japonaise, datée de 2023.

"Ivresse de l’encre" de Lassaâd Metoui

Magie de l’altérité

Sept textes d’une grande qualité accompagnent les œuvres lumineuses de Lassaâd Metoui. D’abord, le romancier féru de musées, David Foenkinos, avec « Le goût des autres », ensuite Bruno Duborgel, Professeur d’esthétique et de sciences de l’art à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne, avec deux études substantielles intitulées respectivement « Magnifier et méditer le noir profond » et « Empreintes d’univers », études entre lesquelles prend place « L’essence du geste » de l’historien et critique d’art Louis Gevart.

Quant à elle, Martine Roux, historienne de l’art, interroge le « Miroir », en des termes aussi techniques que poétiques : « Dans chacune des peintures de Lassaâd Metoui, une rencontre s’opère entre les coups encrés du pinceau, les miroirs circulaires et les nuées de points multicolores. Cette rencontre n’est jamais la même, bien que les éléments apparaissent dans l’espace de création selon un ordre rigoureux. Le noir pur et profond se propage en premier. Il définit l’espace que les miroirs équilibrent. Enfin, les points rehaussent de leurs tons vifs le fond de la toile tantôt blanc, tantôt jaune et bleu. »

Judicaël Lavrador, également critique d’art, loue, dans son texte intitulé « Une peinture en orbite », la qualité du travail de Lassaâd Metoui, dans lequel « le spectateur fait partie d’un tout », parce que « l’abstraction », chez lui, « ne nous regarde pas de haut. Elle est à portée de cœur. »

Voilà des mots qui, à l’image des œuvres de l’artiste aussi tunisien qu’universel, versent du baume sur nos maux. D’où sans doute le texte final de Louis Gevart, « Quand la forme danse avec la pensée », qui se termine par ces lignes salutaires : « Le beau, c’est aussi la sagesse. Lassaâd fait à son tour figure de sage en posant son regard sur l’autre, en faisant vibrer la pensée de Nishida par les échos de Lao-Tseu, de Bergson et Nietzsche. Ce dernier décrivait la pensée comme une danse : un parallèle qui touche à la pensée en mouvement de Lassaâd, qui pense et écrit comme il dessine. »

Or, avec Lassaâd Metoui, l’art, entre peinture, écriture et calligraphie, est un voyage sans fin. Dieu sait que nous en avons grand besoin. Cet aveu final n’est pas une faiblesse. Au contraire, il est le signe de notre humanité souffrante qui, par l’art et le travail audacieux de ce type d’artistes, se retrouve, se reconnaît et aspire à guérir. ― Par magie de la lumière et des couleurs, dans l’ivresse de l’encre.
L’artiste
Lire aussi
Souffle inédit
Magazine d’art et de culture
Une invitation à vivre l’art

Partager cet article
Suivre :
Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
Laisser un commentaire