Poésie

Anne-Lise Blanchard – Mercredi en Poésie

Mercredi en Poésie avec Anne-Lise Blanchard

Choix de textes par Irène Dubœuf, extraits de Soliloque pour ELLES – Anne-Lise Blanchard, éditions Unicité, 2024.

Anne-Lise Blanchard – Mercredi en Poésie

 

Cela fait du rien

(extraits)

Je cherche ce que je ne trouverai jamais

je cherche le temps je cherche longtemps

cela fait du rien cela fait du bruit

je cherche un territoire je cherche un envol

dans l’obscurité de mains inemployées dans la poussière de l’émollient été

bouffée d’aridité fige le geste de chercher

je cherche la clef perdue sous ma peau l’artère sous le

rocher le relief sous le sable je cherche les coquelicots sous

la pluie les voix gardiennes sous la cendre

dans la raideur l’exubérance l’abandon l’abondance de

silence de présence de mouvement

et ce que je cherche que j’ignore dans ma prière afflue

la chose qu’apportera le vent que je froisserai la chose qui

du lest me séparera me rendra souffle déliera volubile ma

langue m’assemblera femme de mer et de terre femme

entière.

Des jours inhabitables

Il y a des jours inhabitables dont on ne saurait se lasser

inhabitables

tant l’obsession de ce qui n’est pas

emplit et creuse et emplit

jusqu’à ce

que le jour prenne racine

prenne racine ou sens dans cette

absence

jardin ratissé ou chat pelé

Il y a des jours inhabitables lents plus lents

tant s’estompent les fantômes

que même un mot ne peut les saisir et

d’essayer

jusqu’au soir

qui défile après le précédent

inhabitable

jusqu’à être

fatigué effondré confondre

le ciel avec la tombe

sans plus entendre les arbres

épris

d’espace

sans plus entendre les fleuves

respirer

Il y a des jours inhabitables quand la phrase s’englue

ne trouve pour béquille qu’une

image

inhabitable

pour une surface de peau

consommée

qu’en secret

les doigts cherchent à tâtons

Il y a des jours inhabitables de ne plus savoir

ouvrir sa

trace dans un sentier

ouvrir ses lèvres pour se soucier de l’autre

s’agréger au monde

inhabitable

le jour qui bégaie jusqu’à épuiser son souffle

le temps qui

écoute

ce qui ne vient pas

jusqu’à dévorer ce qui pourrait naître

inhabitable

l’effroi

de ne plus être soi l’amas de papier qui

croît et se consume et croît

mois après mois sang usé

dans le labyrinthe des veines

ligaments

dessiqués

au carrefour de l’articulé

Il y a des jours inhabitables lents plus lents de ce lent repli

qui ne laisse

place à la lumière

flammèches de syllabes à la face

de la lune

sans trouver la langue

habitable à deux

inhabitable

sans langue sans

enveloppe partagée qui tient lieu de parole

grève désertée

langue natale et grevée

langue en grève

langue mortelle il y a des jours inhabitables

Je suis revenue près du saule

(extraits)

[…]

J’ai cherché l’hôtel où nous avons avec fougue joué la scène d’un amour de passage. Les propriétaires aussi ne font que passer.

J’ai traversé la place que ma grand-mère parcourait à pas fragiles, légère à mon bras, jusqu’au banc où elle aimait s’asseoir. Le manège tourne, en silence, sans passagers.

Je suis revenue à la grande serre pour respirer l’odeur de l’amour. La température s’accordait à la mémoire de nos corps moites.

Je me suis rendue « sous la queue du cheval » pour un dernier rendez-vous. Les pigeons m’ont tenu compagnie. Là, s’est arrêté mon périple. Il ne coïncidait pas avec le présent.

Anne-Lise Blanchard

Anne-Lise Blanchard – Mercredi en Poésie

Danseuse, chorégraphe, puis thérapeute, écrit et publie depuis 2000, principalement des livres de poèmes mais aussi de haïkus, de récits, d’entretiens. Longtemps collaboratrice de plusieurs revues de création littéraire et artistique dont Verso, Lieux d’Être, Diérèse, elle a animé à Lyon de 2003 à 2010 des soirées littéraires et musicales.

Présente en revues et anthologies, certains de ses poèmes sont traduits en italien, anglais, espagnol. Jean-Pierre Lemaire, Colette Nys-Mazure, Jean-Claude Xuereb, Jean Chatard, Alain Wexler ont préfacé ses livres.

Elle organise des évènements poétiques à Saint-Geoire-en-Valdaine, au pied de la Chartreuse dont elle aime à parcourir cingles et sommets. Membre du jury du prix littéraire de littérature africaine et des Caraïbes Étiophile.

Dernières publications : Soliloque pour ELLES (Trad. en anglais de Patrick Williamson, Unicité, 2024), objet d’un livre d’artiste avec des estampes numériques de Dominique Deboffle (Transignum, 2023) ; Une odeur d’enfance (Voix Tissées, 2023) ; L’Horizon patient (Ad Solem, 2022) ; Le Ravissement de la marche, haïkus, Atelier du Grand Tétras (2021) ; Épitomé du mort et du vif, Jacques André éd. (2019).

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