Samira AL-Khalil : Journal d’une assiégée

Coup de coeur
Lecture de 11 min

Samira AL-Khalil : Journal d’une assiégée – Douma, Syrie

Par Djalila Dechache

Journal d’une assiégée, Douma, Syrie, de Samira AL-Khalil
Journal d’une assiégée – Douma, Syrie, de Samira AL-Khalil, avant-propos et postface par Yassin AL-Haj Saleh, traduction Souad Labbize, Editions IXE collection fonctions dérivées, 2024.

Samira AL-Khalil : « Il n’y a pas de justice sur cette terre »

C’est difficile d’écrire sur un tel ouvrage, venant d’une femme de Syrie emprisonnée dans l’état de siège que connait son pays, la Syrie, commis par un despote sans limites. A fortiori lorsque l‘on sait que cette femme est éprise de liberté pour tout le monde. Son livre est un journal établi à partir de notes en 2013 à Douma, zone rebelle, dans la Ghouta orientale, ville située au sud-est du pays.

Un Centre de Documentation des Violations en Syrie y a été créé par des militantes et militants des droits humains, très vite recherchés par le régime du président syrien Bachar el Assad. Un groupe de plusieurs personnes qui y travaillaient a été enlevé par un groupe armé en décembre 2013. Il s‘agit de l‘avocate Razan Zaitouneh et son mari Waël Hamada, Samira Al-Khalil et son mari Yassin al-Haj Hassen, et le poète Nazem al -Hamadi. Dès lors un jeu de marchandage varie selon les avancées entre groupe politique et confession religieuse sur le territoire du pays.

C’est le récit de l’autrice qui vient ici.

Samira al-Khalil avait pris l’habitude de documenter la vie sous état de siège à Douma et dans la Ghouta orientale avant et après le massacre chimique du 21 août 2013 par son compte Facebook.

Ce que l‘on peut noter est le calme apparent de l‘autrice Samira Al-Khalil qui dit en exergue : « Je n‘avais pas l‘intention, d‘écrire, je le fais uniquement pour témoigner ».
On lui dirait spontanément si elle était devant nous, heureusement qu‘elle a écrit ce livre, ce qui nous permet de mieux comprendre ce qu’elle a pu vivre, elle et ses compagnes dans ce malheur qui dure depuis 2011 et puis cela peut l‘aider à supporter…et aucune information officielle nous aurait donné autant de précisions avec autant de réalisme.

Samira Al-Khalil se soucie davantage des autres prisonnières, de sa sœur emprisonnée aussi, que d’elle-même. Elle relate ce que font les femmes et les enfants pour tromper la faim, la mort, la torture, le désespoir et c’est magnifique de vie, d’instinct de survie et d ‘espérance !

Ici il y a de l’espoir, ceux qui sont partis m’habitent.

Elle relate comment elles se passent de tout, du café, de l’huile, du pain, l’eau et l’électricité coupée depuis longtemps, les médicaments, des falafels faits avec des feuilles de choux…. Comment ruser pour survivre.
« La mort qui peut te surprendre à tout moment ». Et aussi « Ici, l’état de siège ne vole pas que nos vies assiégées, mais aussi l‘âme des gens » Et les missiles, les bombardements, ils ont bouclé la ville et interdit l‘entrée des moyens de survie ».
Elle évoque un sérieux problème de l’Organisation Mondiale de la Santé qui « se débrouille pour ouvrir des couloirs humanitaires où faire passer les médicaments, quelle générosité ! ». Cette organisation envoie des médicaments à prendre avant ou après chaque repas. pour des maux de tête, l’asthme le diabète ou la tension…
et de réclamer: « Nous voulons des médicaments à prendre à jeun et pas deux heures avant de manger. Nous ne mourrons pas seulement des bombardements, les obus, la faim et le manque de médicaments aussi. « C’est une autre mort et la mer est une fosse commune semblable aux fosses communes des attaques chimiques ».

Cela rappelle comment les populations se démenaient pour survivre pendant la deuxième guerre mondiale.

Samira Al Khalil donne vie de manière surréaliste à l’aviateur chargé de les bombarder, elle parle de lui en ces termes : « L‘aviateur zélé est bien matinal aujourd’hui. Des enfants font une course à vélo, ils s’arrêtent pour regarder où l’avion va lancer un obus ».
Comment les briquets en plastique made in China pour faire du feu, coûtent très cher depuis l‘état de siège de ce pays bombardé, décimé, déchiqueté qui faisait la fierté du monde arabe pour sa joie et sa douceur de vivre.
Elle narre comment le temps n’a plus de prise sur elles, comment elles vivent dans des conditions épouvantables de promiscuité, de saleté, de silence, de froid, nul ne sait ce qu’il va advenir, aucune information, comme autant de tortures comme si le fait d’être emprisonné ne suffisait pas.
« Mon amie regarde le jasmin grimpant sur un peuplier et rêve d’en cueillir pour faire une guirlande à son chéri qui erre dans les rues de Damas. Rien ne peut effacer ces vieux détails, il y a là quelque chose d’antique, une icône, vos chamailleries, votre tristesse et vos défis dans cet endroit…. c’est notre histoire, c’est notre histoire ! »
J’aurais envie de faire un parallèle avec le texte « L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable » d’Arthur Rimbaud.
Samira al Khalil a de la retenue et de la pudeur pour les lecteurs et pour elle aussi face à une femme qui a perdu son enfant déchiqueté : « je ne publie pas ça pour l‘instant. Je vous en dirai plus dès que j‘aurai récupéré et que je serai remise de ce que j‘entends et de ce que je vois ».

« Nous écrivons sur les emballages de paquets de cigarettes en y mettant de l’amour et pas mal de soupirs ».

Bien sûr parfois Samira al -Khalil pousse une gueulante, s’emporte, s’énerve, s’adresse au monde occidental qui ne bouge pas pour venir en aide aux syriens restés au pays du mauvais côté, celui de la défense du droit humain.
« Le criminel est inconnu. Anonymisation du coupable. Effacer le caractère criminel, en sorte que le criminel bénéficie de l’anonymat ».
Apparemment, il n’y aucun espoir pour éveiller la conscience du monde ? C’est une mort généralisée, beaucoup partiront d’ici et la dévastation règnera (…) le monde voit, entend et sait ce qui se passe, il est complice du criminel. Ils savent ce qui se passe sur les autres planètes …Nous, nous sommes sur la même planète qu’eux ! »
Elle exhorte le monde civilisé : beaucoup de pays sont impliqués dans cette guerre, c’est une troisième guerre mondiale mais contre un seul peuple qui ne veut rien d’autre que la liberté et le droit de vivre ».!

La patrie, ce sont les gens

Sans eux la patrie n’a pas d‘existence.
« Sous le siège, on essaie de défendre le droit à la vie ».
« Beaucoup sont morts. Leur sang est resté sur les sacs de farine ». « La mort est devenue un mode de vie … pour réussir à gagner un jour de plus ».
« Il n’y a pas de justice sur cette terre » Comme on la comprend et comme on partage avec elle ce sentiment, ce constat !
Même dans la prison la plus dure, la plus horrible, les gens ont droit à des visites.
Et bien sûr aussi « il y a l‘espoir de vivre une autre vie. » « Viendra le jour où nous fêterons la victoire de la révolution ». Il y a bien sûr des points communs avec le récit de la palestinienne à Gaza Neama Hassan dans son recueil Sois Gaza. Elle non plus, n’a pas de colère sauf quelquefois et c’est bien normal contre le reste du monde, immobile, impassible et inerte.

Dans le quotidien Le Monde du 02/01/2025, on a pu lire que l’écrivain et intellectuel Yassin al Haj Saleh est retourné à Damas en Syrie suite à la fuite incontrôlée de feu le président de Syrie et sa famille qui se sont réfugiés en Russie.
Il s’est rendu sur les lieux de l’emprisonnement du groupe de cinq personnes qui ont créé une enclave juridique en faveur des droits humains.
Il a déclaré: « S’ils sont en vie, nous voulons leur libération. S’ils ont été tués, ce que, malheureusement, nous ne pouvons exclure, nous voulons l’entière vérité sur ce qui est arrivé. J’espère que nous n’attendrons pas trop longtemps avant qu’une procédure légale soit lancée pour leur rendre et nous rendre justice. Cela aurait une valeur symbolique pour les dizaines de milliers de disparus du pays ».

Samira al Khalil dirigeait le centre Women for Development pour venir en aide aux femmes de la Douma : accueil et coordination de la fabrication de produits alimentaires et de vêtements.
Son compte Facebook a été fermé peu de temps après son enlèvement comme ceux de Razan, Waël et Nazem.

Un grand merci à la traductrice de cet ouvrage Souad Labbize qui a su restituer avec beaucoup de délicatesse cet univers hautement carcéral sans aucune comparaison de l’horreur vécue par la narratrice et les autres personnes de cette prison de femmes ainsi que d’autres prisons dans ce pays.

Lire aussi 
« Sois Gaza »
Partager cet article
Suivre :
Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
Laisser un commentaire