Mercredi en poésie avec Geneviève Boudreau
Tu évides les images
Qui tournent près de ta nuit
Tes lèvres leur nœud
Enveloppent la chute docile des corps
Sur ta peau
Je relie les points
Nomme les constellations
*
Je ne prétends pas que tu m’aimes :
Tu continues
D’ajuster
Tes cordes à mes os
Je voudrais
Une histoire sans obstacle ni friction
Où le feu ne prend pas
*
Le goût de l’arbre
Au fond de la gorge
J’effrite le bruit des pierres
L’odeur de tes mots
Le jour est court
J’ai tissé tes absences
De fils désordonnés
Comme une fourrure de carcajou
*
C’est pourtant à pas de loup que tu t’éloignes
Lorsque la lumière doucement
Résonne contre les toits
Seule
J’entends la pulsation des arbres
Je suis sève et chute
Et grognement
*
Les mots dorment
Ne les dérangeons pas
J’ignore l’obsession des jours
Quand ta volonté chavire
Dans l’étroitesse des murs
Autrefois
Il arrivait à la lumière
De grandir
Un ciel plus sauvage que nous
J’ignore tout du pouls du cartilage
Des souvenirs souterrains
Qu’on porte comme l’exil Sous les vertèbres
Chaque matin nous mord aux paupières
Nous débusque Immobiles
À l’affût d’une grandeur impossible
Une foi charbonneuse Respire pour nous
*
Ma naissance est une pierre
Tu m’effleures l’échine et je coule
Sédiments
Tu peux nouer les cimes
Harnacher le verbe
Le fleuve nous dépèce
Nous chevauchons innombrables
Morsure et troupeaux
*
Livrée pour vous
Corps avalanche
Revenante
Écartelée
Clavicules ongles chevilles comme on ébranche
L’arbre qui cache la lumière
Aux fenêtres du bungalow
Je me rapièce
Monstre
De qui suis-je
La descendance
*
Dans une boîte
Nous avons rangé
La terre
Et les yeux révulsés des corneilles
Le temps dicte
Sa limite
Et voici que nous ne savons plus
À quel point était faible
La lumière de l’oiseau
Et courte sa chute
Nous savons
Pourrir
*
Ce n’est pas charité
J’ai soldé les comptes
Taillé les ramilles
Tanné les ratures de ma peau
Les nœuds de l’arbre
Passent mal Dans la gorge
*
Notre solitude est parfaite
Les visages façonnent leurs racines
La forêt a les mâchoires ouvertes
Dans ses clairières nous inhalons
Un ciel plus sauvage que nous
Nous respirons des mots âcres
Dans des corps manqués
Blancs comme des armes
Geneviève Boudreau
Originaire des Îles-de-la-Madeleine, Geneviève Boudreau habite au Québec. Elle est titulaire d’une maîtrise en études littéraires de l’Université Laval, et elle enseigne le français et la littérature au Cégep de Sainte-Foy.
Elle est l’auteure des recueils Acquiescer au désordre aux éditions L’Hexagone en 2012, qui a reçu le Prix du premier recueil de poèmes de la Fondation pour la poésie, et Le regard est une longue montée aux éditions L’Hexagone aussi en 2015. Aux éditions NOROÎT, elle a publié Comme on tue son chien en 2017 et Si crue que tu pourrais y mordre en 2019
Elle a participé à plusieurs lectures publiques et spectacles littéraires, au Québec et en France. Ses textes sont notamment parus dans les revues Estuaire, Exit, Les Écrits et Bacchanales.
Prix :
- 2013 – Récipiendaire : Prix du premier recueil de poèmes de la Fondation pour la poésie (pour Acquiescer au désordre)
- 2017 – Finaliste : Prix de la nouvelle (Radio-Canada) pour La clef de la barbe bleue
- 2016 – Finaliste du Prix Alain-Grandbois pour Le regard est une longue montée
- 2018 – Finaliste : Prix de la nouvelle Radio-Canada pour La chute du canard
- 2020 – Finaliste : Prix de création littéraire pour La Vie au-dehors
- 2020 – Récipiendaire : Prix littéraire Adrienne-Choquette pour La Vie au-dehors. Ce prix est décerné à un auteur canadien de langue française pour l’excellence de son travail dans le genre littéraire de la nouvelle.
Photo de couverture @Atwood Photographie
Blog Cristophe Condello