Poésie

Maud Joiret, Horloges

Mercredi en poésie avec Maud Joiret

Horloges OU L’amour fait à un Ami

Rien n’est vrai

Tu le sais

plus vrai que ce qui se tait

après tout nous sommes des bêtes
de déréliction

rien ne nous attend

*

Pourtant c’est arrivé avec le temps
qui lave soudain ce qui restait de soi
– quand une seconde une seule
liquide les certitudes – et ce qui s’amenait
avait l’allure d’un cap un truc infranchissable
il faisait encore froid mais le goût
dans les chairs ce goût combustible
qui vient tâter le pouls dissout
l’intérêt vraiment pour ce qui se passe
autour du grondement quand le monde
regarde ailleurs doucement le secret
assied la conscience et lui bande
les mains

et tu n’en savais rien pourtant c’est toi qui m’arrivais.

*

Tu arrivais encore tu arrivais déjà
ta silhouette découpe le noir
dans le noir de la rue et aussi
des almanachs

*

L’alcool se boit au litre
il retourne à la mer
dans tes yeux rieurs
et inquiets comme un homme
que les bouées évitent
et épargnent d’un quelconque
sauvetage

*

De ton corps surtout
c’est la vie qui se lèche
en lente sidération

*

Sur ton crâne roulent
les mains d’une hypothèse
brûlante comme l’intérieur
d’un ventre

*

Se perdent des heures pleines
où creuser l’intervalle
le galbe de tes baisers échappe
à chaque tentative
taxonomique

*

Plus profond que ta peau
du scandale dans cette proposition :
et si.

*

l’appétit prend encore
les fantasmes pour de la viande
crue
le dedans au dehors commence
sa route d’incertitude

*

Dis donc exquise terreur
as-tu pris ta dose d’extase
en matant le regard
s’approcher de la flamme

*

Nu
pour l’encre des yeux fous
de tracer ton image
nu
jusqu’à ce que peut-être
le passé lui-même
révèle des tatouages

*

Le four fait disjoncter le circuit
depuis dix jours le monde domestique
annonce un magnifique orage

*

Dans quel écartèlement
trouver une issue
à la soif

le sang partout répand un cri de grand singe

*

Les lèvres ultrasonnent
ton prénom dans une langue
inconnue

absent
même le poème te met
à l’abri de la foudre

*

Gueule à manger
manger de la gueule
si la salive atteint
le téton titane
une explosion fait quinze morts
dans les futurs proches

*

De mémoire floue il reste
ta date d’anniversaire percée
au clitoris d’une fuite

*

De ton corps surtout
la brute excavation
de la joie

*

Même le vendeur de vapes
accroché au comptoir en verre
comme à une camisole
a récupéré le flair des chiens
– eux aussi se retournent –
même les gosses tu sais
sentent une prédation

*

Et la ville s’ouvre et s’écarte
les trams l’huilent la caressent
à boue portante un chemin de terre
éclabousse les pensées en chaussettes blanches

les parties de deux dogues capturées

balancent lentement sur la fourrure du regard

*

Cracher lèvres closes
sur la teneur en glucose
d’un mensonge de plus

*

Cracher pour retenir

un genre
d’action directe

*

Pas d’ailes aux yeux des marées
pas de restes d’enfance accrochés aux chênes blancs
pas de mûres du désir dans les tabliers du dimanche
ça n’existe pas
l’éjaculation idiote
du poème.

*

Merci pour ce miracle
te bander
se conjugue à toutes les personnes
dans un présent perpétuel

*

Tout est-il en attente d’être texte
oui
tout
Souviens-toi souviens-toi, le doigt nous menace. Les vibrantes douleurs dans ton coeur plein d’effroi.
Se planteront bientôt comme dans une cible.

Pré
texte mon roi

te désespérer
t’observer avec des yeux plantés dans ton coeur plein d’effroi

au service du poème

que la mémoire recrache les parcelles de toi
pour tapoter tes joues roses avec ce lait de salive

avorter des souvenirs
avorter des projections

ce qui reste malgré tout est voué à l’ici

par réflexe, une forme plus ou moins docte
de docilité

*

Nul souvenir
de ce que tu dis
il y a des mois, des années
que des bribes bibelots de sagouine
que le flux systole d’une branche
à l’autre dans le flou chlorophylle
des perceptions

*

Ce matin Freud s’empale sur la raison pure
et à défaut

de pouvoir éjaculer
de ravaler la honte, toutes les hontes
de cocher une case dans l’abécédaire de quelqu’un.e

d’autre chose, je ris.

*

Sais-tu que les hommes ont peur que les femmes rient d’eux
quand les femmes connaissent plutôt l’effroi de leur propre et potentiel assassinat

*

De ton corps toute la peur
une foutaise qui serpente
dont on fait des sacs des bottes
n’importe quoi et surtout
un remède au silence

*

Comme l’horloge avance la crainte
de ne pouvoir jouir
de toi
tire sur la laisse
dans les villes et les champs
une architecture de la perte
et de la connaissance s’esquisse
fait avancer le poème
sur lequel toucher un peu
de vérité le chien vient alors
renifler le doute sur les jambes et alors
s’accorder à son pas demande
de la vie comme la rivière qui
est un fleuve visiblement sur les cartes
qui se précisent avec deux doigts comme
les rides sur le front des ami.e.s tout
palpite et s’écoule selon une géographie
apparente

quand en toute sincérité pourtant je disparais.

*

Il n’y a pas de secours dans le poème
ni de mémoire
– rien ne revient
que la salive adoube
que le désir soumet
que l’envie ne décoche.

 

Poème publié dans le recueil Marées vaches, qui vient de paraître aux éditions du Castor Astral

La poétesse

Mercredi en poésie avec Maud Joiret

La poétesse est née en 1986 à Bruxelles. Chroniqueuse notamment pour Le Carnet et les Instants, elle est programmatrice littéraire. Cobalt est son premier recueil de poésie. Quelques textes sont publiés dans la revue Boustro (numéro VII), Passa Porta, Poetenational.be, Bela. Lauréate d’une bourse de la Fédération Wallonie-Bruxelles – Bourse de découverte 2020.

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