Déboutonner la soie de ton silence : Recueil de poèmes de Souad Labbize
Par Djalila Dechache
Un tel ouvrage se découvre en plusieurs étapes, par plusieurs facettes, le titre d’abord s’apparente à l’invitation de visualiser l‘étoffe sans pareille d’un habit. La couverture est soyeuse, originale, couleur beige perlé que l’on porte sur le visage pour accrocher la lumière, elle se déplie tel un carnet rare au toucher particulier.
En couverture apparait une jeune femme brune, pensive, intérieure.
Puis le texte se dévide telle une pelote, voici un extrait : « Viens donc avec l‘amphore magique le couinement des heures cesse quand tu verses une goutte de ton huile dans la poulie accrochée au plafond de l’insomnie ».
On se demande qui a bien pu dire de telles phrases et dans quelles circonstances ?
Une parure extraordinaire avec des mots ordinaires.
Ce n’est pas un recueil poétique comme les autres, comme ceux que l‘on feuillète parfois sur les étals de librairies.
Ici c’est autre chose : c’est un texte vocal, il est adressé à une personne absente qui a existé.
C’est un monologue d’amour, pas l‘amour torturé qui se morfond ou cherche à établir des comptes.
Non, c’est un amour conscient, clairvoyant qui imbrique des moments vécus pleins de sensualité, de sensations physiques, de gestes effleurés, de touchers subtils.
Souad Labbize est une amoureuse de la vie, de mots, dédiés à l’autre, l’absent, de rendez-vous manqués. C’est un voyage, une expérience, une traversée maritime.
Ce texte est un collier comme le fut le texte dédié à la Colombe du grand poète cordouan Ibn Hazm, « Le collier de la colombe » chaque perle, chaque page est une évocation particulière.
Souad Labbize écrit au-dessus des nuages, en cela elle rejoint le texte de Mahmoud Darwich » Comment écrire au-dessus des nuages le legs des miens » .
Un voyage sans retour
Cette femme, Souad Labbize aime comme personne, il y a de la mystique, de la rêverie, des visions, des images et des symboles, il y a de la chair et des larmes et du sang et de l’eau et du pain, de l‘imagination, de la rêverie, du souffle, des traces et du coeur et de la voix de l‘aimé et de l‘amante, son haleine, des pas, et du désir, du blues, du Raï ce fameux blues algérien né à Oran.
La mer, l’horizon, pas de peine telle que le commun des mortels la conçoit, c’est une autre peine qui s‘engouffre dans les entrelacs de son écriture.
Avec elle on s’embarque sur un voilier sans destination connue, peu importe, le voyage est tellement plus beau, plus sensitif, plus merveilleux.
Souad Labbize touche notre être le plus profond comme un murmure dont les sonorités nous suivent longtemps après les avoir entendues.
Il y a le texte et il y a sa musicalité, sa cadence décuplées lorsque lu à voix haute, pour soi d’abord.
Ce texte me rappelle aussi un livre du critique et homme de théâtre Georges Banu « L’acteur qui ne revient pas ».
En effet, il y a parfois des rôles au théâtre du Japon qui vous prennent tout et vous empêchent de revenir au monde réel par leur intensité et leur capacité à vous engloutir.
Même la carte postale en guise de marque-page poursuit l‘errance pour nous dire :
« J’ai pisté les traces
Quelques indices
Sur la neige d’une nuit
Le désir courait plus vite
Que mes jambes
Mon haleine fiévreuse
Faisait fondre
L’empreinte de tes pas. ».
Sublime de beauté et de justesse.
« Déboutonner la soie de ton silence » est une symphonie poétique de l’amante.
Déboutonner la soie de ton silence, poétique trilingue de Souad Labbize, traduit en arabe Rahil Bali, en anglais Susanna Lang, Linogravure Maud Leroy d’après une oeuvre d’Annie Kurdjian Editions Les Lisières 114 p, 2025.