Souffle de la Poésie
Souffle de la Poésie
40è Marché de la Poésie Paris, l’incontournable rendez-vous
Du mercredi 7 au dimanche 11 juin 2023
Irène Dubœuf
Incontournable rendez-vous des éditeurs, auteurs et lecteurs, le Marché de la poésie, antidote à la virtualité des réseaux sociaux, tient autant du rite que de la fête. Une fête qui se renouvèle depuis quarante ans. La poésie résiste ! Peut-être même plus que jamais si l’on se réfère à la foule qui a envahi les stands.
À mon arrivée, j’ai coutume d’acheter le guide format poche (250 pages qui recensent les quelques cinq cents éditeurs présents et leur numéro de stand) afin d’économiser mes pas et de rentabiliser le temp dont je dispose. Fausse idée : les rencontres entre poètes, que j’ai prévues lors des signatures, se font en réalité de manière impromptue au détour d’une allée ou aux tables des cafés. Mieux vaut s’en remettre au hasard et laisser toute liberté à la spontanéité.
On me remet aussi gracieusement le numéro 24 du Marché des lettres. Cette année, en première page, un article du poète, philosophe et essayiste Jean-Patrice Courtois intitulé Le son du poème. Je lis : « Si une idée commune s’attache au poème, c’est bien celle qui voit en lui une alliance particulièrement intense du son et du sens, presque son privilège. […] Le son du poème hors de la poésie écrite résonne dans les lectures et les performances, à « voix nue » ou à voix accompagnée, sur scène ou à la radio, son-voix, son-musique, plus son-radio ou son-média. La seule voix lisant constitue une performance, au sens d’une action réalisée dans un espace-temps, avec le corps et le texte écrit comme seule partition.[1] » et voici que les mots de l’article prennent vie quelques pas plus loin dans une lecture à « voix nue », une performance proposée par un homme que je ne connais pas mais qui se dit « souffleur de vers » et dont les textes sur de simples bouts de papiers sont laissés en souvenir à un public éphémère. La voix est posée, le vers ironique, on a envie d’écouter…
C’est le marché de la poésie
ce n’est pas la criée, la foire
les halles, la gouaille, la harangue
ça reste feutré petits papiers
sage, tout juste, au doigt léché.
On est là parce qu’on écrit, parfois pour écouter
on est là pour écouter surtout parce qu’on écrit [2]
Je fais quelques photos, une ou deux vidéos pour fixer « le son du poème ». J’apprends que l’auteur se nomme Matt Mahlen. Il me donne sa carte, je lui donne la mienne et m’en vais saluer mes éditeurs… Alain Blanc (Voix d’encre), François Mocaër (Unicité), Patrice Kanozsai (Le Cygne) et Arnaud le Vac, directeur de collection justement intitulé « Voix au poème » chez qui je signe cette année mon recueil Palpable en un baiser.
Après des journées intenses emplies de rencontres, de découvertes, d’échanges improbables (au cours desquels vous vous retrouvez à converser avec un auteur qui ne parle pas votre langue et dont vous ignorez tout de la sienne), l’étrange marché au nom provocateur prend fin.
Il était temps. Vous vous êtes laissé porter par la puissance du souffle de la poésie. Elle était là, présente à chaque pas, sous vos yeux, dans vos mains, vos bras, vos regards, vos sourires, vos rires, dans les mots écrits et les paroles échangées. Il était temps, car le vertige et l’épuisement vous guettent. Le marché est une fête d’où l’on revient le cœur en joie mais l’esprit confus : le poète est, par nature, un être solitaire et vous avez adressé la parole à tant de monde en si peu de temps ! Vous quittez la place Saint-Sulpice les bras chargés de livres dédicacés, vous les avez achetés pour les lire, mais peut-être, aussi, pour être sûr de ne pas avoir rêvé.
Irène Dubœuf
13 juin 2023
[1] Jean-Patrice Courtois, Le son du poème, Marché des lettres n°24, été 2023 page 1, C/I/R/C/É Hôtel de Massa, 38 rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris.
[2] Extraits d’un poème inédit, Le quarantième rugissant, lu a capella trois jours de suite dans trois lieux différents sur la place Saint-Sulpice lors du Marché de la poésie, Paris, 7 au 11 juin 2023.
Photos : Crédit @Irène Dubœuf
