Essai

Entretien avec Yves Vaillancourt

Yves Vaillancourt, invité de Souffle inédit

« Pourquoi ne pas traduire en arabe mon Jouer sa vie ? »

 Propos recueillis par Aymen Hacen

 

La famille de Souffle inédit est heureuse que vous ayez lu notre article consacré à votre bel ouvrage « Jouer sa vie en jouant aux échecs » et accepté de nous accorder cet entretien.

Intérêt pour les échecs

Pourquoi cet essai en 2022 ? Est-ce dû au confinement, à la série The Queen’s Gambitet à son influence quant à l’expansion, réelle, des échecs dans le monde depuis la pandémie du Coronavirus ?

Yves Vaillancourt. Ce qui est certain, c’est que mon éditeur a compris l’intérêt d’un tel livre grâce au succès de la série The Queen’s Gambit ! Mon manuscrit était écrit depuis dix ans. Je n’ai eu qu’à ajouter un texte sur Beth Harmon et la série, ainsi qu’à revoir mon fil conducteur.  Mais en ce qui me concerne, ni la pandémie ni cette série n’ont changé  quoi que ce soit en ce qui a trait à mon intérêt pour les échecs, qui remonte à mon adolescence et n’a jamais faibli.

Entretien avec Yves Vaillancourt

Les échecs semblent avoir de l’avenir devant eux. Qu’en pensez-vous ? Suivez-vous l’actualité échiquéenne, les tournois, les nouveautés ? Il s’est récemment passé un drame entre Magnus Carlsen et Hans Niemann ? Est-ce que le philosophe, l’écrivain et l’échéphile que vous êtes a une opinion sur la question ?

Yves Vaillancourt. Certes, je suis l’actualité échiquéenne et je joue tous les jours aux échecs. Sur les événements que vous mentionnez, je tracerais un parallèle avec l’attitude de l’ancien champion du monde Garry Kasparov, quand il a refusé de défendre son titre contre son challenger « légal », Alexi Shirov. Kasparov considérait son adversaire trop faible, ce qui est un peu l’argument de Carlsen face à Nepomniatchi, qui a remporté le tournoi des Candidats. Mais qu’est-ce qui amène ces grands champions à vouloir ainsi choisir leur rival ? À mon avis, c’est un facteur psychologique lié à la précocité de l’ascension des joueurs au sommet, phénomène qui ne fait que s’accélérer avec la possibilité pour les très jeunes de jouer à volonté en ligne. Carlsen vient à peine d’avoir 30 ans et il domine les échecs depuis 10 ans. Steinitz, par contraste, est devenu champion du monde en 1886 à l’âge de 50 ans. Une lassitude capricieuse est le risque de ces champions sacrés trop tôt dans la vie. Et maintenant Carlsen voit ce jeune Niemann sortir de nulle part et le battre à l’âge de 19 ans ! Les soupçons de triche concernant ce dernier viennent achever de perturber ce monde riche, fascinant mais demeuré immature.

Joueur du pion roi

Pourriez-vous nous présenter Larry Steele, le préfacier de Jouer sa vie en jouant aux échecs ?

Yves Vaillancourt. Larry Steele est un joueur du pion dame, tandis que moi je suis un joueur du pion roi ! Il avance prudemment dans la partie comme dans ses travaux d’universitaire. Ses ancêtres d’Europe de l’Est ont beaucoup donné à l’amour des échecs et il continue sur cette voie. Nous habitons à plus de 1000 kilomètres de distance et quand nous nous retrouvons, nous jouons sans arrêt. Nous avons eu aussi l’occasion d’échanger nos idées dans des colloques ennuyeux, où les échecs étaient notre sortie vers la liberté.

Nous avons relevé que vous avez omis d’aborder le texte de Patrick Süskind, « Un combat », mais en quoi cela est-il dû ? Est-il impossible d’établir une bibliographie exhaustive concernant les échecs ? Peut-être est-ce un phénomène contagieux dû à la complexité, à la richesse et au caractère infini du jeu lui-même ?

Yves Vaillancourt. Je ne connaissais pas ce texte.. De fait, je n’ai jamais tenté l’exhaustivité sur mon sujet. J’ai pris les œuvres qui ont frappé mon imagination au fil des décennies.  Comme vous dites, avec un clin d’œil à Borgès, ce jeu, comme l’autre, est infini.

Vous êtes l’auteur d’une œuvre abondante entre essais et romans. Quels liens établissez-vous entre l’écriture de fiction et de pensée ? Comment travaillez-vous et par quels moyens, outils et méthodes passez-vous d’un genre à l’autre ?

Yves Vaillancourt. L’écriture de mes récits et romans procède de l’errance qui a été la mienne pendant des années. En me posant dans la vie, je suis devenu essayiste.

Vous êtes l’auteur d’un essai intitulé Sur le sentiment océanique, paru en 2018. Or Belinda Cannone, essayiste et romancière de talent, a merveilleusement exploré le même « sentiment océanique » dans son ouvrage S’émerveiller, publié en 2017 chez Stock. Avez-vous une idée sur cette référence ? Pourriez-vous nous parler de votre essai et de la façon dont vous organisez les sujets, les notions et les projets sur lesquels vous travaillez ?

Entretien avec Yves Vaillancourt

Yves Vaillancourt. Hélas, je ne connais pas cet auteur, dont l’essai est sorti un an avant le mien. Le point de départ du mien est le souvenir d’expériences mystiques que j’ai vécues entre 20 et 30 ans. J’ai entrelacé le récit de ces expériences avec un commentaire provenant d’un maître du soupçon, un certain Freud. Puis, comme mes expériences avaient eu un fond musical, la musique de Bach et de Schubert, j’ai regardé de ce côté-là aussi. Cela a donné un texte hybride, à la fois personnel et documenté, mais bref, comme le sont ces expériences.

Choix

Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes doit être traduit dans d’autres langues, en l’occurrence en arabe, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Yves Vaillancourt. J’avais réussi l’examen d’entrée dans la diplomatie canadienne, mais je découvrais à ce moment-là une philosophie et j’ai préféré mes livres. J’y repense parfois.

Pour votre autre question, je viens du nord du Québec et je suis très attaché à cette nature, où je retourne maintenant. À l’âge de 11 ans, le chef scout m’a nommé Loup rapide. Mais voilà, je n’ambitionne plus de traverser la Terre entière et les arbres de ma forêt–ce sont des bouleaux, des érables et de grandes épinettes– me font des sourires invitants.

En terminant, les échecs étant d’origine persane et connaissant maintenant un regain d’intérêt dans le monde arabo-musulman, d’où essaiment de très bons joueurs – l’Ouzbékistan n’a-t-il pas remporté les dernières Olympiades d’échecs ! – pourquoi ne pas traduire en arabe mon Jouer sa vie ?

Aymen Hacen

Jouer sa vie en jouant aux échecs

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Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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